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Dans la peau de Caden Cotard, de Charlie Kaufman, et de bien d’autres…

Publié le 22 avril 2009 par Boustoune


La Synecdoque (synecdoche, en anglais) est une figure de style littéraire, proche de la métonymie, qui consiste à remplacer, dans le cours d’une phrase, un substantif par un autre possédant le même sens.
Mais si la métonymie est le changement qualitatif d’un mot par un autre, la synecdoque repose, elle, sur une notion plus quantitative. Le principe est de nommer le tout pour désigner une partie, le genre pour désigner l’espèce, le nom commun à la place du nom propre… - dans ce cas, on parle de synecdoque « généralisante » - ou au contraire de nommer la partie pour désigner le tout, l’espèce pour désigner le genre, le nom propre pour désigner le nom commun – on parle alors de synecdoque particularisante…
C’est également le procédé employé par Charlie Kaufman dans Synecdoche, New York, histoire au départ assez intimiste, centrée sur un personnage, son double de fiction, qui va peu à peu déboucher sur une structure complexe, foisonnante, riche en personnages et en thématiques abordées, représentant le bouillonnement créatif d’un auteur et, de façon plus générale, la vie…
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Partant du principe qu’une œuvre artistique est toujours le reflet de la personnalité de son auteur, il s’est créé une sorte d’alter-ego, un auteur et metteur en scène de théâtre newyorkais du nom de Caden Cotard. Ce dernier traverse une mauvaise passe. Sa carrière est au point mort, engluée dans une routine d’écriture pépère - des pièces pour de vieux intellos de banlieue. Son épouse, artiste peintre a eu l’opportunité de développer sa carrière à Berlin et l’a quitté sans aucun remords, emmenant au passage leur petite fille, Olive. Il croit pouvoir se consoler dans une liaison avec la séduisante Hazel, une jeune femme très nature et directe, mais la relation tourne court. Caden est trop dépressif et encore obsédé par sa femme. Il est de surcroît en proie à de mystérieuses crises d’angoisse – sans doute de l’hypocondrie. Il se persuade qu’il va bientôt mourir, et réalise qu’il n’a écrit aucune pièce majeure, rien à laisser à la postérité. Il se lance alors  dans un ambitieux et pharaonique projet. Restituer sur scène l’essence de la vie, l’essence de sa vie. Alors il lui faut recréer fidèlement le réel. Il s’installe dans de gigantesque hangars, dans lesquels il reconstruit son appartement, puis son immeuble, puis les bâtiments voisins, et enfin un pan entier de la ville. Il choisit un acteur capable de jouer son rôle et commence à lui faire répéter des scènes issues de sa propre vie.
Cela devient vite incontrôlable, car le montage de la pièce fait partie de la vie de Caden, et doit aussi être recréé sur scène. L’acteur qui joue Caden au théâtre doit lui aussi être représenté dans la pièce. Et ainsi de suite, dans une vertigineuse cascade d’événements. Du coup, l’œuvre se retrouve en expansion perpétuelle, impossible à achever. Et les choses se complexifient encore avec le temps, les personnages vieillissant. Car, contre toute attente, la mise en chantier de ce projet insensé va prendre des années. Une vie…
Le génie de ce script complètement fou est de mêler aussi brillamment l’intime et l’universel. L’histoire de Caden Cotard est forcément intégrée à un ensemble d’histoires diverses et variées, qui elles-mêmes sont des pièces d’un gigantesque puzzle. Comme le comprend le metteur en scène «Il y a des millions de gens dans le monde et aucun d’eux n’est un figurant. Chacun est le premier rôle de sa propre histoire ». Mais dans le même temps, la seule histoire de Caden est emblématique de toutes les autres. On y rencontre l’amitié, l’amour, le dépit et les ruptures, la dépression et les joies, la filiation et la paternité. On voit partir des êtres proches. On éprouve la douleur morale ou physique, la maladie, la peur de vieillir, la peur de mourir… Il est impossible de restituer avec exactitude la vie réelle dans une œuvre – le film montre bien la frustration qui naît de cette impuissance, ainsi que les affres de la création artistique. Mais, et c’est tout l’intérêt d’une synecdoque, une vie particulière peut représenter la vie en général…
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La mise en abîme est d’autant plus admirable que Charlie Kaufman s’est lui-même projeté dans le personnage de Caden Cotard, et laisse transparaître un peu de sa personnalité et de sa sensibilité d’auteur. Qui d’autre que le scénariste des brillants Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry, de Dans la peau de John Malkovich ou Adaptation de Spike Jonze, pouvait oser s’aventurer sur un terrain aussi glissant que cette histoire complètement folle, complexe et foisonnante ?
Certains ne se sont d’ailleurs pas gênés pour fustiger les ambitions un brin mégalomanes de Kaufman, et déplorer le côté trop alambiqué de la structure narrative du film, qui risque de perdre en route certains spectateurs.
Ce sont toujours les mêmes critiques qu’essuient les auteurs visionnaires, les David Lynch, David Cronenberg, Peter Greenaway et consorts. Il y aura toujours des imbéciles pour leur reprocher leur singularité, leur anticonformisme, ainsi que la trop grande complexité de leurs œuvres, pas accessibles à un grand public formaté à coups de films « pop-corn » décérébrés…
Oui, imbéciles, car ils passent complètement à côté des subtilités de ces œuvres, dont plusieurs visions ne suffisent pas à en épuiser les richesses.
Certes, on peut regretter que Kaufman, dont c’est la première réalisation, ne possède pas encore le style ou le brio narratif d’un Jonze ou d’un Gondry, qui lui auraient permis d’alléger un peu une mécanique de plus en plus imposante. Mais le film est malgré tout une formidable réussite, qui aborde frontalement un nombre impressionnant de thématiques, et pas des plus simples… Il y a plus de richesse dans dix minutes du film de Kaufman que dans bien des productions américaines actuelles. Et plus d’émotion, aussi, quoi qu’en disent les critiques aigris, frustrés de n’avoir pas tout compris. Certaines scènes sont en effet absolument bouleversantes.
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C’est là tout l’intérêt d’avoir fait signer de prestigieux acteurs pour incarner les personnages du film. Philip Seymour Hoffman est une fois de plus impressionnant dans le rôle de cet auteur au bord de la folie, qui s’accroche à son art comme à une bouée de sauvetage. Il confère à Caden son apparence à la fois bonhomme et inquiétante, qui a déjà fait des étincelles dans de nombreux films. A ses côtés, un casting de rêve : Catherine Keener en épouse pas franchement dévouée, Samantha Morton en femme amoureuse, mais injustement ignorée, Hope Davis en psy rigide, Michelle Williams en actrice investie. Plus Jennifer Jason Leigh, plus Emily Watson, plus Diane Wiest,… En gros, le top des actrices jouant dans les films indépendants. Rien que pour cela, le film de Charlie Kaufman vaut le déplacement…
Complexe, déroutant et exigeant du spectateur une attention constante, voire un brin d’imagination pour combler les nombreuses ellipses du scénario, Synecdoche, New York est à conseiller à un public cinéphile averti, mais saura aussi séduire les spectateurs curieux de vivre des expériences cinématographiques différentes. Si vous avez aimé Dans la peau de John Malkovich, le plus célèbre des scripts imaginés par Kaufman, je ne saurais que trop vous conseiller d’aller voir ce film injustement boudé par la critique et le jury du 61ème festival de Cannes…
Note : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile


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