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Le président de la République doit-il être désigné par son bulletin de notes ?

Publié le 28 avril 2011 par Variae

L’élection présidentielle telle qu’elle est actuellement conçue a-t-elle un vice de fonctionnement majeur ? C’est le point de vue développé par deux économistes, Michel Balinski et Rida Laraki, dans une note pour Terra Nova. Le papier, produit à l’occasion du 21 avril, présente le raisonnement suivant : le scrutin majoritaire à deux tours peut éliminer dès le premier tour le candidat « recueillant l’assentiment majoritaire des Français », par exemple DSK, désigné comme la « meilleure personnalité politique du moment ». En quoi est-il le meilleur candidat ? Parce que les sondages le donnent gagnant contre tous les autres candidats au second tour, et aussi parce qu’ils le placent en tête des cotes de popularité. Oui mais voilà : la dispersion des voix avec une pluralité de candidatures à gauche risque de le priver de second tour, d’une part ; et d’autre part, si des électeurs non-socialistes (Front de Gauche, Verts …) votent pour lui dès le premier tour en se forçant, dans une logique de « vote utile », ils privent leur candidat de cœur des voix qu’il mérite. Bref, quoi qu’il arrive, le scrutin majoritaire à deux tours est coupable : coupable de priver les petits candidats de voix qui leur sont dues, coupable de potentiellement empêcher le « meilleur candidat » d’accéder au tour d’élection où il pourrait donner toute sa mesure. D’où la proposition présentée dans cette note : le jugement majoritaire, consistant à demander à chaque électeur de noter chaque candidat par une mention sur une échelle de 7 degrés, de « Excellent » à « A rejeter ». Ensuite, on calcule la « mention majoritaire » des candidats (celle qui leur a été le plus souvent accordée, en gros) et on les classe à partir de là. Ce qui permet notamment de dire le bien qu’on pense de plusieurs candidats, de ne pas risquer d’éliminer précocement les gros candidats en donnant son seul suffrage à un « petit » candidat, etc.

Le président de la République doit-il être désigné par son bulletin de notes ?

On sort de la lecture de ce document un peu interloqué. Oui, le fonctionnement actuel de la présidentielle est discutable. Non, une réflexion méthodologique telle que celle présentée par Terra Nova ne doit pas être écartée d’un revers de main au motif de son caractère iconoclaste et de son côté « professeur Nimbus » : après tout, la bizarrerie ou l’étrangeté d’un processus n’est qu’une question d’habitude, et un pays habitué au jugement majoritaire trouverait probablement notre système actuel absurde. Mais il n’en reste pas moins que cette nouvelle méthode semble poser plus de problèmes que de solutions.

Premier problème : le « jugement majoritaire » est complexe, difficilement compréhensible, donc peu transparent pour l’électeur et partant de là, peu démocratique. Il faut une lecture attentive d’un document d’une grosse dizaine de pages pour comprendre ce système, exemples à l’appui. On peut parier que cette très faible lisibilité renforcerait abstention et votes de colère : elle conforterait le sentiment d’une tambouille électorale mitonnée par les partis politiques pour s’arranger entre eux. Pire encore, l’électeur n’a même pas de visibilité sur les effets de son propre choix, sauf à ne donner une « mention » qu’au seul candidat qu’il soutient vraiment : on lui extorque des informations pour désigner le « meilleur candidat » malgré lui, en quelque sorte.

Deuxième problème : les auteurs ont raison de considérer que le système actuel donne peu d’informations sur l’opinion des électeurs (que pensent-ils des candidats pour lesquels ils ne votent pas ?), mais ils ont tort de surestimer l’information que ceux-ci ont à donner. Combien d’électeurs opèrent leur choix en soupesant et comparant méthodiquement ce que propose et incarne chaque candidat ? Sauf à croire que par quelque magie l’ensemble du corps électoral va soudain se mettre à étudier scolairement toutes les candidatures qui lui seront proposées, et sera d’une honnêteté totale dans son choix (c’est-à-dire ne « notera » que les candidats qu’il connait réellement), on peut déjà prévoir un « bruit » informationnel énorme dans les résultats – c’est-à-dire que ceux-ci seront faussés par quantité de réponses données au hasard, ou pour des raisons très minces. « Ayant voté pour un candidat, la voix d’un électeur ne révèle absolument rien de ce qu’il pense des autres candidats », nous explique la note : et si ledit électeur n’en pense rien, ou pas grand chose ? Et si un vote n’était pas un sondage ou une interrogation écrite ?

Troisième problème : les auteurs peuvent bien se réfugier derrière un argument d’autorité scientiste récurrent (« il a été démontré scientifiquement que le jugement majoritaire est la seule réponse possible à tous les maux », sic), la partie politique de leur raisonnement témoigne d’un manque de rigueur et de réflexion étonnant. Toute leur démonstration part de l’hypothèse d’un « meilleur candidat » ou « candidat plébiscité » pré-existant au vote, qui serait révélé par les sondages, mais pourrait être démenti par le vote lui-même. Du coup il faudrait reconstruire le système de vote pour confirmer ce que disent les sondages. Ce qui est une aberration : en démocratie, le « taux d’approbation » d’un candidat n’est pas une sorte de phénomène naturel qu’il s’agirait de mesurer par différents procédés (vote, jugement majoritaire …) : il est construit par le vote lui-même, et en procède directement. Ce que les auteurs appellent joliment un « biais de vote », le vote utile, n’est ni plus ni moins qu’un choix politique, dont on débat politiquement, et ceux qui font ce choix ne le font pas avec le couteau sous la gorge. Idem pour le vote pour un « petit » candidat. Si Monsieur X, super-candidat donné gagnant à tous les coups au deuxième tour par les sondages, ne réunit pourtant pas la majorité des suffrages dès le premier tour (voire ne se qualifie même pas pour le second), ne vaudrait-il pas mieux s’interroger sur les raisons de ce hiatus, plutôt que bricoler une procédure permettant de retrouver les projections du second tour dès le premier tour ? La légitimité c’est le vote, pas les sondages. Balinski et Laraki commettent une pétition de principe en inversant cet ordre des choses, et aussi une faute logique : être gagnant sous condition (d’accès au second tour, en l’occurrence), ce n’est pas être gagnant tout court ! Une probabilité conditionnelle n’est pas une probabilité “sèche”. Imaginons qu’une étude démontre que si on retire les suffrages des électeurs ayant déjà trompé leur conjoint, Nicolas Dupont-Aignan est élu dès le premier tour président de la République : faut-il l’introniser « candidat majoritaire », et retirer le droit de vote aux électeurs adultérins pour faire éclater cette vérité au grand jour ?

Les auteurs se coulent en réalité dans une vision parfaitement dépolitisée de la société, où le choix politique ne serait plus la sélection et l’expression d’une vision pour le pays, d’une idéologie (quel vilain mot !) à laquelle on adhère, mais un soupesage de la « qualité politique » (?) des uns et des autres, tous mis sur le même plan (« je pense beaucoup de bien du PS, un peu des Verts, pas beaucoup de l’UMP, mais encore moins du Nouveau Centre … »). C’est en fait la résurgence, à la mode économétrique, du vieux fantasme républicano-centriste et technocratique du « gouvernement des meilleurs », promouvant une vision non-conflictuelle (« apaisée ») de la politique et écrasant les divergences d’idées sur de simples questions d’évaluation et de classement, préférés au vote, jugé trop peu efficace.

Enfin, et à tout prendre, les auteurs de cette note manquent d’audace et de cohérence. Quand ils pointent l’irrationalité de l’élection au suffrage universel du président de la République, ils posent (sans s’en rendre compte ?) plus la question de cette désignation même que celle de ses modalités. On peut mesurer, actuellement plus que jamais, les dégâts causés par le présidentialisme : écrasement du débat sur des questions de personne, crétinisation de la vie politique, sans parler du poids démesuré de l’octroi de tous les pouvoirs à un homme seul sur un seul vote. Et si la fin du mandat sarokzyste, qui aura largement démontré les vices de la « monarchie républicaine », était le parfait moment pour reposer la question d’une république parlementaire ?

Romain Pigenel

Pour ou contre une modification du scrutin présidentiel, voire une suppression de l’élection du président au suffrage universel ? La question est posée à Jegoun, Yann Savidan, Sarkofrance, L’Hérétique, Bah by CC, Des pas perdus, Melclalex, Mon avis t’intéresse, El Camino, Le Coucou, Gabale, Corto, La Pire Racaille, Coralie Delaume, Marc Vasseur, Intox2007 , Romain Blachier et, à tout seigneur tout honneur, La Rénovitude !


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