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Katia Kabanova : réflexion sur les mises en scène

Publié le 11 octobre 2008 par Porky

Honnêtement, j’ai un peu hésité avant de mettre cet « article » sur le blog. Non par crainte d’encourir les foudres de qui que ce soit mais je risquais de me faire taxer une fois de plus de réactionnaire en ce qui concerne les mises en scène d’opéra… Et puis tant pis : si demander à ce que les théâtreux respectent les œuvres qu’ils montent, les servent au lieu de se servir d’elles, c’est être réactionnaire, alors je le suis et je l’affirme et je l’assume.

Il y a quelques années de cela, le festival de Salzbourg proposa une nouvelle production de Katia Kabanova ; production retransmise par Arte en direct. Merveilleux ! pensai-je. Déjà le label « festival de Salzbourg » ne pouvait être, dans mon esprit naïf, que synonyme de qualité. Et puis, l’œuvre de Janacek est si rarement montée qu’il ne fallait pas rater cette production. Me voilà donc installé devant le téléviseur, prêt à déguster note après note, cet opéra. J’avais –hélas pour moi- encore devant les yeux la superbe représentation de Glyndebourne de la même œuvre –celle dont vous avez des extraits dans les vidéos consacrées à cet opéra.

Ouverture du rideau. O grandissime surprise : la maison des Kabanov au bord de la Volga est devenue une façade de HLM de banlieue, avec cour carrée miteuse plantée de cactus dont la fraîcheur ne saute pas tout de suite aux yeux et flanquée en son milieu d’une mare –carrée elle aussi- dans laquelle végètent quatre centimètres d’eau pourrie.

Etonné, je vérifie quand même que je ne me suis pas trompé de chaîne et que je ne vais pas me farcir un reportage sur Sarcelles. Nenni. Je suis bien sur Arte, la preuve, j’entends sortir du téléviseur des sons mélodieux et c’est bien la musique de Janacek. Donc, je suis en direct de Salzbourg et ce décor est bien celui de l’opéra prévu.

Bon. Attendons l’entrée en scène des personnages. Attente relativement courte. Voilà tout à coup qu’un pan de la façade s’ouvre et qu’on découvre l’intérieur de l’appartement des Kabanov. Assise sur un lit déglingue, une grosse pouf à tailleur dont la jupe arrive à mi-cuisse remonte ses bas résilles. Elle a une tronche à faire peur. Lorsqu’elle a terminé son travail de relookage, elle se lève et arpente la pièce en roulant des hanches, du bassin, de la cuisse, des seins (énormes) tout ça un glapissant. Elle a tout de la mère maquerelle qui s’apprête à aller relever les compteurs. Ai-je vu juste ? Re-nenni. C’est tout simplement la Kabanikha. Bon… Voyons un peu le fils (Tikhon) : dans le genre délabré, on ne fait guère mieux. Surtout que la tenancière de maison close n’arrête pas de lui taper dessus pour un oui pour un non, tout ça en continuant d’effectuer de redoutables torsions du bassin. Et puis quand elle a fini de corriger le désobéissant, elle lui fourre ses nichons sur la figure, histoire de l’étouffer davantage. Seigneur, où avons-nous mis les pieds ?...

Arrive Katia. Grande blonde aux cheveux courts, vêtue d’une minijupe et d’un imperméable beige qu’elle ne quittera pas de toute la représentation, même au plus fort du duo d’amour avec Boris, duo qui a évidemment lieu dans la cour dégueulasse de l’immeuble, jonchée de débris divers, sans doute pour faire « réaliste ». Peut-être Katia est-elle aussi chaussée de bottes montantes, mais là, c’est sous réserves, ma mémoire refuse d’aller plus loin dans l’horreur.

Tout l’opéra va donc se dérouler dans ce décor sinistre, avec ces personnages glauques, au milieu des cactus pas frais et devant, ou à côté la mare stagnante qui –on le suppose- doit figurer la Volga. Quant à la Kabanikha, au cas où vous n’auriez pas compris que cette vieille salope se tape son fils et qu’elle se vautre dans l’inceste, d’où le fait qu’elle exècre Katia et la considère comme une rivale dont il faut désamorcer la séduction (alors là, aucun problème, vu la façon dont on a « arrangé » ladite Katia), on va demander à la vieille de multiplier les attitudes provocantes. Ce qu’elle fait, la sale carne !

