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DAF de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire #Eluard

Publié le 23 août 2011 par Lamusegalante

La figure de Sade est étroitement mêlée à l’histoire du surréalisme. Pourfendeur absolu de la morale, doté d’une langue prophétique, iconoclaste, jaillie des feux de l’Enfer de l’enfermement, Sade devient dans le mouvement le symbole d’une révolte qui passe par la sexualité jusque dans ses extrêmes.

C’est Paul Eluard, qui le premier consacre dans le n° 8 de la Révolution surréaliste un article au « divin marquis » dans lequel il fustige « tous les hypocrites commentateurs » qui font l’impasse sur « la haute signification des oeuvres de celui-ci pour ne s’attacher qu’à sa légende qui révolte leur parfaite médiocrité et leur sert de prétexte pour défendre leur morale sans cesse outragée ».

DAF de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire #Eluard

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D. A. F. de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire (par Paul Eluard)

 » Ce que j’entends par cette gloire de la France, s’il faut le dire, c’était l’illustre auteur d’un livre contre lequel vous criez tous à l’infamie, et que vous avez tous dans votre poche, je vous en demande bien pardon, cher lecteur ; c’était, dis-je, très-haut et très-puissant seigneur, monsieur le comte de Sade, dont les fils dégénérés portent aujourd’hui parmi nous un front noble et fier, un front noble et pur. « 

PÉTRUS BOREL : MADAME PUTIPHAR.

M. Maurice Talmeyr a publié dans Le Figaro des 10 juillet et 18 septembre, deux articles pour montrer le dévouement et l’amour de la marquise de Sade pour son mari. Ce n’est qu’une longue énumération de confitures, pâtés, gilets, chemises, etc., toujours suivie de ferventes déclarations de tendresse et d’amour. Et M. Maurice Talmeyr de s’indigner que Sade ne réponde jamais que par des injures, des railleries ou par de nouvelles demandes. Il n’est pas étonnant que tous les hypocrites commentateurs du divin Marquis aient toujours négligé la haute signification des oeuvres de celui-ci pour ne s’attacher qu’à sa légende qui révolte leur parfaite médiocrité et leur sert de facile prétexte pour défendre leur morale sans cesse outragée.

L’esprit de Sade s’est fait la plus grave des violences. Entraîné par une idée de la justice telle qu’elle fait bon marché de l’individu casé dans la société, il n’accepte de considérer, que pour le bafouer et le détruire, tout ce qui subsiste dans le plateau-injustice de la balance. La vertu portant son bonheur en elle-même, il s’efforce, au nom de tout ce qui souffre de l’impureté, de l’abaisser, de l’humilier, de lui imposer la loi suprême du malheur. La morale chrétienne n’est que dérision et, contre elle, se dressent tous les appétits du corps et de l’imagination. Pour le corps  » c’est une chose très différente que d’aimer ou que de jouir ; la preuve en est qu’on aime tous les jours sans jouir, et qu’on jouit encore plus souvent sans aimer.  » Toutes les figures créées par l’imagination doivent être les maîtresses absolues des réalités de l’amour. Et celui qu’elles inspirent s’enfermera avec elles :  » Les jouissances isolées ont donc des charmes, elles peuvent donc en avoir plus que toutes autres ; eh ! s’il n’en était pas ainsi, comment jouiraient tant de vieillards, tant de gens ou contrefaits ou pleins de défauts ? Ils sont bien sûrs qu’on ne les aime pas ; bien certains qu’il est impossible qu’on partage ce qu’ils éprouvent : en ont-ils moins de volupté ? « 

Et Sade, justifiant les hommes qui portent la singularité dans les choses de l’amour, s’élève contre ceux qui ne le reconnaissent indispensable que pour perpétuer leur sale race :  » Pédants, bourreaux, guichetiers, législateurs, racaille tonsurée, que ferez-vous, quand nous en serons là ? Que deviendront vos lois, votre morale, votre religion, vos potences, votre paradis, vos Dieux, votre enfer, quand il sera démontré que tel ou tel cours de liqueurs, telle sorte de fibres, tel degré d’âcreté dans le sang ou dans les esprits animaux suffisent à faire d’un homme l’objet de vos peines ou de vos récompenses ? « 

DAF de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire #Eluard

L’article de M. Maurice Talmeyr nous révèle un curieux aspect de l’esprit de Sade. Dans sa prison, celui-ci couvre les lettres de sa femme de railleries, de malédictions et de calculs cabalistiques. Sur une lettre à laquelle sa fille, Laure de Sade, a ajouté quelques lignes, il inscrit :  » Cette lettre à 72 syllabes qui sont les 72 semaines du retour ; elle a 7 lignes et 7 syllabes, qui sont juste les 7 mois et 7 jours qu’il y a du 17 avril au 22 janvier 1780. Le mol  » aujourd’hui  » se trouve à (ici, une phrase illisible). Elle a 191 lettres et 49 mots. Or, 49 mols et 10 lignes font 59, et il y a 59 semaines jusqu’au 30 mai. « 

Ailleurs, quand Mme de Sade lui annonce qu’elle pense obtenir l’autorisation de le voir, il note :  » Je vais mettre ma main dans la tienne. Serre-la-moi autant de fois qu’il y aura de mois ou de semaines, bien fort si ce sont des mois, bien doucement si ce sont des semaines. « 

Et toujours comptant, combinant le nombre des lettres, des syllabes, des mots et des lignes, il accuse la marquise de le tromper, de mentir et d’être une gueuse. M. Maurice Talmeyr, qui, probablement, effeuille encore la marguerite, conclut à la folie. Le marquis de Sade n’en était plus évidemment aux ménagements sentimentaux, lui qui écrivit :  » Allons, je vous pardonne et je dois respecter des principes qui conduisent à des égarements. « 

Pour avoir voulu redonner à l’homme civilisé la force de ses instincts primitifs, pour avoir voulu délivrer l’imagination amoureuse et pour avoir lutté désespérément pour la justice et l’égalité absolues, le marquis de Sade a été enfermé presque toute sa vie à la Bastille, à Vincennes et à Charenton (1). Son oeuvre a été livrée au feu ou à la curiosité sénile d’écrivains pornographiques (2) qui se firent un devoir de la dénaturer. Son nom est devenu le synonyme de cruel et d’assassin. Tous les assis ont bavé sur cette âme indomptable.

Seuls, font exception, Guillaume Apollinaire, qui, dans sa préface aux Pages choisies, écrit :  » Le marquis de Sade, cet esprit le plus libre qui ait encore existé  » et le docteur Eugen Duchren.

Il ne fut jamais d’homme plus souverainement malheureux. Il a toujours accepté le défi de la morale convenue et est toujours resté à la pointe des ouragans qu’elle déchaîna contre lui. La Révolution le trouva dévoué corps et âme. Il put confronter son génie et celui de tout un peuple délirant de force et de liberté, mais quel phénomène maintenant pourrait-il le garder, lui qui se flattait de disparaître de la mémoire des hommes, du contact affreux des porcs et des singes ?

PAUL ELUARD.

(1) Le marquis de Sade a passé vingt-sept ans dans onze prisons différentes.

(2) Dulaure, Janin, Octave Uzanne, Paul Ginisty, Léo Taxil, Michelet, Anatole France, Maurice Talmeyr, etc., etc.


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