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"L'Affaire Farewell"

Par Loulouti

A la fin des années 80 le système politique de gouvernance mis en place par l’ex-URSS a volé en éclats. Les pays qu’on appelait autrefois "satellites" ont basculé tour à tour dans la démocratie au prix de révoltes sanglantes ou de révolutions de palais ou plus exactement de "salon" selon l’expression consacrée.
A partir de faits avérés, Christian Carion revient dans son long métrage "L'Affaire Farewell" sur l’un des plus mystérieux épisodes de la fin de la guerre froide quand un militaire de haut rang appartenant au KGB choisit de trahir la mère patrie et livra de manière méthodique de précieuses informations sur le système mis en place par les espions russes à l’étranger pour tout connaître des recherches scientifiques, industrielles et militaires occidentales.
Sergueï Grigoriev (Emir Kusturica), Colonel au KGB, est déçu par la situation politique de son pays et souhaite qu’un vent nouveau souffle. Il contacte Pierre Froment (Guillaume Canet), jeune ingénieur chez Thompson pour lui donner des informations sur l’espionnage pratiqué par les agents russes en poste dans les pays d’Europe de l’ouest et d’Amérique du Nord.
Les services français et américains de contre-espionnage sont informés sans délais et l’affaire remonte jusqu’à l’Élysée et à la Maison Blanche. La source russe, baptisée  "Farewell" devient une mine d’or d’informations en tout point décisives.
Pierre Froment se retrouve placé au centre d’une affaire d’espionnage. L’apprenti espion doit mentir en permanence à sa femme Jessica (Alexandra Maria Lara). Grigoriev quand à lui rencontre des problèmes de couple avec son épouse Natasha (Ingeborga Dapkunaite) et entame une liaison extra conjugale.
J’ai toujours apprécié les films d’espionnage. La culture du secret, les univers parallèles ont le don de me séduire. C’est le mystère qui fascine. La vérité révélée est souvent plus fade et plate que la zone d’ombre qui entourait une affaire.
Dans
"L'Affaire Farewell" nous nous retrouvons de l’autre côté du rideau de fer à une époque où le géant communiste commençait à vaciller sur son piédestal. Le spectateur voit évoluer des femmes et des hommes de l’ombre qui oeuvrent en silence pour mettre à mal les démocraties d’occident.
La première réussite du film de Christian Carion est de gagner la bataille de la simplicité et de l’efficacité. Le film est dépoussiéré de toutes les idées reçues et lieux communs propres aux films d’espionnage. 
Le thriller politique se double également d’une chronique domestique on ne peut plus banale. Le Colonel russe et l’ingénieur français connaissent les affres de la vie de couple. Le metteur en scène français mélange et confronte ces deux univers bien distincts avec un juste équilibre. L’ordinaire et l’extraordinaire coexistent harmonieusement et se nourrissent l’un l’autre.
Sans effet de mise en scène gratuite, le réalisateur met en place, à partir de faits réels véridiques, un univers de fiction parfaitement crédible. Son monde de l’espionnage tient la route. Nous assistons aux rencontres discrètes entre les grands de ce monde (F. Mitterrand et R. Reagan), à l’échange d’informations entre services occidentaux coopérants. Christian Carion prend le temps de nous divertir et de nous informer en même temps.
L’histoire fascine car elle obéit à une mécanique parfaitement bien huilée. D’emblée nous savons que le moment choisi (le début des années 80) apparaît à posteriori comme évidemment charnière pour le monde dit libre. Le climat si particulier du film doit beaucoup, comme je l’ai dit précédemment, à la superposition et à la juxtaposition d’événements publics et de faits privés.
Sans fard le réalisateur dépeint un monde où capitalistes et communistes se rendent coup pour coup. Comme le dit l’adage populaire "L'important est d'aboutir et les moyens n'importent guère". Au final la CIA abandonne ce Colonel Russe à sa triste destinée pour sauver un réseau tout entier. La demie mesure et le juste milieu n’existent pas dans l’espionnage. Les décisions prises sont irrévocables et irréversibles.