Lorsque arrive l’acte III, vous vous demandez comment l’immonde chose responsable de ce désastre a mis en scène le suicide final de Katia. Elle ne va quand même pas plonger dans les cactus ? Se noyer dans la mare de quatre centimètres d’eau ??? Et ben si ! Après une scène d’adieu si consternante que les cactus finissent de crever, Katia s’approche de la mare (devenue flaque par on ne sait quel miracle) et se couche dedans. Vrai, pour claquer là-dedans, il faut vraiment en avoir envie ! Mais elle meurt quand même (vivent les conventions de l’opéra) et le rideau se ferme.

Et bien sûr, le public, conquis, éclate en applaudissements et fait une ovation à la troupe de branquignols qui a mis deux heures à assassiner une œuvre un million de fois plus grande qu’elle. Que faites-vous alors ? Vous avez le choix entre éteindre le téléviseur et aller vomir, ou casser « l’étrange lucarne » pour lui apprendre à retransmettre de telles abominations. Mais au fond, vous ne faites rien. Vous restez abasourdi, stupéfait, écoeuré. Et terrifié. Parce que vous venez de comprendre que vous faites partie de ces gens masochistes qui subissent le supplice pendant deux heures au lieu de vite changer de chaîne et qu’au fond, c’est vrai que « ça fait du bien quand ça s’arrête ». Pourquoi avoir regardé jusqu’au bout ? Parce que l’imbécillité, la connerie, le mauvais goût, la prétention sont certes d’excellents répulsifs, mais qu’ils ont aussi un redoutable pouvoir de fascination. Comment peut-on se permettre d’aller aussi loin dans la destruction ? Et quelle sera la prochaine étape dans cette entreprise de démolition ? Ce crescendo dans le nauséeux vous révulse et en même temps vous attire. Est-ce pour cela que le public de Salzbourg n’a pas abandonné la partie en cours de route ? Peut-être. Mais plus sûrement parce qu’il est venu là pour se montrer, que la salle est garnie du sol au plafond de snobinards qui vont s’extasier sur la « nouveauté » et la « modernité », le « renouvellement salutaire », le « dépoussiérage » de cette mise en scène. Ce sont ces termes qu’utilisent tous ceux qui ont décidé de massacrer des œuvres qui les dépassent totalement.

Pauvre Janacek, pauvre Katia. Et pauvre culture tchèque. Elle ne mérite pas un pareil non sens. Et on se demande où le metteur en scène est allé chercher ces « trouvailles ». Gageons qu’il a la cervelle farcie de théories « analytiques » qui oublient simplement qu’une œuvre, qu’elle soit littéraire ou musicale, est avant tout le reflet de son époque et d’un état d’esprit et qu’en voulant à tout prix lui appliquer une grille moderne d’interprétation sans prendre quelques précautions élémentaires, on risque de courir au contresens. Qu’on renouvelle les mises en scène, oui, bien sûr. Mais ne peut-on pas le faire intelligemment, en respectant l’esprit de l’œuvre et surtout en essayant de faire de la qualité avant de vouloir en mettre plein la vue au spectateur ? Les plus grands festivals ne sont plus à l’abri de la médiocrité ambiante : il y a deux ou trois ans, à Orange, Savary (bien davantage « metteur en spectacle » que metteur en scène) sabotait Les Contes d’Hoffmann, transformant l’opéra en un gigantesque Disneyland auquel ne manquait plus que les Mickey et Donald de service ; cette année, ce fut Faust avec le très médiatique Roberto Alagna, redoutable cabotin et assez ridicule dans son numéro « je suis proche du public. »

J’avoue ne pas être très optimiste quant au devenir de la culture lyrique. Déjà qu’elle était taxée de « culture pour privilégiés… » Mais ce n’est pas en présentant ce genre de manifestations qu’on réconciliera le grand public avec l’art lyrique. Tout au plus lui mettra-t-on dans la tête qu’il s’agit d’un « spectacle » comme un autre. Désolé, mais ce n’est pas le cas.


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