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Les finances mafieuses du Vatican

Publié le 03 mai 2011 par Savatier

 Il se passe de bien étranges transactions financières derrière les épaisses murailles du Vatican. Et si l’Eglise promet aux plus zélés de ses fidèles le Paradis dans un hypothétique au-delà, dans notre siècle bien réel, l’IOR, la banque du Vatican, offre à des clients fortunés, des politiciens corrompus et des mafieux notoires un paradis fiscal et bancaire des plus discrets.

Le fait n’est pas nouveau. Déjà en 1955, Roger Peyrefitte avait révélé dans son roman très documenté, Les Clés de Saint-Pierre, que l’IOR permettait à de riches dépositaires qui n’avaient rien à voir avec l’Eglise de mettre leur argent à l’abri – notamment du fisc italien. Dans les années 1970, sous le règne de Paul VI, le phénomène prit une ampleur planétaire avec la nomination de l’archevêque Paul Marcinkus à la tête de la banque. Ses alliances avec Michele Sindona, le financier de la Mafia, Licio Gelli, Grand-Maître de la loge P2 (qui tenait plus de l’association politico-mafieuse d’extrême droite que d’une organisation maçonnique) et Roberto Calvi, surnommé « le banquier de Dieu », aboutirent, en 1982, à la faillite de la banque Ambrosiano, une institution qui, avec la complicité de Marcinkus et de l’IOR, blanchissait, via des sociétés écran, situées notamment aux Bahamas, au Pérou, au Panama et au Luxembourg, des flux colossaux d’argent sale tout en faisant trafic de titres boursiers falsifiés.

En 1978, informé de ces pratiques dès son élection, le pape Jean-Paul Ier, homme de Dieu à la probité irréprochable que la Curie tente aujourd’hui encore de faire passer pour un minus habens, voulut nettoyer ces écuries d’Augias pontificales. Dans son tout premier discours, il en exprima clairement l’intention. Sa mort, aussi subite que fort suspecte, puisqu’il était à la veille de passer à l’acte, fut accueillie comme une « divine surprise » par les protagonistes susnommés et quelques prélats complices. D’autres décès étranges en rapport avec cette affaire suivront, comme celui de Roberto Calvi, « suicidé » sous un pont de Londres en 1982, de Gérard Soisson, un cadre de Clearstream qui en savait trop, retrouvé mort en Corse en 1983 ou de Michele Sindona, victime en 1986 d’un café aromatisé au cyanure alors qu’il s’apprêtait faire des révélations…

Jean-Paul II, si rigoriste sur la morale sexuelle des fidèles et si fermé aux théologies progressistes, se montrait beaucoup moins pointilleux envers les pratiques mafieuses de l’IOR. Il maintint Marcinkus à son poste jusqu’en 1984 et lui fit obtenir un passeport diplomatique du Saint-Siège pour le soustraire à la Justice italienne, laquelle avait émis à son encontre un mandat d’amener. Morale à géométrie variable ? Sans aucun doute, mais il est vrai que l’archevêque avait su rendre des services à Wojtyla en transférant des sommes considérables et pas nécessairement immaculées au syndicat polonais Solidarité, notamment grâce à Calvi.

Après le départ de Marcinkus, on aurait pu penser que l’IOR allait assainir ses pratiques. Or, un récent essai du journaliste Gianluigi Nuzzi, Vatican S.A. (Hugo et Cie, 308 pages, 19,50 €) prouve qu’il n’en fut rien. L’ouvrage bénéficie d’une source de premier ordre : les archives secrètes de Renato Dardozzi (1922-2003), un éminent membre de la Curie romaine, proche collaborateur du cardinal Casaroli qui fut secrétaire d’Etat de 1979 à 1990. A la mort du prélat, ses dernières volontés furent de rendre ces documents publics « afin que chacun connaisse la vérité. »

Et, cette vérité est proprement hallucinante. L’auteur la livre comme un procès-verbal d’instruction, soigneusement documenté de lettres et de rapports secrets destinés au pape, de fiches d’ouverture de comptes chiffrés assorties des signatures autorisées, de relevés d’opérations bancaires, de montants des principaux comptes parallèles.

