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La Princesse de Montpensier, Tavernier et les cuistres et une pensée pour Juliet B. et pour Christine P.

Publié le 13 novembre 2010 par Petistspavs

LA PRINCESSE DE MONTPENSIER
FILM DE BERTRAND TAVERNIER

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La Princesse de Montpensier est un film ample, généreux, qui utilise tout l'espace du cinémascope pour nous montrer le mouvement d'un monde dans la fluidité de longs plans séquences animés comme la vie même. Le Monde le dit joliment, c'est un film "baroque, souvent instable, mais porté par ce qui fit justement le malheur de la princesse : le désir"Bertrand Tavernier nous offre un film "d'une sévérité gracieuse" (Télérama).

De  quoi s'agit-il sinon de fureur : fureur des guerres de religion et fureur (plus dangereuse ?) des sentiments et du désir. Marie de Montpensier (Mélanie Thierry), après avoir été mariée, en fait vendue par son père, est  terriblement convoitée : par son époux (ce qui n'est pas le moins étrange, car le sentiment amoureux qui vient s'insinuer entre le jeune homme et sa novice épouse n'était pas forcément contractuelle et va constituer un ferment de désordre détonant), le prince, catholique, brave jeune homme (Grégoire Leprince-Ringuet), par son presqu'amant, Henri de Guise, prédateur au cœur encore tendre (Gaspard Ulliel), par le puissant Henri, duc d'Anjou et futur roi de France (Raphaël Personnaz) et par le comte de Chabannes, de plus basse extraction mais d'âme plus haute que ses cadets (Lambert Wilson).

Droits des femmes, intrigues de Cour, violence d'État , arrogance des puissants et indifférence à la souffrance des "humbles", intolérance religieuse et j'en passe, malgré une reconstitution historique soignée jusqu'au pointillisme, Bertrand Tavernier signe aussi un film qui nous parle d'aujourd'hui, pour aujourd'hui, avec certains des grands acteurs de demain. Grégoire Leprince-Ringuet (également à l'affiche depuis mercredi dans Le réfractaire de Nicolas Steil), tout en retenue et en subtilité, mène sa bande de godelureaux classieux avec une autorité toute intérieure. Bresson aurait fait quelque chose de grand avec ce jeune homme de trop bonne famille qui nous étonne par un parcours sans faute depuis Les chansons d'amour de Christophe Honoré

A noter dans la distribution : Lambert Wilson, que j'avais trouvé mauvais comme un cochon dans le trop consensuel Des hommes et des dieux est, ici, parfait de présence physique (c'est un guerrier), morale (c'est un intellectuel, un philosophe, on sait par Descartes qu'en cette époque confuse un philosophe pouvait se faire soldat), passionnel (c'est un amoureux, jaloux mais courtois). Il incarne un Chabannes consumé par sa mauvaise conscience (il a tué jusqu'à l'abjection), meurtri par sa la contradiction intime : il est amoureux à en mourir de l'épouse (Marie de Montpensier) de son presque fils, le Prince qui, en outre (et histoire de compliquer le tableau) l'a pris sous sa protection quand le Comte, las de trop de combats, a déserté le camp des Huguenots pour se réfugier dans un pacifisme un peu avant-garde pour l'époque (mais le film nous parle aussi d'aujourd'hui et ne défend nullement les valeurs de la chevalerie, mais bien celles de la démocratie).

Bertrand tavernier, en donnant à Lambert Wilson une dimension, une épaisseur humaine inhabituelle (osons ce mot : une dimension tragique), se montre un grand directeur d'acteur, meilleur sans aucun doute que le pâle Xavier Beauvois.qui n'a pas su ôter à Wilson ses lunettes de prof catho de gauche. Et aujourd'hui, la polémique ne prend pas fin ici.

Car nous voici à nouveau, avec ce film, en face d'une nouvelle querelle des anciens et des modernes. Libération et Les inrockuptibles qui sont (et restent) dans la presse "grand public" les meilleurs défenseurs, en France, d'un cinéma en mouvement (et, au delà, d'une littérature, d'un théâtre, d'une scène en mouvement et d'une politique culturelle audacieuse qui ne sacrifie jamais son avant-garde au nom d'un consensus aléatoire) ont à nouveau traité le dernier Tavernier par un mépris agacé et ennuyé.

Excessif.com n'aime pas, mais il s'en explique, qu'on adhère ou non à son argumentation. Pour Chronicart.com, "Tavernier retourne au musée", et c'est la "Malédiction du label Maurice Druon présente qui parasite tout, neutralise toute possibilité pour le film de trouver une forme". Donc on nous ressort le vieux refrain du Tavernier académique, in capable de se dépêtrer du style de ses grands anciens (Clouzot, Autant-Lara, Christian Jacques, pourquoi Christian Iacques au fait ?). Ces contempteurs de Tavernier essaient au moins d'expliquer pourquoi ils n'aiment pas le film, avec des arguments d'autant plus rabachés qu'ils sont douteux (Ah ! le fameux académisme de tavernier !).

Libération et Les inrockuptibles n'ont pas cette élégance. Les inrocks traite le film en quelques lignes méprisantes. Libé l'aborde dans les autres films de la semaine, ceux donc qui ne méritent même pas une ligne de critique. Ca, c'est bon pour La rafle et Camping 2, s'agissant de Tavernier, c'est insultant et niais.

C'est insultant, car traiter comme de la merde l'homme de l'Institut Lumière de Lyon, le critique amoureux du cinéma qui a tellement contribué à réhabiliter des cinéastes longtemps méprisés ou oubliés comme Michael Powell (dont on a pu récemment redécouvrir le magnifique Les chaussons rouges), André de Toth, Delmer Daves et récemment Bud Boetticher (dont Les inrocks s'est entiché, cf le dernier numéro, page 93) et combien d'autres, l'historien du cinéma auteur d'une somme sur les réalisateurs américains (Amis américains, 996 pages d'entretiens avec les grands cinéastes américains, publié par Actes Sud/Institut Lumière), surtout le réalisateur qui a donné ses plus beaux rôles à Philippe Noiret, un dernier grand rôle à Romy Schneider (La mort en direct avec Harvey Keitel) et surtout, surtout, qui a donné sa chance à l'infiniment précieuse et talentueuse Christine Pascal (qui se souvient que le très peu "académique" La garce, première réalisation de Christine Pascal trouve son origine et son inspiration dans un incroyable monologue de l'actrice dans Les enfants gâtés - aux côtés de Michel Piccoli ?) - je reprends cette phrase alambiquée - traiter cet homme comme de la merde, c'est insulter une part très excitante de l'histoire du cinéma

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Christine Pascal

Insultant, mais niais, au final. Car ce passage à la trappe sans le moindre effort critique rappelle trop la crétinerie des trois Pieds Nickelés du Figaro, conduits par Eric Neuneuhof, qui avaient flingué à Cannes sans le moindre argument critique (sinon des formules genre : "on comprend rien", "c'est Kitano, donc c'est nul" etc.) des films comme Poetry, Film Socialisme ou Oncle Bonmee. Je vous ai passé deux fois la vidéo, je ne récidive pas. Quand les zigotos du Figaro s'empêtrent dans leur incapacité à voir le cinéma tel que ses créateurs le conçoivent aujourd'hui, c'est plutôt drôle. Quand Libé et Les inrocks les imitent (l'absence d'argument critique) pour démolir un cinéma dont la facture classique, voire artisanale n'affaiblissent en rien la réalité cinématographique qui se doit d'interpeller le critique, ça me gêne profondément. C'est infiniment attristant pour moi. Et j'ai suffisamment défendu ici le cinéma capable de prendre des risques et j'ai suffisamment conchié un cinéma de la paresse intellectuelle et de la mollesse morale (La rafle) pour publier ce billet qui n'a pour but que de défendre un cinéaste essentiel dans le contexte français contre des critiques vides ressemblant à des dénonciations.

A propos de dénonciation, je ne dénoncerai ni mon abonnement à Libé, ni celui aux inrocks qui restent, malgré tout, la fleur du sel de la défense et illustration d'une politique culturelle (et d'une culture politique) à laquelle on ne peut qu'adhérer quand on aime le ciné, les livres, la musique, la scène et les gens.

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C'est peu dire que j'ai un faible pour Juliet Berto, actrice, scénariste, réalisatrice, metteur en scène de théâtre qui a inspiré une chanson à Yves Simon. Je ne suis pas certain qu'on se rappelle beaucoup d'elle, pas plus qu'on se rappelle de Christine Pascal, à qui je l'associe, non par facilité (ces deux actrices nous ont quitté au même âge, à 42 ans) mais en raison d'une alchimie particulière qui les portait : un charme fou, je parle tant de la femme que de l'actrice en elles, un même refus du monde tel qu'il est et nous blesse, une énergie météorique associée à un goût immodéré de la mise en abyme qui les détruira, sans doute, mais pas avant d'en avoir fait des images fulgurantes de la jeune création de ces années là.

On prête ces mots à Juliet Berto: « Je voudrais vraiment arriver à toucher quelque chose d’essentiel ; et sans prétention. Je voulais balancer un peu de lumière, si on peut dire. Parce que les nuages, la grisaille, y’en a marre. Et tout le monde en crève autour ». C'était à propos de son cinéma, je crois que ça pourrait s'appliquer à sa vie.

Quelques photographies de cette femme qui me manque toujours, avec en fond musical (si vous cliquez) la chanson d'Yves Simon

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Juliet Berto lors d’un débat public du Festival d’Avignon le 5 août 1967. ©Photo JLggB

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Le gai savoir, avec Jean-Pierre Léaud (1969)

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La Chinoise (1967) de Ferdinand Godard

Juliet Berto a fait l'actrice, entre autres, pour Philippe Garrel, Jacques Doillon, Fernando Arrabal, Robert Kramer, Joseph Losey, Alain Tanner et, bien évidemment Jean-Luc Godard et Jacques Rivette.

Sur Juliet Berto
Lien vers Les mots sont importants, article de Pierre Tevanian


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