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André Dimanche, portrait d'un éditeur (par Alain Paire)

Par Florence Trocmé

André Dimanche : depuis 1978, le parcours d'un éditeur.  
 

Il vit à Marseille depuis toujours. Les premiers livres qu'il imagina furent imprimés en 1978 : André Dimanche avait trente-quatre ans, il était au milieu du chemin de sa vie. Il avait médité son projet initial en compagnie d'un proche ami, le poète Christian Gabrielle Guez-Ricord (1948-1988) qu'il venait souvent rencontrer dans le studio d'un immeuble de la rue d'Ephèse. Après avoir longuement réfléchi et conversé dans la proximité de ce poète audacieux et souvent bouleversant qui acheva de le déterminer, André Dimanche entreprit de fabriquer depuis Marseille, rue Breteuil,  chez l'imprimeur Soulié, les trois petits volumes d'une collection qu'il intitula L'Atelier blanc.  
 
Sa vie professionnelle et sa famille d'origine ne l'orientaient pas du côté de la littérature. Une maîtrise de droit et un emploi dans la fonction publique fixèrent longtemps la trame de ses journées : lorsque le temps estompera davantage les souvenirs, j'écrirai brièvement quels furent son métier et le dédoublement de son existence, jusqu'au début des années quatre-vingt dix. Toutes sortes de curiosités et d'affinités électives aiguillèrent ses choix ; à Marseille, il fréquentait volontiers le musée Cantini où l'on montrait pendant les étés des année soixante-dix Balthus, François Rouan et Françis Bacon, la galerie d'art contemporain Athanor ou bien la librairie La Touriale qui était domiciliée près de son lieu de travail. Si l'amour du livre et de l'édition ne l'avait pas requis, André Dimanche aurait vraisemblablement investi dans des registres connexes son énergie et sa créativité. Il aurait pu façonner une passionnante collection de peinture. Une autre dimension de sa vie lui permettait d'accéder au statut d'un photographe de grand talent. Il avait exposé à la Bibliothèque Nationale ses travaux personnels dans le domaine de la photographie ; ses recherches furent commentées par Jean-Claude Lemagny et Bernard Noël. 


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L'artiste japonais Key Sato (1906-1978) dont il venait régulièrement voir les travaux dans une galerie de Nice, était par alliance un membre de sa proche famille. Puisqu'il s'inquiétait du peu de cas que l'on faisait de l'oeuvre de ce peintre, Christian Guez-Ricord l'encouragea à éditer des petits livres à son propos. Les textes des deux premières plaquettes de L'Atelier blanc furent écrits par Christian ; la troisième fut rédigée à quatre mains, André Dimanche et Guez-Ricord travaillèrent ensemble. Les artistes qui accompagnaient ces pages furent Key Sato, son fils Ado et Colette Deblé qu'André avait rencontrée grâce à Bernard Noël. 
 
1981 : création des éditions Ryôan-Ji 
Les formats de L'Atelier blanc étaient minuscules, les tirages oscillaient entre cent et deux cents exemplaires : des pages de papier Arches pliées en quatre, un banc d'essai sans lendemain immédiat. Le véritable point de départ, le premier livre réellement conçu par André Dimanche, c'est un recueil de James Sacré, Quelque chose de mal raconté. Le 19 mai 1981, 955 exemplaires sur papier Centaure ivoire d'Arjomari sortaient des presses de l'imprimeur marseillais Robert. Un autre ami, l'écrivain Christian Tarting qui dirigeait la revue Chemin de ronde l'avait incité à découvrir les poèmes de Sacré. Ce dernier enseignait la littérature française aux Etats-Unis : lors des premiers contacts il avait fallu le joindre par téléphone au Smith Collège, dans une université du Massachussetes. Une remarquable fidélité réunit cet auteur et cet éditeur. Au fil des ans, Dimanche a publié dix livres de James Sacré ; le dernier de ces ouvrages est paru en août 2010, il s'intitule America solitudes. Parmi les autres recueils de James Sacré édités chez André Dimanche, on peut citer Une fin d'après-midi à Marrakech qui reçut en 1988 le Prix Guillaume Apollinaire, Des animaux plus ou moins familiers (1993), Une petite fille silencieuse (2001) ainsi qu'Un paradis de poussière (2006). (suite en cliquant sur "lire la suite")