Que nous apprennent ces documents ? Que l’ancien collaborateur de Marcinkus, l’évêque Donato de Bonis (1930-2001), maintenu en place à l’IOR après l’éviction de l’archevêque, créa un réseau de comptes bancaires attribués à des fondations fictives. Ces comptes servirent à blanchir des centaines de millions d’euros, incluant le « méga pot de vin » de l’affaire Enimont, dont profitèrent plusieurs politiciens de tous bords et au premier rang desquels figure, sous un nom de code ou sous sa véritable identité, l’indestructible chef de la Démocratie chrétienne Giulio Andreotti.

Pour cet évêque ambitieux, visiblement, le plus efficace moyen de s’élever était de s’abaisser, car ces documents nous apprennent encore qu’avec un cynisme effrayant, certaines de ces fondations avaient officiellement pour vocation d’aider l’enfance malheureuse ou les malades de la leucémie et que même les produits des dons des fidèles pour la messe disparaissaient dans la nébuleuse qu’il avait créée après quelques tours de passe-passe.

L’essai de Nuzzi est d’autant plus accablant pour le Vatican qu’une fois ces délits financiers découverts en interne, des responsables, des cardinaux – tous couverts par Wojtyla qui était tenu informé – œuvrèrent pour dissimuler les faits à la Justice italienne en dépit de ses nombreuses commissions rogatoires. L’onction du style de certains rapports qui l’attestent vaut, si l’on peut dire, son pesant d’or. Visiblement, ce pape désormais « bienheureux » n’avait pas fait sienne la cinquième règle inscrite dans les décrétales de son lointain prédécesseur Grégoire IX : « il faut toujours dire la vérité, même au risque de provoquer le scandale ».

En matière de scandale, dans la dernière section de Vatican S.A., on semble toucher le fond, puisqu’y sont expliquées les techniques employées par la Mafia sicilienne pour blanchir ses revenus occultes en les déposant directement à l’IOR. En fait de recyclage, la banque du Vatican possédait quelques longueurs d’avance sur les adeptes du développement durable. Mais ad majorem Dei gloriam, il va sans dire…

Ce livre est un best seller en Italie, en dépit des tentatives du Vatican, dans un premier temps, de le discréditer, avant de jeter l’éponge devant l’authenticité avérée des documents produits. L’attitude victimaire est une stratégie classique de défense de l’Eglise lorsque celle-ci est confrontée à ses turpitudes, les scandales liés à la pédophilie en offrent, jusqu’à une époque récente, un autre exemple. Le lecteur français, pour se repérer dans cette nébuleuse financière composée d’une foule de noms qui ne lui sont pas familiers, devra, certes, faire un effort et s’aider des notices biographiques et des notes qui figurent en fin de volume, mais cela en vaut la peine.

Le 1er juin 2010, le Vatican a officiellement signé une convention aux termes de laquelle il adopte toutes les règles anti-blanchiment de l’Union Européenne et jure qu’il agira désormais en toute transparence. Benoît XVI a même promulgué une loi (motu proprio) instaurant une Autorité d’information financière. Mais qui pourrait encore accorder le moindre crédit à l’Eglise sur la transparence de sa banque ? Un article du Monde du 1er janvier dernier annonçait que l’actuel président de l’IOR « et un autre haut dirigeant avaient été placés sous enquête pour violation d’une nouvelle loi italienne anti-blanchiment », pour des mouvements de fonds suspects d’un total de 23 millions d’euros… Nous sommes bien loin de la « céleste monnaie » que Bossuet définissait comme « l’Evangile et tous ses mystères ». Parmi des mystères plus terrestres, on se demande d’ailleurs pourquoi le nouveau président de l’IOR a dû conserver auprès de lui tous les collaborateurs qui étaient déjà en fonction lors des précédents scandales. A la blanchisserie Vatican, le service est si discret que l’on semble répugner à laver son linge sale, même en famille.

La couverture austère de Vatican S.A. aurait pu s’égayer des armoiries du Saint-Siège qui, selon l’héraldique, sont « coupées d’argent et d’or ». Dans cette science du blason, on appelle cela, en l’occurence… des armes parlantes.

Illustrations : De gauche à droite et de haut en bas : Licio Gelli, Roberto Calvi, Michele Sindona et Paul Marcinkus - Giulio Andreotti - Jean-Paul II et Paul Marcinkus.


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