Magazine Culture

Lire en albanie

Publié le 28 juillet 2010 par Abarguillet

LIRE EN ALBANIE

Lettres écrites sous la botte d’Enver Hodja

De Grèce, poussons la porte de l’Albanie restée si longtemps fermée à double tour isolant le pays de toutes intrusions ou ingérences extérieures et le laissant à la totale merci d’un dictateur impitoyable, Enver Hodja. Et, c’est un apparatchik de ce régime qui nous accueillera, Dritëro Agolli, aussi célèbre en Albanie qu’Ismaïl Kadaré, après, toutefois, avoir opéré un virage politique et idéologique significatif. Il nous conduira à la rencontre de ces écrivains qui ont eu maille à partir avec le régime et qui ont connu soit l’exil comme Luan Starova, aujourd’hui diplomate en Macédoine, la disgrâce comme Ismaïl Kadaré ou le deuil et la prison comme Bashkim Shehu dont le père fut suicidé. Ces Albanais nous donneront un regard un peu externe puisqu’ils vivent désormais presque tous à l’étranger, Starova en Macédoine, Kadaré en France, Shehu à Barcelone. Toutefois Agolli nous permettra de pénétrer au cœur de ce pays énigmatique.

L’homme au canon

Dritëro Agolli (1931 - ….)

« Voici donc l’œuvre enfin restituée sous sa forme authentique, celle d’un noble et vrai roman populaire, délivré de tout ce qui l’étouffait jusque-là. Exit l’idéologie, place aux seuls comportements humains. » En effet, il faut savoir, avant d’aborder ce livre, qu’Agolli a été pendant plusieurs années Président de l’Union des écrivains et artistes d’Albanie sous Enver Hodja et qu’il fut ainsi considéré, à juste titre, comme un apparatchik du régime. Ce roman publié en 1975 a donc été récrit et débarrassé de toute la propagande qui alourdissait considérablement l’intrigue.

Ce livre, c’est l’histoire d’un brave paysan albanais, pendant le dernier conflit mondial, qui voit un jour des Italiens s’enfuir en abandonnant un canon. Il revient la nuit, avec mule et bœuf, pour prendre ce canon et les munitions qui lui sont nécessaires. Il a une idée bien précise sur l’usage qu’il va en faire et il refuse de le remettre à la résistance, car en Albanie, les Italiens, puis les Allemands qui les remplacent, ne sont que des ennemis de circonstance, les vrais ennemis, ceux qu’on déteste pendant des générations, ceux qui ont martyrisé la famille, exterminé les ascendants, sont les membres du clan adverse qu’il faut éradiquer pour laver l’affront dans le sang afin de pouvoir se présenter devant les ancêtres, le jour venu, l’âme en paix.

Malto cache donc son canon en apprenant son fonctionnement avec un prisonnier italien que les résistants lui ont confié et un jour il peut en faire l’usage qu’il attendait depuis si longtemps, déclenchant ainsi toutes les haines latentes qui bouillonnent dans le village. Les « balistes » qui soutiennent les occupants allemands et les forces nationalistes, s’en prennent aux résistants rouges brouillant les lignes de clivage entre les clans et provoquant une joyeuse pagaille dont les plus excités profitent pour régler de vieilles additions.

A travers cette histoire qui exalte la vaillance, la bravoure et le courage des Albanais face à l’occupant, Agolli dénonce ainsi l’héritage des vendettas ancestrales qui divisent les populations en faux clivages car les véritables fractures sont celles qui séparent les rouges des traîtres qui pactisent avec l’ennemi fasciste. Et, même si le livre a été sérieusement expurgé, on sent encore la propagande qui devait convaincre les Albanais de s’unir, dans une fière nation, face aux forces de ces fascistes qui incarnent le mal.