 

La physionomie des premiers ouvrages de cet éditeur est immédiatement reconnaissable : ils arborent une couverture couleur de sable, leur format est de 15, 5 cm x 21, 5 cm. Pour la gestation de sa première couverture, André Dimanche s'en souvient volontiers, il avait poussé loin son désir de perfection : il recommença une dizaine de fois les clichés de sa page de garde, griffée et maculée de noir par l'un des peintres qu'il affectionne le plus, Olivier Debré. Par la suite, tout en restant fidèle à une ligne d'ensemble qui signe l'originalité de ces éditions, d'autres plasticiens de sa connaissance interprétèrent librement ses couvertures : Gilles Aillaud, Jean-Jacques Ceccarelli, Colette Deblé, Jean Degottex, Fred Deux, Jean Dubuffet, Bernard Moninot, Louis Pons, Cécile Reims, François Rouan, Antoni Tapiès, Claude Viallat et Jan Voss furent conviés. 
 
Le Ryôan-Ji est l'un des plus célèbres jardins du Japon, c'est un rectangle de sable où se dressent quinze pierres en forme de stèle. Sous cette enseigne, Dimanche accueillit des écrivains que lui recommandaient Christian Tarting, Saül Yurkievich et Bernard Noël, à cette époque chargé de nombreux manuscrits puisqu'il était directeur de collection chez Flammarion : Pierre Lartigue, John Cage, Djuna Barnes ou bien Bernard Vargaftig figurent parmi les premières années de son catalogue. Une rencontre décisive survint lorsque Gil Jouanard qui travaillait à la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon lui présenta dans leur demeure des Jardins neufs, proche d'Avignon, Jeannette et Jean Tortel (1904-1993). 
 
Dimanche s'enthousiasma à la lecture du Discours des yeux que les meilleurs éditeurs avaient refusé de publier. Entre 1982 et 1994, en compagnie d'autres amis de Tortel comme Liliane Giraudon, Gérard Arseguel, Henri Deluy et Catherine Soulier, André Dimanche s'acharna pour que cette œuvre  - très justement définie par Jean-Luc Steinmetz comme "l'une des grandes figures secrètes de la fin du XVIII° siècle" - soit davantage diffusée et reconnue. Huit ouvrages de Jean Tortel furent publiés par ses soins. Pas uniquement des recueils de poésie comme Les solutions aléatoires (1983) et Le trottoir de trèfle (1986), également des extraits de journal comme Râtures des jours (1994) ainsi qu'un recueil de textes critiques, Un certain XVII° (1994). Tortel était un homme d'intense culture et de belle rigueur, lecteur de Lucrèce, de Maurice Scève et de Diderot, d'ouvrages historiques et de romans policiers. Il fut dans la formation d'André Dimanche, une manière de figure tutélaire, à la fois affectueuse et clairvoyante : on se souvient qu'au sein des Cahiers du Sud dont il fut membre du comité de rédaction pendant l'après-guerre, Jean Tortel fut à l'instar de Francis Ponge qui préparait alors son  Pour un Malherbe l'un des grands redécouvreurs des auteurs du préclassicisme français, "la corde la plus tendue du baroque". 
 
Dans le domaine de la poésie contemporaine, même si sa production a décru au cours des récentes années, Dimanche a publié plus de 70 recueils, quasiment la moitié de son catalogue. Après l'éclectisme du départ, Ryôan-Ji forgea sa cohérence et continua de creuser son sillon. A côté de Jean Tortel et de James Sacré, Dimanche a publié huit ouvrages de Bernard Vargaftig - par exemple, Distance nue (1994) ou Un même silence (2000) - ainsi que dix livres de Nicolas Pesqués -  six livres de La face nord de Juliau,  L'intégrale des chemins, (1993), Madras, journal (1997) et des essais à propos de Gilles Aillaud et de Jan Voss - . Parmi les stèles de son Ryôan-Ji, on aperçoit les Neumes de Christian Guez-Ricord, Les accidents, des nouvelles de Jude Stefan, Galas signé par un autre résident de Marseille, Jean-Jacques Viton, Image et récit de l'arbre et des saisons par Jacques Ancet (2002) ainsi que des livres de grande fascination qui ne relèvent pas directement de la poésie stricto sensu, des ouvrages qu'on préfère par commodité définir comme des "inclassables" : cinq récits - entre autres, Mes agonies, Le Château des bégayants, Rencontres avec l'ange - d'un écrivain qu'André Dimanche aurait voulu sortir de l'ombre, Louis-Paul Guigues (1902-1996) qui fut proche de Pierre Leyris et d'Henri Thomas, un traducteur de Dante et de Catherine de Sienne, La Ressemblance de Pierre Klossowski dont Ryoan-Ji publia également la traduction de L'Enéide, ou bien encore Marmottes à l'imparfait de Gilbert Lascault. 
 
