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naître handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal… retour sur la jurisprudence “Perruche” et la loi “Anti-Perruche”

Publié le 03 janvier 2009 par Kamizole

logo-handicap.1230973911.jpgLes mesures qui touchent les handicapés ne peuvent que me faire réagir… Sensibilisée, je le suis à la suite d’un grave accident - 3 ans sans marcher, cela laisse des traces ! - et passer ensuite deux ans dans un centre de rééducation fonctionnelle pour un stage de reclassement professionnel où j’ai côtoyé des handicapés bien plus atteints que moi - astreints définitivement au fauteuil roulant - ne pouvait qu’intéresser très durablement une infirmière à toutes les questions liées aux handicaps.

Si vous y ajoutez ce que j’estime être une «bonne» formation de juriste (tant pis pour mes chevilles ! de toutes façons, je suis percluse d’arthrose depuis plus de 30 ans et cassée à peu près partout… que me ferait un oedème de plus ?) menée jusqu’à mi-parcours de la maîtrise de droit, il est évident, qu’habituée aux commentaires d’arrêts, «l’arrêt Perruche» ne pouvait que solliciter mon intérêt et ma curiosité intellectuelle.

Sur le plan de la «question de droit» posée : une erreur de diagnostic prénatal qui a interdit une femme de recourir à l’interruption médicale de grossesse (IMG) peut-elle donner droit à une indemnisation quant aux conséquences pécunaires entraînées par la lourdeur du handicap de l’enfant qui est né, et si oui : sur quels fondements ?

Bref rappel sur «l’arrêt Perruche» qui a fait en son temps couler beaucoup d’encre… il s’agissait d’un enfant né gravement poly-handicapé à la suite d’une rubéole contractée par la mère. Double erreur de diagnostic : le laboratoire médical n’avait pas mis en évidence les anticorps spécifiques de la rubéole et son médecin ayant soutenu qu’il ne serait pas atteint. La mère souhaitait que l’on pratiquât un avortement thérapeutique.

Sur le fondement d’une erreur de diagnostic, les parents obtinrent réparation, non sans mal ! devant la Cour de Cassation par un arrêt en Assemblée plénière du 17 novembre 2000 qui fit grand bruit eni lleur accordant un capital non négligeable, destiné à compenser les frais exorbitants dus au handicap et à assurer à l’enfant, le cas échéant, une prise en charge dans des conditions le plus dignes possibles si ses parents venaient à disparaître avant lui.

Je m’en tiendrais à cet exposé des faits et des fondements tout à fait logiques de la solution juridique : la réparation des conséquences financières d’une erreur de diagnostic, vous faisant grâce de toutes les polémiques juridico-morales et idéologiques, souvent plus absurdes les unes que les autres ! que cet arrêt n’a pas manqué de susciter.

Au demeurant, elles étaient déjà largement discernables lors de l’Assemblée plénière, entre la position de l’avocat général Jerry Sainte-Rose, que l’on eût dit plutôt quasi dictée par quelque «laissez-les vivre» ! au mépris du respect des lois républicaines, dont la loi de 1975 sur l’IVG… et celle autrement plus réaliste, humaine et juridiquement assise du conseiller Pierre Sargos, auteur du rapport qui avait servi de base à la réflexion des hauts magistrats de la Cour de cassation :

«L’indemnisation permettra à l’enfant de vivre, au moins matériellement, dans des conditions plus conformes à la dignité humaine, sans être abandonné aux aléas d’aides familiales, privées ou publiques».

Or précisément, c’est toute l’économie de cette solution : l’indemnisation de l’entier préjudice – moral et matériel, celui des parents autant que celui de l’enfant – sous le régime de la responsabilité contractuelle et notamment l’article 1147 code. Civ. en tant que le dommage résulte d’une faute ou d’une erreur ; qui a été bouleversée par l’adoption de la proposition de loi dite «Mattei»

On se souviendra du brillantissime passage de Jean-François Mattei au ministère de la Santé et du grand cas qu’il fit des personnes âgées (30.000 décès) lors de la canicule du mois d’août 2003… Pourquoi voudriez-vous qu’il fît plus grand cas des handicapés, et des plus démunis en général ?

Il se trouve qu’ayant écrit un texte sur «l’arrêt Perruche» analysé sur le plan juridique pour les «Amis du Monde diplomatique» du Val d’Oise, j’ai conservé tout un dossier de presse sur l’arrêt lui-même et ses prolongements.

Le pouvoir – Lionel Jospin était alors Premier ministre ! - n’a pas admis cette solution aussi logique juridiquement qu’équitable : une erreur médicale entraînant droit à réparation de l’entier préjudice.

D’où la nécessité – sous la pression du lobby des assurances médicales ? – de pondre une loi «Anti-Perruche»… défendue tant par Lionel Jospin (alors Premier ministre) que par son ministre de la Santé… Bernard Kouchner ! qui se fendit alors d’un laconique «difficile équilibre» (il n’a pas attendu Sarkozy pour être ignoblement cynique…)

Qui fut fut adoptée le 7 février 2002 en Commission mixte paritaire (CMP) et consacrait deux principes limitant le droit à l’indemnisation du préjudice survenant «lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer»

D’une part, les sénateurs avaient modifié le texte voté par les députés par la rédaction suivante : «les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice», L’enfant handicapé n’a plus de droit à titre personnel.

Ils supprimaient la possibilité (consacrée par les députés) d’une indemnisation destinée à l’enfant afin de couvrir les charges particulières découlant du handicap (ce qui revenait à consacrer la jurisprudence «Perruche») car ils estimaient que la compensation du handicap relevait de… la «solidarité nationale» !

Les récentes atteintes aux droits pécuniaires des handicapés nous démontrent à l’envie ce qu’il faut attendre de la «solidarité nationale» sous l’emprise des Sarko & Cie : balpeau !

Bien plus, en Commission mixte paritaire, les sénateurs sont allés beaucoup plus loin : ils ont limité l’indemnisation au seul «préjudice moral» supprimant toute indemnisation liée au préjudice matériel !

Faut-il y voir le reflet des pressions du lobby des assureurs ?

De surcroît, l ’article 1er stipulait in fine que la loi s’appliquerait aux instances en cours – ce qui est assez critiquable sur le plan de la non-rétroactivité.

Son application a donc mis dans la merde un certain nombre de familles, obligées qui plus est, de rembourser les «provisions» accordées… solution adoptée aussi bien par la Cour de cassation pour les litiges concernant la médecine de ville ou les cliniques et hôpitaux privés que le Conseil d’Etat (hôpitaux publics et praticiens exerçant dans le secteur public).

Déjà, quelques familles, contestant cette atteinte aux principes du droit qui veulent qu’un préjudice né d’une faute (contractuelle ou non) soit intégralement réparé ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme … je n’ai malheureusement pas suivi ces affaires si tant est que la Cour ait déjà statué.


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