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Nicolas Sarkozy : « Mettre un terme à la désindustrialisation ».

Publié le 10 mars 2010 par Copeau @Contrepoints
Nicolas Sarkozy : « Mettre un terme à la désindustrialisation ».

Le Président de la République remet sur la table la question de la politique industrielle. Ce n'est pas nouveau dans notre pays : depuis Colbert il est établi que l'Etat sait mieux que les entreprises ce qu'elles doivent produire et comment. Nicolas Sarkozy ne manque pas une occasion d'inciter (voire d'obliger) les industriels à produire ici ou là, ceci ou cela. Mais au-delà du traditionnel colbertisme, voici maintenant un concert de lamentations sur la « désindustrialisation » du pays. « Je refuse la France sans usines » dit le Président. Mais pourquoi les entreprises industrielles sont-elles menacées ? Sans doute le dirigisme leur fait-il plus de mal que de bien, car aider les entreprises à se survivre au lieu de les laisser s'adapter au marché est une erreur. Mais il y a aussi une évolution universelle des consommations et des techniques, qui pousse à réduire les activités et les emplois dans les industries traditionnelles pour les déplacer ailleurs.

2 millions d'emplois industriels perdus en trente ans

Le document de travail que vient de publier la direction générale du trésor et de la politique économique (DGTPE) du ministère de l'économie (sic) s'intéresse à l'évolution de l'industrie française de 1980 à 2007. Bilan sans appel : 2 millions d'emplois perdus en près de trente ans. Conclusion : la France se désindustrialise. Impensable, dit l'Etat : il faut réindustrialiser, grâce à « une nouvelle politique industrielle », voulue par Nicolas Sarkozy.

Il serait pourtant bon de faire la part des choses. Faut-il se désoler que la France perde des emplois et que le chômage augmente ? Oui. Faut-il se désoler qu'elle perde des emplois industriels ? Non. Nos experts et nos politiques oublient qu'on ne produit pas pour produire, mais pour s'adapter aux évolutions de la demande, qui change dans le temps avec la hausse du revenu. Il y a deux siècles, 90% des Français travaillaient dans l'agriculture ; ils sont 3% aujourd'hui. Faut-il recréer les emplois agricoles de nos ancêtres, supprimer les tracteurs et les moissonneuses batteuses, utiliser la faux, voire la faucille, et, comme tout le monde ou presque retournera travailler dans l'agriculture, ne plus fabriquer de voitures ou d'avions, de TV ou de machines à laver, ne plus soigner, enseigner, distraire, ne plus rendre de services à domicile ni permettre aux gens de voyager (sauf en diligence ou en voiture à cheval) ?

Ce serait stupide ! Pas plus que de regretter aujourd'hui la plupart de nos emplois industriels. Il est vrai qu'il n'y a plus que 3,4 millions de Français à travailler dans l'industrie et le secteur manufacturier ne représente plus que 16% de la production nationale. Avec la hausse des revenus, les achats se sont déplacés de l'agriculture vers l'industrie et de l'industrie vers les services. Non pas que nous ne mangions plus ou que nous n'achetions plus de biens matériels, mais nous les produisons avec moins de main d‘œuvre. S'il y a un problème, un vrai, de l'économie française, ce n'est pas la destruction des emplois industriels, c'est que le relais ne se fait pas suffisamment par des emplois tertiaires : les créations ne compensent pas les destructions.

Destruction créatrice ou destruction destructrice ?

La vie économique change à chaque instant et elle est faite de ce que Joseph Schumpeter appelait la « destruction créatrice ». Chaque jour en France en moyenne 10 000 emplois disparaissent, soit 3 à 4 millions par an ! Mais chaque jour on en créé 10 000 nouveaux, un peu plus quand ça va bien, un peu moins quand ça va mal, et le chômage n'augmente pas parce que des emplois sont détruits, mais parce que les nouveaux emplois créés sont moins nombreux. Chez nous, c'est la destruction destructrice et non pas créatrice. C'est là-dessus qu'il faudrait s'interroger : pourquoi en France ne crée-t-on pas plus d'emplois dans tous les secteurs nouveaux vers lesquels la demande s'est déplacée ?

La réponse est connue : trop de charges, trop d'impôts, trop de bureaucratie, trop de régulation, trop d'Etat : c'est sur cela que le président devrait s'interroger et non pas en défendant avec la dernière énergie et à grands frais les emplois en voie de disparition. Voulons-nous conserver ce qui est en voie de disparition, voire ressusciter ce qui a disparu ? Telle est la véritable question qui suscite tant de conflits sociaux, et qui émeut nos gouvernants au point que dans les conflits récents, l'Etat donne toujours raison à ceux qui défendent le passé -et leurs avantages acquis- et jamais à ceux qui préparent l'avenir, avec les emplois de demain.