1985 : Marseille-New York et l'installation dans les locaux des Cahiers du Sud. 
Également frayée par Christian Tarting, la rencontre qu'André Dimanche noua pendant l'été 1983 avec Jacques Hérold (1910-1987) se révéla porteuse d'un improbable avenir. Familier du Lubéron et de Lacoste où il avait l'habitude de séjourner pendant les vacances d'été, Hérold lui fixa rendez-vous sur la terrasse du Café des Deux Garçons d'Aix-en-Provence. Avec son magnifique accent roumain, il entreprit de lui raconter dans le détail ce que très peu de gens avaient en mémoire, des fragment longtemps occultés de l'histoire du Vieux Port, les années 40 dans le Midi de la France pendant lesquelles, selon les termes précis de David Rousset, dans sa préface pour La filière marseillaise, le livre de Daniel Bénédite publié en 1984, "Auschwitz et Marseille sont alors les seules portes ouvertes de l'Europe".  
 
Jacques Hérold lui raconta son séjour pendant ces années noires, les allées et venues de Victor Brauner, ses retrouvailles avec André Breton, Benjamin Péret, Max Ernst et Oscar Dominguez à la Villa Air Bel de Varian Fry ou bien au café du Brûleur de loups, ainsi que les joyeuses journées de travail passées rue des Treize escaliers, dans la coopérative des Croque-Fruits de Sylvain Itkine. Last but not least, Hérold lui révéla l'existence d'un jeu de cartes auquel il avait contribué sous la houlette d'André Breton, un jeu qui n'avait jamais été édité et dont on avait traces uniquement sous forme de planches publiées à New York en mars 1943, dans l'une des trois livraisons de la revue VVV. 
 
André Dimanche n'avait jamais imaginé qu'il deviendrait l'éditeur d'un jeu de cartes dont les personnages seraient dessinés par Max Ernst, Victor Brauner ou bien Wifredo Lam. Son coup de coeur enclencha un cycle de rencontres et de découvertes qu'il ne pouvait pas davantage pressentir. Les visites qu'il effectua rue Fontaine chez Elisa Breton, des contacts pris avec la famille d'André Masson ainsi qu'avec Jacqueline Lamba, l'incitèrent à rassembler de la documentation et à voyager outre-Atlantique, afin de mieux songer au grand format dont il passa commande à Bernard Noël, un ouvrage relié de 30, 5 x 30, 5 cm, Marseille-New York / Une liaison surréaliste 1940-1945. 
 
Dés lors, son implication et ses interventions dans la gestation d'un livre, ses recherches sur le plan de la maquette et de l'iconographie s'accrurent considérablement. Dans son esprit, à côté des "courts métrages" que pouvaient être les recueils de poésie, il lui fallait produire de "véritables films" ... Ryôan-Ji devint en 1985 le nom d'une collection littéraire intégrée dans un plus vaste ensemble, une couverture rouge remplaça progressivement la couleur du sable et les interventions des artistes. Depuis cette date, les ouvrages qu'il réalise portent clairement le nom qui leur est propre : ce sont les livres des éditions André Dimanche. 
 