"L'Affaire Farewell" est bâtie sur une relation technique, mécanique entre une source et son contact qui se transforme en une véritable amitié. La thématique de l'estime mutuelle traverse le film de part en part et transcende les différences de milieu, de vie et de mode de pensée.
Christian Carion attache beaucoup d’importance au matériau humain. Ses personnages, relativement peu nombreux, sont entiers, vrais mais surtout authentiques. Les femmes ne sont pas reléguées au second rang comme de vulgaires potiches décoratives. Les liens de couple, les disputes, l’amour qui perdure entre les êtres sont exposés avec beaucoup de respect et de pudeur. Même s’il s’agit d’un film d’espionnage, le réalisateur n’oublie pas que les sentiments, les émotions, les peurs guident les protagonistes.
Les années 80 bénéficient d’une fidèle reconstitution historique. Le contexte politique français (l’arrivée de Ministres communistes dans le premier gouvernement socialiste de mai 1981), les relations difficiles entre la France et les Etats-Unis (malgré de nombreux conciliabules officieux), le Moscou des années 80 (reconstitué en grande partie en Ukraine et en Finlande) sont autant de petites touches appliquées ici ou là qui donnent son cachet de véracité à l’œuvre.
Philippe Magnan joue un François Mitterrand impressionnant au détour de quelques scènes et le très grand Fred Ward campe un Ronald Reagan plus vrai que nature. La ressemblance est criante de vérité.
Tout cela pour dire que le spectateur croit vraiment à ce qui se déroule sous ses yeux.

"L'Affaire Farewell" n’est pas un film d’action aux péripéties diverses et variées, aux incessants rebondissements même si une certain tension latente s’insinue au fur et à mesure.
Le film de Christian Carion accorde une place importante aux confrontations directes entre les personnages et par voie de conséquence aux échanges verbaux qui en découlent. Les dialogues sont fins. Paradoxalement dans un univers où le silence est important, la parole compte beaucoup ici.
Les situations (la torture mentale et physique par exemple) sont envisagées sous un angle d’attaque ultra réaliste. Christian Carion va droit au but dans sa démarche et certaines des séquences du film sont plus évocatrices que des dizaines de pages extraites des manuels d’histoire.
Guillaume Canet est impeccable dans le rôle de cet ingénieur français embrigadé malgré lui dans une situation qui le dépasse. Les doutes, les hésitations et les peurs de son personnage sont rendus avec beaucoup de justesse.
Alexandra Maria Lara et Ingeborga Dapkunaite apportent une touche de grâce dans cet univers masculin si intransigeant. Elles campent des épouses si différentes et si semblables à la fois. Les relations de deux couples obéissent à des lois immuables. Le mensonge divise, la vérité réunit.
Willem Dafoe interprète un directeur de la CIA intransigeant, décidé et cynique à la fois. Niels Arestrup joue un directeur de la DST avec la classe qui lui sied habituellement.
Mais la véritable révélation du film est l’extraordinaire prestation d’Emir Kusturica en tant qu’acteur. Le réalisateur serbe a de la prestance, de la fougue dans son jeu. Son impressionnant physique, son visage buriné servent admirablement bien un personnage, héros pour les uns, traître pour les autres, désenchanté par un système politique, qui éprouve les pires difficultés dans sa vie de mari et de père. Son amour de la culture française lui donne une sorte de touchante sensibilité et un capital sympathie incroyable.

"L'Affaire Farewell" est un long métrage abouti, très bien construit, mis en scène de manière remarquable sans jamais se permettre de facilité ni de raccourci simpliste. Christian Carion soigne ses personnages et la dynamique de son film. Le metteur en scène trouve un juste milieu entre le propos et l’image.
Son travail est applaudir des deux mains avec chaleur.

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