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Douze Russes en colère

Par Timotheegerardin
Douze Russes en colèreArticle publié chez KINOK

Le film d'origine, Douze hommes en colère, était un huis clos au scénario et dialogues impeccables, et au rythme toujours tendu. Au-delà de ses indéniables qualités cinématographique, le film de Sidney Lumet était apprécié, et l'est encore, pour la façon dont il décortiquait les rouages de la conviction. Il y avait comme une science du comportement à montrer ainsi la manière dont une personne peut renverser la décision d'un jury. L'unité de temps et l'unité de lieu ne gâchaient rien à l'affaire, permettant de centrer le film sur le rapport entre les personnages et sur la mécanique de l'individu face au nombre – de un à douze jurés.

L'intrigue du film de Nikita Mikhalkov est une transposition de celle du film américain dans la Russie d'aujourd'hui. Nous avons un jeune Tchétchène accusé d'avoir tué son père adoptif, un officier russe à la retraite. Même schéma: tout accuse le garçon, sa culpabilité devrait aller de soi pour les douze jurés, et pourtant ils ne sont que onze à le déclarer coupable. L'adaptation semble d'abord si littérale qu'on se demande d'abord quel est son intérêt. L'histoire n'est-elle pas la même, dans la Russie des années 2000 ou dans l'Amérique des années cinquante? Comme dans le film de Lumet, l'anticonformiste va faire le poil à gratter, revendiquant pour le jeune homme un peu plus que les quelques secondes de délibérations semblant suffisantes au reste du jury. Puis on observera la vapeur se renverser.

Mais Mikhalkov s'emploie justement à faire de son film quelque chose de différent. Tout d'abord en faisant déteindre de toutes les manières possibles le contexte sur le lieu et le temps de l'action. Il esquive par exemple la contrainte de l'unité de lieu et de temps en insérant des flashbacks qui mettent en scène l'enfance du Tchétchène. Il y a donc une donnée émotionnelle en plus: l'accusé n'est plus un cas d'étude mais une personne, avec une histoire, un passé – et un futur, précisément objet de la décision à prendre. En quoi le film russe s'éloigne déjà de l'aspect théorique qui faisait en partie le charme de Douze hommes en colère. Premier élément accessible à la critique: qu'apporte cet ajout de lyrisme? Laissons le crédit de la cohérence à Mikhalkov, lui qui faire dire à l'un de ses personnages que les Russes ont moins besoin de lois que d'un certain respect humain. C'est aussi plus ou moins le sens de la citation finale, qui oppose la compassion à la loi. On comprend assez vite, en somme, que les débats seront moins raisonnables que passionnés.

Seconde chose importante, qui touche au contexte immédiat de l'intrigue: l'endroit dans lequel le jury est installé pour délibérer. La salle relativement neutre qui était utilisée dans le film de Sidney Lumet laisse place dans l'adaptation russe au gymnase d'une école. Un lieu clos, là aussi, mais plus grand. Il y a bien la table aux douze chaises, mais les personnages se déplacent, s'envoient des balles, s'assoient sur les barres symétriques, quand ils ne jouent pas aux fléchettes. Là encore, on se demande parfois si le réalisateur a été assez naïf pour croire que l'agrandissement de l'espace donnerait à la délibération plus d'ampleur dramatique. Il y a néanmoins une bonne idée dans ce lieu, c'est son aspect modulable, ou théâtralisable. Les jurés vont en effet essayer de reconstituer le lieu du crime pour mettre à l'épreuve les témoignages du procès. Ce théâtre dans le théâtre, autre façon d'éviter l'unité de temps et de lieu, est une belle manière de trait d'union avec les flashbacks – et surtout, toujours, une manière d'obéir à cette loi de commisération: des personnes qui n'en ont aucune envie sont contraintes de « faire comme si », de « se mettre à la place ».

Si ampleur il y a dans le film de Mikhalkov, elle est moins dans les moments censément lyrique (les flashbacks) que dans l'identification provisoire de ces moments avec ce que les jurés doivent vivre, imaginer et décider pendant leur délibération. Cela va jusqu'à des passages saugrenus, comme la danse au couteau du chirurgien caucasien, qui rappelle celle du garçon que l'on voit dans les flashbacks.

Le troisième élément de contexte qui est là pour démarquer 12 du film américain est la composition sociologique du jury. Attention, c'est là que ça se gâte. Du Russe xénophobe et antisémite au contrôleur simplet, en passant par l'oligarque mal occidentalisé, le melting pot n'est pas très ragoûtant, on se dit que Mikhalkov y est allé un peu fort. Mais le pire ce ne sont pas ces caricatures, le pire c'est le supplément d'âme que chaque juré est censé apporter: les douze, chacun leur tour, y vont de leur petite histoire personnelle. C'est long, souvent très ennuyeux, et les acteurs ne sont pas convaincants du tout. En voulant colorer l'intrigue d'une outrance qu'il a l'air d'attribuer à quelque âme russe, Mikhalkov n'est, avec sa direction d'acteurs, arrivé qu'à un bavardage fait de beaucoup de grimaces et de postillons.

De tous ces cabotinages, la cerise sur le gâteau est l'intervention du personnage joué par le cinéaste, à la fin du film. Il détient la science infuse (il est convaincu que l'accusé n'est pas coupable, mais ne le révèle qu'à la fin), fait la morale à tout le monde, et personnalise finalement à lui seul cette fameuse compassion qui va au-delà de la loi. Gardons-nous d'identifier ce personnage au cinéaste, trop facilement critiqué pour sa proximité avec le pouvoir russe. Mais il est vrai qu'il y a tant de talent et de bonnes idées gâchées dans ce film, tant de symboliques trop appuyées (l'oiseau qu'on libère, à la fin...), qu'on ne peut que regretter l'époque d'un Mikhalkov qui ne se caricaturait pas lui-même.


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