Au milieu des années quatre-vingt, quelques mois après la nomination de Germain Viatte à la direction des musées de Marseille, pendant le mandat de la municipalité de Robert P. Vigouroux, notamment grâce à l'apport de personnalités comme Christian Poitevin et Dominique Wallon, la vie culturelle prenait un meilleur essor : les budgets et les subventions accordés aux arts plastiques ou bien à l'édition devenaient conséquents, des espoirs de renouvellement prirent corps pendant quelques années. Un esprit d'émulation, le jeu de la concurrence fomentèrent la naissance de projets à tout prendre complémentaires : en quasi-simultanéité avec le livre de Bernard Noël qui fut imprimé le 15 novembre 1985, Germain Viatte réalisait en avril 1986 pour l'ouverture des espaces muséologiques de la Vieille Charité, l'exposition et le catalogue de La Planète affolée : surréalisme, dispersion et influences, 1938-1947. 
 
Pendant ces saisons de belle invention, le destin voulut qu'André Dimanche ait l'occasion de rencontrer Françoise Ballard, la fille de Jean Ballard (1893-1973) et de Marcelle Ballard, fondateurs des Cahiers du Sud. Depuis la mort de sa mère survenue en avril 1985, Françoise Ballard souhaitait louer dans de bonnes conditions le local devenu vacant de la revue, au quatrième étage du 10 Cours Jean Ballard. Dans un espace autrefois hanté par quelques-uns des plus vifs fantômes de la littérature du XX° siècle (la liste est trop longue, passèrent dans le grenier des Cahiers du Sud, André Gide, Paul Valéry, Blaise Cendrars, Simone Weil, Paul Éluard, Francis Ponge, René Char, Asturias, T.S Eliot ou bien Saint John Perse) parmi les meubles et les vieux papiers de la revue, André Dimanche qui n'avait jusque-là aucune adresse pour son bureau d'éditeur, décida de loger ses activités à l'intérieur d'un habitacle rigoureusement légendaire. Son contrat de location ne pouvant plus être reconduit depuis l'été 2009, il aura établi dans cet espace mythique le siège de sa maison d'édition pendant presque un quart de siècle. 
 
L'un des premiers occupants de l'ancien local de Jean Ballard fut justement Bernard Noël, qui accepta d'être modestement hébergé dans une soupente des Cahiers, pendant la période d'écriture et d'enquête de Marseille-New York. A partir de là, l'histoire d'un lieu voué depuis les années vingt à la littérature et à la poésie se mettait de nouveau en mouvement : un improbable greffon se développa, de nouvelles habitudes et de nouvelles convergences se forgèrent. André Dimanche entreposa près du Vieux Port une partie du stock de ses éditions, sa documentation, les manuscrits qu'il recevait et l'administration de son entreprise.  
 
Dans l'espace connexe au bureau où il venait travailler quotidiennement, il résolut de programmer une ou deux fois par an des expositions. Il montra à plusieurs reprises des dessins d'André Masson (une première fois pendant l'hiver de 1988), ensuite des dessins d'écrivains (avril 1989) des œuvres graphiques de Louis-Paul Guigues ainsi que des sculptures de Fenosa (juin 1989). En parfait gentleman soucieux de diversifier sa programmation, Germain Viatte lui avait auparavant donné, le 4 juillet 1986, carte blanche pour le commissariat d'une exposition de trois mois qui lui permit de présenter au musée Cantini des œuvres de huit de ses amis plasticiens : Jean-Jacques Ceccarelli, Olivier Debré, Jean Degottex, Fred Deux, Pierre Klossowski, Bernard Moninot, Roman Opalka et Jan Voss. Publiée dans un numéro spécial de la revue Banana Split, la préface de cette exposition fut rédigée par Marc Le Bot (1921-2001) qui fut également auteur d'un recueil pour ses éditions (Théatre d'ombres à l'intérieur, publié par Dimanche en 1984). 
 
