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Un amour simple (Grandjean)

Par Mo
Un amour simple

Grandjean © La Boîte à Bulles – 2011

Un jour d’avril 1975, au Foyer des Acacias, les regards de Nono et Lucy se croisent. Sans dire un mot, Lucy sort du réfectoire, emprunte les couloirs du Centre d’Hébergement et monte dans sa chambre. Nono la suit, complice silencieux dont le cœur bat la chamade. Ils entrent, la porte se referme sur eux… ce moment leur appartient. Il marque le début d’une belle histoire d’amour entre deux personnes psychotiques.

Quelques jours plus tard, lors d’une sortie avec le Foyer, Lucy vole un livre sur les océans. Ensemble, ils plongent dans la découverte de ses magnifiques photos. L’émerveillement est présent à chaque nouvelle page et l’envie naît, petit à petit, de partir ensemble au bord de la mer. C’est désormais leur secret, et quand ce désir de grand large devient incontrôlable, Lucy prend les choses en main et organise le départ (récupérer les médicaments, se renseigner sur la route à prendre…). Et l’aventure commence !

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Pour ceux qui travailleraient en Foyer accueillant des adultes handicapés, il n’y a pas de doute, on retrouve bien ici tous les éléments de cet univers si particulier. Atmosphère des lieux, repères du quotidien, éducateurs complètement pris dans la routine professionnelle, des interminables discussions avec les collègues autour d’une pause « café clope »… On retrouve aussi les résidents à la fois si touchants et si horripilants, des « salope ! »» qui fusent à la moindre frustration jusuqu’à leurs ambivalences les plus curieuses, de l’envie de les protéger au besoin vital de sortir prendre l’air pour faire descendre la tension… Bref, pour le décor, je valide pleinement bien que cet univers puisse paraitre un brin déjanté pour ceux qui ne connaitraient pas. Il y a juste l’absence des familles, que ce soit via les visites prévues ou non au foyer, ou les interminables conversations téléphoniques avec elles… ça aussi c’est du quotidien de foyer mais Bernard Grandjean ne le montre pas. On sent planer les aigreurs de la vie institutionnelle. De ces personnes que l’on « enferme » dans des prises en charge qui annihilent tout désir personnel, toute intimité, toute autonomie… Car il faut bien reconnaitre que, sortis de leurs emploi du temps quotidiens (lever, départ aux ateliers ou au CAT, retour à 17h, une petite heure de temps mort avant le repas du soir puis le moment d’un sommeil bien mérité… week-end en famille ou sortie de groupe), ces gens-là ne disposent que de peu de temps libre… sous réserve qu’on leur en laisse la possibilité et/ou qu’ils en aient la capacité.

Après tout, ce n’est pas le sujet ! Passé le décor et la retranscription de l’ambiance, je dirais qu’Un amour simple, c’est 250 pages de fraîcheur qui débarquent dans les bacs de nos libraires préférés. Les deux personnages principaux vont s’offrir la liberté. Leur amour est entier, presque enfantin, il est si sincère qu’il fait du bien (au lecteur). Nono et Lucy sont-ils purement fictifs ? Ont-ils existé réellement ou en partie ? Il est vrai que ces personnalités-là peuplent les foyers… ces personnalités-là et d’autres… Les deux personnages principaux sont crédibles et, même si leur escapade reste de l’ordre de l’événement rarissime, le cas de figure reste possible.

Avec respect et tendresse, l’auteur retranscrit tout cela, des tensions et des petites joies de la vie en collectivité à ces individus fragiles dépendants de rituels. Le trait de l’auteur est doux et bienveillant, maladroit aussi, mais cela ne gâche pas la lecture. Au contraire, il fait echo au thème et à ses personnages. La bichromie noire-bleue renforce l’impression de sérénité tout en mettant en valeur les différents éléments du récit : la candeur et la spontanéité des personnages, l’importance du monde imaginaire, des individus qui inspirent la confiance…

PictoOK
Le regard amusé de Bernard Grandjean éloigne tous pathos et toute lourdeur. Le fait qu’il caricature à peine cet univers ajoute une dose d’humour appréciable. Mélange entre bienveillance et « non bien traitance » institutionnelle, mélange entre monde réel et monde imaginaire… Voici le récit d’une histoire d’amour étonnante sur fond de road-movie original. Cet album est un bon moment de lecture, l’auteur a brossé avec intelligence quelques profils de psychotiques.

S’il m’était venu à l’esprit de faire une BD sur un de mes deux postes de travail (celui que j’exerce auprès d’adultes handicapés en l’occurrence), je ne pense pas que l’événement anecdotique comme celui présenté ici me serait venu à l’esprit. Car bien que les fugues soient réelles, elles ne sont pas très fréquentes (concrètement, j’interviens sur un foyer qui accueille un peu plus de 60 résidents, internat et externat confondu) et des événements de ce genre il y en a quoi… un par décennie ? un tous les quinze ans ? C’est peut-être aussi pour cela que j’ai apprécié cet album, parce que justement, il ne m’a pas replongé dans les lourdeurs institutionnelles tout en me laissant la possibilité de côtoyer, quelques planches durant, ces adultes si particuliers.

Je remercie La Boîte à Bulles pour cette découverte !

Un amour simple

One Shot

Éditeur : La Boîte à bulles

Collection : Contre-Jour

Dessinateur / Scénariste : Bernard GRANDJEAN

Dépôt légal : avril 2011

ISBN : 9782849531181

Bulles bulles bulles…

Un petit tour vers la Preview de Digibidi (14 premières planches)

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Un amour simple – Grandjean © La Boîte à Bulles – 2011


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