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Ciel ! Une puce dans mon yaourt !

Publié le 26 juillet 2010 par Anne Onyme

(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique).

Petit hommage à mon ami Alain Grosmangin, rappelé à Dieu comme l’on dit dans nos contrées, il n’y a pas si longtemps...

La carte à puce est aujourd’hui entrée dans notre quotidien : cartes bancaires, télécartes, carte vitale, carte de décryptage de télévision satellitaire, cartes privatives d’enseignes commerciales , etc..  Mais il n’y a pas si longtemps, elle n’existait pas... Et nos «digital natives» ont peine aujourd’hui à imaginer comment pouvait-on vivre à l’époque..  Dans ces temps encore obscurs en effet, il fallait par exemple faire la queue dans votre agence de banque pour retirer du cash... Pour payer le restaurant, faire ses courses... Et les agences de banques, comme nos administrations, n’étaient ouvertes que peu de temps dans la journée... Il faut ce qu’il faut... Ils ne sont pas des boeufs quand même..
La carte a changé tout cela en permettant par exemple de retirer de l’argent à toute heure du jour ou de la nuit.. Mais cela ne c’est pas fait en un jour.. 
Petite histoire rigolotte qui m’est arrivée, au début de la mise en marché de la carte à puce..
Roland Moreno, ex-employé aux écritures au Ministère des Affaires sociales (c’est à noter ! comme quoi être fonctionnaire laisse du temps pour inventer...), Roland donc invente la puce en 1974. Son idée consistait à intégrer dans l’épaisseur d’une carte plastique, un circuit intégré. A savoir un microprocesseur doté d’un connecteur extra-plat permettant une connexion facile avec des matériels extérieurs (lecteurs par exemple à une caisse de supermarché; distributeur de billets : les fameux DAB; etc..). Le tout étant en principe hautement sécurisé.
Au début des années 1980, Bull, Philips et Schlumberger font les premières expériences de cartes de paiement.
A la Compagnie Bancaire où j’exerçais mes modestes talents, je suivais cela de très près. Mes amis du Cetelem, fleuron du groupe Compagnie Bancaire, avaient en effet lancé en 1985 leur carte Aurore, qui est une carte de crédit revolving. Simple carte cartonnée si je me souviens au tout début, plastifiée ensuite.
Et à suivre un peu toutes ces expériences qui se passaient de-ci de-la avec la puce, nous étions quelques uns à nous demander s’il ne fallait insérer une puce dans la carte Aurore.. Comment ? Pourquoi quels services ? Quels coûts ?
Un jour donc, avec mon ami Alain Grosmangin, nous avions pris rendez-vous chez Bull pour essayer d’en savoir plus.... Cela devait être dans les années 86-87.
Alain était à l’époque «l’homme de la télématique» Cetelem. Grâce au Minitel que les commerciaux du Cetelem avaient installé dés 1983 dans les magasins qui distribuaient ses solutions de crédit, le Cetelem avait quasiment doublé sa part de marché en l’espace de 2 ans ! Comme quoi il faut faire très attention aux évolutions technologiques (cela fera l’objet d’un prochain «Conte de l’Internet»). Alain ne parlait pas beaucoup. Il ponctuait généralement une conversation par un «ouais» sympathique. Mais il ne détestait pas cependant de temps à autre commenter un thème dans une conversation, voir même donner son avis. En rallumant une cigarette. Car il fumait beaucoup. Cigarette sur cigarette. Il fumait tellement que cela commençait à enfumer le Paradis. Dieu le Père, qui commençait à toussoter avec cette fumée, se dit dans sa grande sagesse, qu’il faudrait le rappeler à lui le plus tôt possible. Avant qu’il n’enfume complètement son Elysée. Il chargea donc de la chose son responsable Sécurité, Nicolas Tine, que l’on appelait familièrement Nico dans les allées paradisiaques du Jardin d’Eden. Nico avait pris sont temps : Alain nous a quitté il n’y a pas si longtemps.
La «business unit», comme on dit maintenant de Bull dans le domaine de la carte se trouvait à Trappes en grande banlieue parisienne...  Elle était dirigée par Hervé Nora (à ne pas confondre avec Simon Nora du rapport Nora-Minc) et son assistante Victoire Chaumont, très connue dans le milieu de la carte à puce à l’époque..
Je ne me souviens plus si Hervé était venu nous saluer.. Toujours est-il que Victoire nous a expliqué ce qu’il en était. Le comment, le coût, les usages, les marchés... Qui étaient les premiers clients ? Etc..
Comme l’heure avançait dans la matinée, elle nous a gentiment invité à déjeuner à la cafétéria de l’entreprise. Et pour nous montrer l’un des usages possibles de la carte à puce, elle nous avait fait établir à chacun une carte à puce pour rentrer au restaurant en tant qu’invité par elle. Mais les collaborateurs de Bull, qui avaient aussi chacun une carte, payaient réellement. Plus besoin de tickets sur support papier, de trucs cartonnées et autres bidules tout aussi exotiques pour se restaurer dans les cafétérias d’entreprises..
Bref, déjeuner sympa... Et pour une fois, mon ami Alain est sorti de sa réserve habituelle, et a posé des tas de questions à Victoire pendant le déjeuner. Comme je n’avais pas à soutenir la conversation et que je le sentais intéressé par le sujet (effectivement si des décisions étaient prises au Cetelem c’est probablement lui aurait été chargé de la mise en oeuvre), je me suis donc bien gardé d’intervenir. J’avais fait mon boulot: repérer la technologie émergente qui aurait pu nous être utile, trouver la personne idoine dans le domaine, et mettre en relation la dite personne avec celle qui pourrait être la plus intéressée dans ma société. Ce dernier point n’était d’ailleurs pas le plus facile..
J’ai donc pu déjeuner plus vite que nos amis. En arrivant au dessert : un yaourt, je me suis dit qu’il serait plus poli d’attendre, vu qu’il en étaient encore au plat principal. J’avais ouvert le pot de yaourt... Et pour passer le temps, je me suis à inspecter sur toutes les coutures la carte à puce de Bull... Et en testant la rigidité de la dite carte en la ployant, la puce est sortie de son logement. Et après un joli saut de puce, a atterri ... dans mon yaourt...
Alain, comme a son habitude resta de marbre, avec une tête toutefois qui montrait qu’il gloussait intérieurement. Victoire, elle, devint blême...  Car le groupe Compagnie Bancaire pouvait être pour Bull un gros marché... Et nous dit, que le technicien qui avait mal serti le micro-processeur entendrait parler du pays...
Comme quoi la mise en marché d’une nouvelle technologie dans les sociétés humaines n’est pas si simple que cela.. Non seulement il y a des problèmes d’usages, des freins divers et variés, des gens qui n’ont pas intérêt à ce qu’une nouvelle technologie se mette en place, mais en plus, il y a des points de colle qui ne tiennent pas... Je ne sais pas trop si au Paradis d’aucuns inventent aussi des trucs... Enfin, si vous y allez avant moi, demander donc au guichet à rencontrer Alain (à la différence des banques le guichet du Paradis est toujours ouvert) ... Dites que vous me connaissez, il vous racontera comment cela se passe chez Dieu le père, et vous proposera sûrement un p’tit business... Merci de ne pas lui offrir de cigarettes...

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