L'industrie, c'est du concret

Il y a ici aussi la survivance, en France, des idées matérialistes du marxisme. Au 18° siècle, les physiocrates pensaient que seule l'agriculture était productrice, le reste relevant de « la classe stérile ». Avec Marx au XIX° siècle, on a pensé que seul le secteur matériel était productif, ce qui expliquera plus tard pourquoi les « improductifs » du secteur tertiaire étaient moins payés dans les pays socialistes que les « productifs » de l'industrie.

Certains chez nous n'en sont-ils pas restés un peu là ? Pourtant, depuis les explications de Jean-Baptiste Say, puis Fréderic Bastiat, tous devraient comprendre que la matérialité de la production n'a aucune importance ; ce qui compte, c'est de savoir si on rend un service à un client. Un médecin, un enseignant, celui qui tient un restaurant, organise un spectacle, s'occupe de culture, nous permet de partir en vacances ou s'occupe de nos loisirs, ou des personnes âgées dépendantes, ou encore Internet, le téléphone, la télévision, le cinéma, la chanson, la musique, l'art : tout cela serait-il inutile, futile, ou improductif et moins noble que fabriquer des machines à laver ? Tenir la désindustrialisation pour un drame, c'est se tromper sur la nature de la richesse, qui n'est pas possession d'un bien tangible, mais réponse à un besoin. C'est la demande du client qui donne sa valeur à un produit et en fait une richesse.

D'autre part, qu'appelle-t-on un « bien industriel » ? Le coût de production d'une automobile intègre aujourd'hui près de 80% de services : recherche, conception, essais, publicité, communication, commercialisation, distribution, transport, garanties, emprunts, etc. Or ces dépenses, le plus souvent « externalisées » parce qu'engagées auprès de firmes qui apportent ces services, ne sont pas comptabilisées au titre des « produits industriels ». Dans les vieilles usines, où l'on fabriquait tout depuis la matière première jusqu'au produit fini, tout était « industriel ». Mais qu'en est-il aujourd'hui ?

Faut-il s'inquiéter pour l'industrie française ?

Si la désindustrialisation est un phénomène généralisé, elle est peut-être plus mal vécue et gérée en France que chez certains de nos voisins, notamment les Allemands, et les causes de cette situation sont certainement inquiétantes.

Le rapport de la DGTPE nous apprend que la France a une part de production industrielle dans le PIB plus faible que les pays de même niveau, comme ceux de la zone euro : la moyenne est à 22,4%, l'Allemagne est à 30%, nous ne sommes qu'à 16%. Le rapport donne une explication : on n'investit pas assez en recherche et développement, ni dans les secteurs à haute technicité que les pays émergents ne maîtrisent pas encore (il suffit de comparer la faiblesse des exportations industrielles françaises par rapport à celles de l'Allemagne) : toujours notre obsession de conserver ce qui est en train de disparaître. Voilà pourquoi nos parts de marché à l'exportation de produits manufacturés s'effritent inexorablement.

La mondialisation n'est pas en cause si l'on considère que parler d'un « produit français » ne veut plus dire grand chose tant les productions sont mondialement imbriquées ; et s'il y a eu des délocalisations (15 000 emplois par an, soit l'équivalent d'une journée et demie de pertes d'emplois !) il y a eu des investissements étrangers dans l'hexagone. De toutes façons, nos échanges avec les pays émergents représentent à peine 2% de notre PIB ! Le rapport est donc très prudent : son impact sur « l'emploi apparaît plus difficile à évaluer compte tenu de la relation complexe qui existe entre importations et production domestique ».

En réalité, la désindustrialisation ne serait pas vécue comme un drame si elle ne se produisait pas dans un pays en plein déclin économique, si la mobilité de la main d'œuvre n'était pas considérée comme de la précarité, si la circulation des capitaux et la restructuration des entreprises ne passaient pas pour de pures spéculations. Ajoutons au tableau la réglementation, la fiscalité, les charges sociales, la bureaucratie : l'Etat français étouffe l'esprit d'entreprise et l'innovation indispensables aux reconversions.

Vouloir mettre un terme à la désindustrialisation risque d'aggraver encore la situation de notre économie ; de mauvais diagnostics et de mauvais remèdes conduisent à de mauvais résultats. Il faut accompagner la désindustrialisation par un retour à la libre entreprise.

Article de la Nouvelle Lettre, repris avec l'aimable autorisation de Jacques Garello, directeur de publication. Image : Nicolas Sarkozy en décembre 2005. Photo de Kenji-Baptiste OIKAWA sous licence CC paternité.

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