Des livres d'art et des documents sonores. 
Des essais sur l'art et des monographies à propos de tel ou tel peintre sont aux côtés de la poésie la deuxième ligne de force de son catalogue. Dans ce registre où il excelle sur le plan des textes comme des maquettes, André Dimanche a édité un livre merveilleusement déroutant, des graphies dénormalisées et des dessins de Jean Dubuffet, Bonpiet Beauneuille (1983), un ouvrage de Bernard Noël, Trajet de Jan Voss (1993), Chroniques d'art et autres passe-temps, un recueil des articles publiés dans Libération par Hervé Gauville, un grand format des dessins d'André Masson, Anatomie de mon univers, un ouvrage de Cécile Reims et quatre livres de Fred Deux (Continuum et Sous la mémoire en 1988, Terre mère et une réédition de La Gana en 1999), des textes d'Antoni Tapiès présentés par Georges Raillard et regroupés sous le titre de La valeur de l'art ainsi que deux essais majeurs de David Sylvester (1924-2001) : "En regardant Giacometti" (2001) et "Francis Bacon à nouveau  (2006), deux ouvrages préfacés et traduits par Jean Frémon. Grâce aux recherches de la germaniste et historienne d'art Liliane Meffre qui a traduit, présenté et annoté en 1993 la correspondance Carl Einstein-Daniel Henry Kanhweiler, 1921-1939, un second ouvrage de ce découvreur de l'art africain paraissait, toujours en 1993, Ethnologie de l'art moderne. 
 
Cette programmation, un usage finement mobile du temps et de la mémoire, des critères à la fois affectifs et intellectuels reconfigurent des œuvres pour partie oubliées. Deux années après Marseille-New York, André Dimanche avait demandé à Bernard Delvaille d'écrire un ouvrage abondamment illustré Et l'Au-delà de Suez qui retrace les errances et les voyages de Louis Brauquier (1900-1976) jusqu'aux extrémités de l'Océan Pacifique. Deux autres projets d'envergure ont innervé une partie de son catalogue. Au début des années quatre-vingt, André Dimanche s'est rendu en Argentine avec sa compagne de tous les jours, Marguerite Patou qui pratique volontiers la langue espagnole, afin de négocier l'exclusivité des droits de traduction de l'œuvre de Ramon Gomez de la Serna. Sept livres de cet auteur que Valéry Larbaud affectionnait infiniment sont parus depuis 1992, date de publication de Seins, à présent diffusé en collection de poche Babel / Actes Sud : entre autres, La femme d'ambre (1993), Le livre muet (traduction de Jacques Ancet, 1998) L'homme perdu (2005) et Lettres aux hirondelles et à moi-même (2006). Deux livres de Gomez de la Serna sont annoncés pour 2011 : Aube dont la traduction revient à Jacques Ancet, ainsi qu'un recueil de chroniques qui s'appellera Paris 1930. 
 
Une seconde aventure aura passionné André Dimanche : la parution d'une partie des écrits d'Henri-Pierre Roché, le magnifique ami de Franz Hessel, Duchamp, Brancusi et Wols, l'auteur de Jules et Jim et de Deux Anglaises sur le continent dont François Truffaut avait rêvé de publier le Journal. Grâce à Dimanche, plusieurs séquences du "tourbillon de la vie" ont été restituées. Après avoir séjourné au Texas parmi les archives de la Bibliothèque d'Austin, en compagnie d'Antoine Raybaud, de Blandine Masson et de Karin Grund, afin de reconstituer le Journal d'Helen, André Dimanche a édité en 1990 ses Carnets des années 1920-1923, son Don Juan ainsi que ses Écrits sur l'art (1998) qui sont préfacés et annotés par Serge Fauchereau. 
 
Pendant la fabrication en 1992 de La petite machine animée, un ensemble comportant l'enregistrement de Guillaume Apollinaire récitant ses poèmes et la reproduction des cinquante photographies où l'on découvre les sourires, les mimiques et les gestes d'Apollinaire et d'André Rouveyre devisant en 1914 parmi les barques d'une fête foraine, André Dimanche osa franchir un nouveau seuil : il construisit un paramètre inattendu, un nouveau registre de ses éditions. Il inaugura une collection de documents sonores, des disques compact qui propagent la voix d'Antonin Artaud lorsqu'il réalisait Pour en finir avec le jugement de Dieu, ou bien Georges Perec œuvrant pendant quatre heures, proférant sans discontinuer sa Tentative de description des choses vues au carrefour de Mabillon le 19 mai 1978. Il réalisa des coffrets qui donnent à écouter des enregistrements radiophoniques d'Ubu roi ou bien des entretiens réalisés par Georges Charbonnier, Georges Raillard et René Farabet, en compagnie de Marcel Duchamp, André Masson, Arthur Adamov et Antoni Tapiès. Avec le concours de deux des meilleurs réalisateurs de l'ancienne équipe de France-Culture, Alain Trutat et Madeleine Sola, Dimanche parvint également à mener à bien en 1999, avec Fred Deux une périlleuse entreprise : la création d'A vif, l'enregistrement de vingt-quatre disques compacts qui font découvrir l'autobiographie sonore de ce dessinateur. Pour l'ensemble de ses coffrets (le dernier d'entre eux, coédité avec l'Ina et renfermant 8 CD, concernait en 2007 l'œuvre théâtrale et les nouvelles de Samuel Beckett) André Dimanche a d'ores et déjà reçu en 1997 le Grand Prix international du disque de l'Académie de Charles Cros. 
 
Revenances et microstorias 
Partir en quête d'objets nouveaux, refuser obstinément les cloisonnements et les barrières disciplinaires, provoquer des rencontres et des revenances à propos de créateurs qu'il juge injustement méconnus, voilà quelques-uns des chemins de l'inlassable recherche d'André Dimanche. Chacun des cent-cinquante titres de son catalogue mériterait la rédaction d'une joyeuse microstoria et pourrait susciter d'assez longues digressions. Ce profil foncièrement atypique, cet homme qui n'aime pas qu'on l'appelle affectueusement Monsieur Dimanche peut devenir un extraordinaire conteur, c'est un personnage doué de facultés de rebondissements et d'intuitions que le contexte marseillais ne peut pas expliquer.  
 
Sans faire jouer la corde sensible, on ne peut pas dans cette description esquiver le douloureux écart qui sépare ses rêves, ses ambitions, ses visions traversières et ses moyens matériels, bien évidemment beaucoup plus réduits. En dépit du soutien des journaux littéraires (parmi ceux qui firent compte-rendu précis de ses activités, il faut mentionner Claire Paulhan, Jérôme Garcin, Philippe Dagen, Georges Raillard, Gilbert Lascault, Maurice Nadeau, la Quinzaine littéraire et le Matricule des Anges) de grandes tensions de trésorerie, toutes sortes de désenchantements difficiles à conjurer, une âpre distance, presque toujours impossible à réduire vis à vis de l'air du temps, des charges de travail la plupart du temps supportées solitairement, des rééquilibrages obtenus in extremis, notamment grâce aux subventions, marquent chacune des étapes de cette trajectoire à l'intérieur de laquelle les déficits ne sont pas évitables. Dans un entretien qu'il livrait à Jean Contrucci, pour une parution dans La Provence, André Dimanche concédait que c'était une folie de publier certains livres. Mais, ajoutait-il, "ce serait encore plus fou de ne pas le faire". 
 
Un background marseillais infiniment attachant, cependant quelquefois désespérant, résolument instable et souvent ingrat (Jean Ballard avait autrefois coutume de dire que "les Cahiers du Sud se sont faits contre Marseille, et non pas avec Marseille") singularise cette entreprise. A la différence de Ballard qui synthétisait autour de lui l'apport des meilleurs protagonistes et donneurs d'idées marseillais - André Gaillard, Gabriel Bertin, Léon-Gabriel Gros, Pierre Guerre ou Jean Tortel - André Dimanche fait souvent cavalier seul. Parmi les proches de cet éditeur qui est un ami extrêmement secret, à la fois enthousiaste et mystérieux, il faut citer sa compagne Marguerite Patou qui l'aide pour la relecture des épreuves de chacun de ses livres, Catherine Poisson qui fut pendant trois années sa vigilante secrétaire et puis surtout Georges René, le maquettiste de sobre rigueur et de superbe invention à qui Dimanche doit une partie du style de ses productions. En matière de distribution, il faut saluer la collaboration qu'il avait établie pendant une douzaine d'années avec les arlésiens d'Actes-Sud, Jean-Paul Capitani et Françoise Nyssen qui assurèrent la diffusion et fabriquèrent une partie de ses livres dans des conditions remarquablement avantageuses.  
 
C'est cette cohabitation pas du tout routinière avec Actes-Sud qui explique que pendant le tournant du siècle, André Dimanche effectua pour mieux diversifier sa production plusieurs incursions du côté de la fiction, des traductions et du roman policier. Il tenta d'orienter sa production du côté de la littérature argentine en éditant des textes de deux auteurs contemporains, César Aira et Ricardo Piglia dont certains livres sont également publiés par Christian Bourgois. Pour un récit d'Aira qui est considéré comme un auteur majeur de la littérature latino-américaine, lors de la parution en 2000 d'Un épisode dans la vie d'un peintre voyageur, il ne retira malheureusement pas le succès qu'il espérait. Pendant cette période durant laquelle il bénéficiait de la logistique d'Actes-Sud, Dimanche remit également en circulation des livres oubliés de Loys Masson (Les tortues et Le notaire des noirs) édita deux livres du  romancier marocain Edmond Amram El Maleh ainsi que des traductions d'auteurs de romans noirs comme Chester Himes, Rudolph Fisher et John A. Williams. 
 
Une autre redécouverte de très beau relief fut à cette époque son apanage. Dimanche fit traduire par Michel Fabre trois livres du romancier et poète Claude McKay, noir américain originaire de la Jamaïque (1889-1948) : le célèbre Banjo, qui décrit la vie des marins et des immigrés entre Panier et Joliette, dans les quartiers réservés de Marseille (2002) les quatre cents pages de son autobiographie, Un sacré bout de chemin (2004) ainsi que Retour à Harlem (2007). 
 
Aujourd'hui, avec Harmonia Mundi. 
Depuis qu'il a changé de distributeur - depuis l'hiver 2005, ses livres sont diffusés par Harmonia Mundi - André Dimanche restreint son rythme de publication : pas plus de quatre ou cinq ouvrages par an. Son travail se resserre autour de grands projets en matière d'histoire de l'art et de quelques auteurs qui sont ses proches amis et partenaires dans le travail, principalement Jean-Christophe Bailly, Serge Fauchereau, Xavier Girard et Georges Raillard. Les possibilités offertes sur le Cours Mirabeau d'Aix-en-Provence par Véronique Traquandi, la responsable de la Galerie d'art du Conseil Général des Bouches du Rhône, lui ont permis entre 2007 et 2010, d'être le commissaire de trois expositions ; deux d'entre elles sont accompagnées de catalogues qu'André Dimanche édite. 
 
Le peintre et le modèle fut sur le Cours Mirabeau une présentation effectuée en octobre-décembre 2007 pour accompagner la parution d'un livre-coffret d'André Dimanche superbement maquetté, Alberto Giacometti. Éclats d'un portrait, livre de Jacques Dupin comportant des photographies d'Ernst Scheidegger prises en 1965 dans l'atelier de la rue Hippolyte Maindron. Une année plus tard, pendant l'été 2008, Dimanche programma une exposition intitulée André Masson et le théâtre ; en janvier 2010, il produisait avec entre autres des travaux de Masson, Aillaud, Debré, Rancillac, Cecarelli et Denis Polge un événement autour de L'enfance de l'art. Pendant l'été 2012, André Dimanche récidivera avec un beau projet autour du thème des Constellations qui lui permettra de réunir des travaux de Joan Miro, Jacques Monory et Bernard Moninot. 
 
Avec Jean-Christophe Bailly qui avait préfacé le coffret des quatre CD d'Antonin Artaud et publié Phèdre en Inde (2002) André Dimanche a fait paraître deux gros ouvrages axés sur l'œuvre de Gilles Aillaud. Une imposante monographie, un format 25 x 33 cm, 425 pages de textes et de reproductions sont parus en octobre 2001. A quoi s'ajoute en mars 2010, en liaison avec une exposition de gravures à la Bibliothèque nationale, D'après nature / Encyclopédie de tous les animaux, pour lequel Bailly mentionne le fragment d'Héraclite qui réjouissait Gilles Aillaud : "Les ânes, plutôt que l'or, prendraient les branches". De nouveau avec Jean-Christophe Bailly avec lequel André Dimanche est en train d'imaginer pour mars 2011, en compagnie d'Annie Terrier et des Écritures croisées une rencontre publique dans l'amphithéâtre de la Cité du Livre d'Aix-en-Provence, une autre parution est actuellement en chantier : le manuscrit de Bailly est livré, il est encore plus important que l'ouvrage consacré à Aillaud, il s'agira d'une monographie à propos de Bernard Moninot prévue pour fin 2011. A quoi s'ajoutera, toujours avec une préface de Jean-Christophe Bailly, un volume consacré au musée imaginaire d'Alberto Giacometti qui s'intitulera L'oeil noué / Autoportrait de Giacometti en regardeur.

