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Oh god quel beast !

Publié le 14 juin 2008 par Menear
De Sang Froid m'avait beaucoup impressionné et le best-of de sa correspondance m'avait amusé, j'ai à présent eu le loisir de découvrir l'un des premiers « chef d'oeuvre » de Truman Capote : Breakfast at Tiffany's. Il s'agit plus d'une longue nouvelle que d'un roman, mais ça n'a pas d'importance. On y retrouve un Capote très mondain et corrosif (rien à voir avec le glacial De Sang Froid donc), souvent très drôle. C'est le cas pour cette scène issue du début du récit : le narrateur y rencontre pour la première fois Holly Golightly, le personnage central du livre. Elle vient le trouver dans son appartement après avoir fuit le sien, situé en dessous, via l'escalier de secours.
La traduction proposée est tout à fait approximative et personnelle, c'est juste pour donner une idée du sens.
"I've got the most terrifying man downstairs," she said, stepping off the fire escape into the room. "I mean he's sweet when he isn't drunk, but let him start lapping up the vino, and oh God quel beast! If there's one thing I loathe, it's men who bite." She loosened a gray flannel robe off her shoulder, to show me evidence of what happens if a man bites. The robe was all she was wearing. "I'm sorry if I frightened you. But when the beast got so tiresome I just went out the window. I think he thinks I'm in the bathroom, not that I give a damn what he thinks, the hell with him, he'll get tired, he'll go to sleep, my God he should, eight martinis before dinner and enough wine to wash an elephant. Listen, you can throw me out if you want to. I've got a gall barging in on you like this. But that fire escape was damned icy. And you looked so cozy. Like my brother Fred. We used to sleep four in a bed, and he was the only one that ever let me hug him on a cold night. By the way, do you mind if I call you Fred?" She'd come completely into the room now, and she paused there, staring at me. I'd never seen her before not wearing dark glasses, and it was obvious now that they were prescription lenses, for without them her eyes had an assessing squint, like a jeweler's. They were large eyes, a little blue, a little green, dotted with bits of brown: vari-colored, like her hair; and, like her hair, they gave out a lively warm light. "I suppose you think I'm very brazen. Or très fou. Or something."
"Not at all."
She seemed disappointed. "Yes, you do. Everybody does. I don't mind. It's useful."
She sat down on one of the rickety red-velvet chairs, curved her legs underneath her, and glanced round the room, her eyes puckering more pronouncedly. "How can you bear it? It's a chamber of horrors."
"Oh, you get used to anything," I said, annoyed with myself, for actually I was proud of the place.
"I don't. I'll never get used to anything. Anybody that does, they might as well be dead." Her dispraising eyes surveyed the room again. "What do you do here all day?"
I motioned toward a table tall with books and paper. "Write things."
"I thought writers were quite old. Of course Saroyan isn't old. I met him at a party, and really he isn't old at all. In fact," she mused, "if he'd give himself a closer shave ... by the way, is Hemingway old?"
"In his forties, I should think."
"That's not bad. I can't get excited by a man until he's forty-two. I know this idiot girl who keeps telling me I ought to go to a head-shrinker[1]; she says I have a father complex. Which is so much merde. I simply trained myself to like older men, and it was the smartest thing I ever did. How old is W. Somerset Maugham?"
"I'm not sure. Sixty-something."
"That's not bad. I've never been to bed with a writer. No, wait: do you know Benny Shacklett?" She frowned when I shook my head. "That's funny. He's written an awful lot of radio stuff. But quel rat. Tell me, are you a real writer?"
"It depends on what you mean by real."
"Well, darling, does anyone buy what you write?"
"Not yet."
"I'm going to help you," she said. "I can, too. Think of all the people I know who know people. I'm going to help you because you look like my brother Fred. Only smaller. I haven't seen him since I was fourteen, that's when I left home, and he was already six-feet-two. My other brothers were more your size, runts. It was the peanut butter that made Fred so tall. Everybody thought it was dotty, the way he gorged himself on peanut butter; he didn't care about anything in this world except horses and peanut butter. But he wasn't dotty, just sweet and vague and terribly slow; he'd been in the eighth grade three years when I ran away. Poor Fred. I wonder if the Army's generous with their peanut butter. Which reminds me, I'm starving."
Truman Capote, Breakfast at Tiffany's
_______________
« J'ai invité un homme effrayant chez moi », dit-elle en dégageant un pied de l'escalier de secours pour venir le poser dans ma chambre. « D'accord il est gentil quand il ne boit pas, mais laisse-le attaquer par du vin et oh là là quelle bête il devient ! S'il y a une chose que je déteste, ce sont les hommes qui mordent. » Et elle baissa la bretelle de sa robe pour que je découvre de moi-même la preuve de cette morsure sur son épaule. Elle ne portait rien d'autre que cette robe. « Je suis désolée si je t'ai fait peur, mais lorsque la bête a commencé à se sentir fatigué, je n'ai pu que me sauver par la fenêtre. Je crois qu'il s'imagine que je suis toujours dans la salle de bain, mais je me fiche de ce qu'il peut s'imaginer, qu'il aille se faire voir, s'il est fatigué il dormira, et Dieu sait qu'il devrait : il a bu huit martinis avant de manger et suffisamment de vin pour assommer un éléphant ! Écoute, tu peux me jeter dehors si tu veux, je sais que j'exagère en débarquant chez toi comme ça. Mais cette escalier de secours était sacrément gelé et tu semblais tellement accueillant. Un peu comme mon frère, Fred. Ça nous arrivait souvent de dormir à quatre dans le même lit et c'était le seul à me laisser me coller contre lui quand il faisait trop froid. Au fait, ça t'embête si je t'appelle Fred ? » Elle était entrée entièrement à l'intérieur de la pièce à présent et elle s'arrêta de parler un moment pour mieux me dévisager. C'était la première fois que je voyais son visage sans ses lunettes noires et il m'apparaissait comme évident qu'elles étaient bien en réalité des lunettes de vue, car à présent qu'elle ne les portait pas, ses yeux trahissait un léger strabisme semblable à ceux des bijoutiers. Ses yeux étaient immenses : un peu de bleu, un peu de vert, quelques reflets bruns. Des yeux aux couleurs changeantes qui, comme ses cheveux, renvoyaient une lumière chaude et enlevée. « J'imagine que tu me trouves éhontée. Ou très folle. Ou quelque chose dans le genre. »
« Pas du tout. »
Elle sembla déçue par ma réponse. « Bien sûr que si. C'est ce que tout le monde pense. Je m'en fiche d'ailleurs. C'est utile. »
Elle s'assit sur l'un de mes fauteuils branlants, croisa les jambes par dessus le velours rouge du siège et jeta un oeil circulaire sur l'intérieur de ma chambre, laissant son strabisme s'accentuer par endroit. « Comment peux-tu supporter ça ? C'est une vraie chambre des horreurs. »
« Oh, on se fait à tout », je répondis, un peu mal à l'aise puisqu'en réalité j'étais plutôt fier de mon appartement.
« Moi je n'y arrive pas. Je ne me suis jamais habituée à quoi que ce soit. Si c'était le cas, ces choses auxquelles on s'habitue pourrait tout aussi bien être mortes. » Son regard réprobateur se remit à scruter la chambre un moment. « Qu'est-ce que tu fais au juste ici toute la journée ? »
Je m'approchai d'une grande table recouverte de livres et de papier. « J'écris des trucs. »
« Je croyais que les écrivains étaient plutôt vieux. Bien sûr Saroyan n'est pas vieux. Je l'ai rencontré à une fête et il n'est vraiment pas vieux du tout. En réalité, s'amusa-t-elle, s'il se rasait de près plus souvent... au fait, Hemingway, est-ce qu'il est vieux ? »
« La quarantaine, je crois. »
« Ce n'est pas mal. Un homme ne m'intéresse pas s'il n'a pas au moins quarante-deux ans. Je sais que cette idiote qui veut que j'aille voir un psychiatre de la tête [1] croit que j'ai un complexe du père. Ce qui est complètement idiot. Je me suis simplement entraînée à aimer les hommes plus âgé et c'est la chose la plus intelligente que j'ai jamais faite. Et W. Somerset Maugham, quel âge a-t-il ? »
« Je ne suis pas sûr. Soixante et quelques, peut-être. »
« Pas mal du tout. Je n'ai jamais couché avec un écrivain. Non, attends : tu connais Benny Shacklett ? » Elle fronça les sourcils lorsque je lui répondis non de la tête. « C'est amusant. Il a écrit un tas de mauvais truc pour la radio. Mais quel rat. Dis-moi, tu es un vrai écrivain ? »
« Ça dépend de ce que tu entends par vrai. »
« Et bien, chéri, quelqu'un t'a-t-il déjà acheté l'une de tes oeuvres ? »
« Pas encore. »
« Je vais t'aider, continua-t-elle, j'en suis capable. Pense un peu à toutes les relations que je connais qui ont eux-mêmes des relations. Je vais t'aider parce que tu ressembles à mon frère Fred. En plus petit, en revanche. J'avais quatorze ans la dernière fois que je l'ai vu, c'est à dire quand j'ai quitté la maison, et il faisait déjà presque un mètre quatre-vingt-dix. Mes autres frères étaient de ta taille, plutôt du genre freluquets. C'est grâce au beurre de cacahuète que Fred a pu grandir comme ça. Tout le monde pensait que c'était dingue la façon qu'il avait de se goinfrer de beurre de cacahuète. Il ne s'intéressant d'ailleurs à rien d'autre qu'aux chevaux et au beurre de cacahuète. Mais il n'était pas dingue, non, simplement gentil, incompris et terriblement inadapté. Il venait de tripler sa quatrième quand j'ai quitté la maison. Pauvre Fred... Je me demande si l'Armée est généreuse pour ce qui est du beurre de cacahuète... Au fait, tout ça me rappelle que je meurs de faim. »
[1. Jeu de mot head-shrinker, littéralement « psy de la tête » et « rétrecisseur de tête » intraduisible.]

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