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Max | La cantine

Publié le 11 novembre 2010 par Aragon

cantine.gif4 heures du matin, tout à l'heure. Je me réveille comme un ressort. Toujours ce foutu rêve récurrent. Il faut que je parte, ça urge, on m'attend, ça dépend des fois. Parfois c'est un bateau, un avion que je dois prendre. Cette fois c'était un bus, je reconnaissais bien le lieu. C'était les grandes barres du casernement de Châteauroux qui n'existent plus aujourd'hui, l'ancienne base US qui fut jadis mon pensionnat est bouffée par les herbes folles, car l'armée a mis la clé sous la porte depuis belle lurette.

En tout cas je devais partir, les potes étaient déjà descendus depuis longtemps, moi, dans ma piaule tout en haut des étages, j'avais encore ma cantine à finir de remplir. Et pourtant je croyais que j'avais le temps. Mais le temps, justement, je ne l'avais plus. Le temps de partir était arrivé et j'avais encore une montagne d'affaires dans mon placard. Pas une mais deux, cantoches. Je les voyais ces foutues cantines, pleines de bordel. Je me voyais mettre dedans,  frénétiquement, plein de trucs bizarres, incongrus et les copains que je voyais tout en bas, loin, à l'angle de l'autre immeuble achevaient de mettre leurs "pacos" dans le bus et ils allaient tous foutre le camp. Mes cantines étaient loin d'être remplies.

Et je me voyais, dans ma piaule, enfin, je m'imaginais tout en les bourrant à la va-vite, je me voyais donc les descendant dans l'escalier, les tirant sur le goudron de la grande allée, essayant de rejoindre le bus qui de toute manière partirait sans moi. Tant d'affaires à mettre dedans encore. Pute borgne comme dirait Dominique. Impossible. Je savais que je n'y arriverai pas.

Je me suis réveillé comme un ressort. Mais dans la seconde qui suivait je me suis retrouvé hyper cool car la solution je l'avais. Lumineuse, tellement évidente. Mes cantines, la prochaine fois je les laisserai. Pas besoin de cantines, ni de valoches, ni de sac. Rien de rien. Nothing, nada. Je partirai sans rien la prochaine fois. Comme on disait à Châteauroux autrefois, "avec ma bite et mon couteau".

Je me souviens d'un pote rencontré au Québec, qui voyageait sans rien, pas même une brosse à dent, pas même un calbut. Il achetait tout, enfin, le strict minimum, selon ses besoins. Au moment voulu.

Je me souviens de cette collègue de Bordeaux qui a perdu sa fille. Sa fille a un jour disparu corps et bien. On a retrouvé sa bagnole dans un chemin creux avec son sac à main complet, une caisse et la recette du jour. Elle était commerçante ambulante. Mais la fille évanouie. Elle était mariée, un conjoint charmant, deux enfants, leur commerce marchait très bien. On a imaginé le pire. Enquête, flics, deuil impossible à faire. Dix ans après elle a téléphoné à sa mère. Elle était vivante et avait refait sa vie en Crète. Elle a dit a sa mère que ça avait été pour elle une question de vie ou de mort. Personne ne peut bien sûr comprendre un tel choix. On rentre obligatoirement dans le jugement.

Je me souviens de ce film admirable "L'armée des ombres" de Melville ou Ventura / Gerbier , qui connaît la règle de ce jeu sinistre imaginé par les nazis pour y être "déjà passé", décide cette fois - nous sommes à la fin du film -  de ne pas courir dans le long couloir du champ de tir pour essayer de sauver sa vie. Il va être fauché par la mitrailleuse mais c'est pourtant lui qui sort vainqueur de cette tragédie. Tout est une question de choix. Toute notre vie repose sur le "Je fais" ou "Je ne fais pas".

Tout est foutraque, tout est en vrac dans ma tête ce matin mais je retiens deux choses. Ne pas s'alourdir, ne pas fuir devant l'ennemi. L'affronter. Bras d'honneur flamboyant à des cantines, à l'ennemi qui veut t'abattre.

J'ai entendu Michel Houellebecq sur Inter cette semaine, au lendemain de son prix. C'est un mec, un vrai, MH. Il dit non à tout, il dit que nous n'avons aucun devoir, mais que des droits et il a parfaitement raison. Il se sent en France comme dans un hôtel. Il ne reconnaît qu'une seule autorité, qu'une seule légitimité, la sienne. Sa pleine possession-certitude de l'état d'homme libre, vivant, qui a des droits. Uniquement des droits.

Le droit de dire "Je fais". Le droit de tous les droits.



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