 

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La liste est de nouveau longue quand on songe aux réalisations de ce début de siècle. Parmi les ouvrages de fond dont les qualités de maquette et de reproduction méritent tous les éloges, on mentionnera en 2002 Auguste Chabaud /Époque fauve présenté par Serge Fauchereau qui publia également en 2006 Gaston Chaissac et alentours. Une longue quête aura permis à André Dimanche de reconstituer une précieuse iconographie pour La chambre de Joë Bousquet, un livre de Pierre Cabanne qui fait revivre la fabuleuse collection de peintures du gisant de Carcassonne (2005).  
 
Septembre 2008 fut marqué par la publication de Monticelli, l'étrange, ouvrage signé par Georges Raillard. En novembre 2009, on découvrait un texte de Frédéric Valabrègue pour Jean-Jacques Ceccarelli. Tout récemment, un achevé d'imprimer de septembre 2009 permettait de lire Trois hommes dans un bateau, une très belle étude et simultanément une fiction de Xavier Girard qui avait auparavant publié chez Dimanche L'Oursin. Voici ce qu'indique la quatrième page de couverture : "Matisse et Marquet se sont donnés rendez-vous au plus sombre de la guerre chez Monet à Giverny. Pourquoi se rencontrent-ils ce jour-là ? Que se disent-ils ? Et pourquoi ont-ils gardé le silence sur cette journée particulière ?". 
 
L'avenir dure longtemps ... Nul ne peut prédire quelle place détiendra dans l'histoire des sensibilités cet éditeur dont la démarche doit être située parmi les actions souterraines et trop peu visibles de personnages d'aujourd'hui comme Claire Paulhan, Georges Monti, Antoine Jaccottet, Florian Rodari ou Bruno Roy : rien n'est révolu, l'attente est immense, la littérature continue de s'écrire puisque perdurent des aventures comme celle d'André Dimanche. Dans quelques décennies, les productions d'André Dimanche seront pour le moins aussi légendaires que celles de René Hilsum, le fondateur de Kra et des éditions Sans Pareil. On voudra réentendre sa voix, on se souviendra de ses débords, de son entêtement, de son audace et de son inventivité. Exactement comme on se souvient aujourd'hui, avec émotion et passion, d'Henry-Louis Mermod, de Pierre-André Benoît, d'Edmond Charlot, de Pierre Bettencourt, de Thierry Bouchard, de François Di Dio ou bien de Gérard Bobilier. 
 
 
 
Alain Paire 
 
 
Moins détaillée, une première version de cet article était parue dans le n°9 de la revue La Pensée de Midi, hiver 2002, éditions Actes Sud. 
 
On trouve une partie du catalogue d'André Dimanche, ses parutions depuis 1992 sur le site Rue-des-livres. Cf dans le n° 37 du Matricule des anges, décembre 2001, un entretien de Catherine Dupérou avec André Dimanche. Un extrait de cet entretien caractérise bien la démarche de l'éditeur : "On n'a pas le droit d'oublier aussi vite. Il faut des gens qui freinent. On n'est pas balayé parce que d'autres gens existent. Loys Masson, c'est une œuvre de grande qualité : je ne dis pas que c'est la plus grande du siècle, mais elle doit exister. Que des gens qui ont consacré leur vie à l'art, qui par essence doit durer, disparaissent, en général pour des raisons économiques, c'est inacceptable pour moi".  
 
On peut s'étonner, voire s'insurger, personne n'est parfait. En 2013, les éditions André Dimanche auront 35 ans. Renseignements pris, cet éditeur n'a pas été pressenti pour figurer dans le programme actuellement imaginé pour "Marseille 2013, capitale culturelle de l'Europe". 
 
Editions André Dimanche, 10 Cours Jean Ballard, 13001 Marseille. Diffusion Harmonia Mundi. 
 
 
Photos :  
Décembre 2009, 30 rue du Puits Neuf, Aix-en-Provence, Frédéric Valabrègue et André Dimanche. 
André Dimanche et Jean-Jacques Ceccarelli, décembre 2009. 
 


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