Toutefois, ce roman ne s’arrête pas au niveau simpliste d’une propagande primaire, il met en scène des personnages étonnamment authentiques, Malto est un homme de la terre, un vrai, car il vit réellement comme un homme de la campagne avec ses animaux domestiques et son environnement qu’il respecte. Agolli devait, lui aussi, bien connaître ces campagnes albanaises car son roman sonne juste et les vendettas ne devaient pas lui être totalement étrangères car elles sont fort crédibles. Une petite odeur de pacifisme flotte au-dessus de ce roman, comme ces relents de guerre qui ne concernent nullement ces paysans préoccupés par les seuls conflits qui opposent leurs familles et par les maigres récoltes qu’ils doivent arracher à une nature pas très généreuse.

Agolli souhaiterait que ces braves paysans subissent moins leur vie, et les manipulations dont ils sont les victimes, et en soient plus acteurs car « … la vie n’est pas seulement comme on la prend, elle est aussi comme on la fait. »

Le rivage de l’exil  de Luan Starova  ( 1941 - ... ) 

Luan Starova est né en Albanie mais sa famille a dû fuir le pays, quand il était encore un jeune enfant, en traversant le lac d’Ohrid qui unissait, à cette époque, la Yougoslavie, la Macédoine et l’Albanie. C’est le récit de cet exil que raconte Starova dans ce roman qui évoque cette fuite perpétuelle, la famille devant sans cesse changer de lieu d’existence tout en conservant toujours son attachement à la patrie natale que l’on peut voir en ne s’éloignant jamais des rives du lac. Le père, lui, conserve sa collection de livres qu’il a emmenée dans cet exil, et la mère ajoutera à chaque étape la clé du dernier logement quitté comme pour garder un souvenir du lieu mais aussi pour figer dans la matière cet itinéraire d’errance qu’il faudra pouvoir raconter quand elle rentrera au pays. Mais le retour au pays n’est encore qu’un espoir bien hypothétique au moment où Starova raconte cette histoire. On sait qu’il est devenu un personnage important en Macédoine, il y est membre de l’Académie, et il occupe des fonctions officielles notamment diplomatiques. Ses livres sont écrits en macédoniens mais aussi en albanais.

Le crépuscule des dieux de la steppe  de Ismaïl Kadaré  ( 1936 - ... )

Dans ce livre, Ismaïl Kadaré met en scène un étudiant albanais, Constantin, qui poursuit ses études à Moscou mais le climat n’est pas au beau fixe entre son pays d’origine et celui qui l’accueille. Le roman raconte la période au cours de laquelle Boris Pasternak faisait un scandale en URSS avec son « Docteur Jivago ». Constantin quand il rentre d’un séjour à Riga, sent brusquement un changement dans son environnement, on devient froid avec lui, on le tient à distance, l’Albanie n’est plus dans la ligne du parti. Constantin c’est un peu Kadaré lui-même, peut-être même beaucoup, et, à travers ce livre, il raconte, en fait, la rupture entre Moscou et Tirana comme il racontera plus tard, dans un autre roman, la rupture entre la Chine et l’Albanie. Kadaré est certainement l’écrivain albanais le plus connu et il figure régulièrement dans la liste des nobélisables.

L’automne de la peur  de Bashkim Shehu  ( 1955 - ... )

Bashkim Shehu est le fils de l’ancien premier ministre d’Enver Hodja, Mehmet Shehu, qui a été « suicidé », en 1981, pour des raisons qui restent encore assez ténébreuses par les gens au pouvoir et à la botte du dictateur. Et, dans ce livre, Bashkim Shehu raconte comment, jeune homme encore innocent en matière politique, il a assisté à cet événement tragique auquel il ne comprenait rien et, surtout, auquel il ne trouvait aucune motivation. C’est à l’analyse de ce « suicide » qu’il nous invite pour nous faire comprendre comment ce suicide n’en est pas un mais bien un assassinat commandité par le pouvoir. Un document très intéressant pour comprendre un peu mieux ce pays resté longtemps totalement fermé aux étrangers et livré à la névrose d’un dictateur complètement isolé dans son monde de folie et de violence.

Pour consulter la liste complète des articles de la rubrique LITERATURE, cliquer  ICI


   

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Abarguillet 168 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine