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Retraites : pour une votation citoyenne

Publié le 22 octobre 2010 par Variae

Parfois les bons mots dépassent l’intention de leur auteur. C’est que je me disais en entendant Harlem Désir, en début de semaine, expliquer que François Fillon, qui se rêvait en Churchill en s’adressant à la nation, n’était en réalité qu’au niveau de Margaret Thatcher. La comparaison sous-entendue portait, manifestement, sur le décalage entre un grand homme d’Etat et une Première ministre réputée avoir brutalement libéralisé la Grande-Bretagne, aux dépens de ses concitoyens les plus fragiles. Mais elle pouvait également s’interpréter comme un présage plus sombre. Margaret Thatcher, c’est aussi la briseuse des grèves et du syndicalisme britannique. Et on sent bien, dans le moment présent, que quelque chose de semblable se joue dans notre pays, avec un Président et un gouvernement dont la ligne dure ne tient pas du bluff, mais bien de la volonté de réussir une épreuve de force avec le pays, quel qu’en soit le coût humain et social.

Retraites : pour une votation citoyenne

C’est un bras de fer qui est engagé sur les retraites, mais un bras de fer aux allures de course contre la montre. Le pari fait par le gouvernement sur le temps est double : d’une part, miser sur une désunion du mouvement social, et sur le fait que seuls les plus radicaux sont prêts à s’engager dans un mouvement long ; d’autre part, espérer que le vote de la réforme, une fois complètement entériné, ôte dans l’opinion à la fois toute utilité et toute légitimité à la protestation.

Jusqu’à présent, le premier pari a été étonnamment perdu. Le front syndical et politique résiste, malgré les rumeurs propagées notamment par Le Figaro ces derniers jours. En revanche, il est certain que le vote définitif de la réforme sera plus problématique pour le mouvement. Un scénario à la CPE – vote, puis neutralisation de la loi sous le seul effet des manifestations persistantes – n’est pas tellement probable, pour la simple et bonne raison que Nicolas Sarkozy n’est pas Jacques Chirac, et qu’il a déjà amplement démontré que le souci de la cohésion nationale ne prime absolument pas, chez lui, les intérêts personnels et électoralistes. Il faut donc imaginer d’autres façons de continuer la mobilisation, pas nécessairement en substitution, mais en complément et en renforcement des manifestations.

La gauche politique et syndicale a justement mis en place, avec succès, un type de mobilisation original l’an dernier : la votation citoyenne sur la privatisation de la poste. On se souvient comment l’initiative avait été un succès – près de 10 000 lieux de vote en France, cogérés par les différentes organisations, et peut-être 2 millions de votants – alors même que l’expérience était inédite, et visait un sujet certes prégnant pour nombre de Français, mais incontestablement moins que ne le sont les retraites. Bien entendu, le résultat d’un tel vote n’a pas de valeur juridique, et ne remplace pas le vrai référendum que réclament plusieurs responsables politiques et syndicaux, mais il contribue à maintenir la pression sur un gouvernement légiférant contre la volonté générale, et présenterait en outre plusieurs avantages dans la situation présente.

Premièrement, il permettrait de prouver l’ampleur de la désapprobation populaire pour l’actuel projet de réforme. Les sondages se suivent et se ressemblent : Nicolas Sarkozy et François Fillon ne réunissent pas une majorité de Français derrière leur plan, bien au contraire. Mais le gouvernement a beau jeu de soutenir que les manifestants, aussi nombreux soient-ils, ne représentent qu’une minorité agissante et radicalisée, et que la majorité silencieuse qui ne sort pas dans la rue soutient le projet UMP. Une votation citoyenne, a contrario, permettrait de traduire concrètement ce qu’indiquent les sondages, et donnerait l’occasion à tous les Français qui sont opposés à la réforme – mais ne peuvent ou ne veulent faire grève et manifester – d’exprimer leur position simplement et rapidement.

Deuxièmement, l’organisation d’une grande votation donnerait l’occasion d’inverser la tendance actuelle, encouragée par le gouvernement et la presse de droite – la tendance qui va dans le sens d’une radicalisation du mouvement et surtout de l’image du mouvement, sur fond de casse (parfois douteuse) et de blocages. Alors que la phraséologie officielle se délecte désormais quotidiennement de la condamnation des « casseurs » et de la « prise en otage » des honnêtes citoyens, l’organisation du scrutin populaire que refuse le pouvoir permettrait de montrer clairement qui est responsable et respectueux de la démocratie, et qui ne l’est pas. Les forces mobilisées actuellement sur les seuls lieux occupés, et trajets de manifestation, pourraient s’installer et se montrer sur l’ensemble de l’espace public, invitant la population à se prononcer, et faisant parallèlement de la pédagogie sur la réforme gouvernementale et ses conséquences réelles.

Troisièmement, on pourrait alors opposer un vote à un autre vote, et non des manifestations à un vote. La position du gouvernement est enviable : elle est celle de la légitimité institutionnelle et formelle, face à une opposition qui manifeste et perturbe la bonne marche du pays. Sur le long terme, l’opinion préfère l’ordre, fut-il injuste, à la chienlit – c’est le calcul de l’Elysée. Avec l’organisation d’une votation, on revient sur le terrain de l’expression citoyenne et républicaine, d’autant plus légitime que la majorité fait tout pour saboter le débat parlementaire, à l’Assemblée déjà et désormais au Sénat.

Une votation citoyenne sur les retraites ne suffira, à elle seule, ni à faire fléchir le gouvernement, ni à imposer un référendum en bonne et due forme ; mais elle peut constituer un puissant adjuvant à la forme prise actuellement par le mouvement social, lui offrir un second souffle, et surtout donner une nouvelle ampleur, et une nouvelle visibilité, à la mobilisation des Français contre cette réforme qu’ils rejettent majoritairement. L’opposition politique et syndicale a à l’heure actuelle toutes les cartes en mains pour faire d’une telle initiative un succès : les effectifs militants, les sondages favorables, et le contre-exemple du passage en force parlementaire du gouvernement. Qu’attend-on pour couvrir le territoire de bureaux de vote, et poser aux citoyens une question très simple : êtes-vous satisfaits de la réforme des retraites, ou souhaitez-vous qu’elle soit remise à plat et soumise à une vraie négociation avec les partenaires sociaux ?

Romain Pigenel


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