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Un radieux Giovanni Giorgi par le Chœur de Chambre de Namur et Leonardo García Alarcón

Publié le 07 septembre 2011 par Jeanchristophepucek
placido costanzi immaculee conception

Placido Costanzi (Rome, c.1690-1759),
L’Immaculée Conception
, c.1730 (étude préparatoire).

Huile sur toile, 65,4 x 81,28 cm, Los Angeles, Getty Museum.

Au printemps dernier, Leonardo García Alarcón nous avait gratifiés de très belles Vespro a San Marco dont les choix interprétatifs nous permettaient de renouveler notre approche de la musique sacrée de Vivaldi. Ceux qui suivent le parcours assez extraordinaire de ce chef savent qu’il n’est cependant pas homme à se limiter aux compositeurs très fréquentés ; avant Il Diluvio Universale, oratorio inédit de Michelangelo Falvetti, à paraître à la fin du mois de septembre aux Éditions Ambronay, il nous offre aujourd’hui Ave Maria, une anthologie consacrée à un autre inconnu, Giovanni Giorgi, publiée par Ricercar.

Bien qu’il ait occupé des fonctions éminentes, de nombreux éléments de la biographie de Giovanni Giorgi nous échappent, à commencer par son année et son lieu de naissance. On peut lui supposer, comme le fait le livret du disque, des origines voire un apprentissage vénitiens, ce dernier néanmoins largement tempéré par un séjour romain sans doute important, en termes de durée comme d’impact. Le nom du compositeur est, en effet, attesté pour la première fois à Rome en 1719, lorsqu’il succède à Giuseppe Ottavio Pitoni (1657-1743), nommé, lui, à la tête de la prestigieuse Cappella Giulia de la Basilique Saint-Pierre, en qualité de maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran. Le fait que Giorgi obtienne ce poste enviable laisse, à mon avis, conjecturer que ses compétences musicales étaient connues dans la Ville éternelle, un indice plaidant en faveur d’une implantation précoce, qu’elles y étaient suffisamment appréciées pour lui valoir un tel emploi, et qu’il bénéficiait d’appuis solides, vraisemblablement de Pitoni lui-même, une comparaison du style des deux musiciens révélant un plausible lien de maître à élève. Giorgi exerce à Saint-Jean-de-Latran jusqu’en 1725, année où, engagé par le roi João V, il rejoint la cour de Lisbonne en qualité de compositeur et maître de chapelle. D’après les recherches les plus récentes, il semble bien qu’il ait quitté cette ville après le tremblement de terre de 1755 pour gagner Gênes d’où il a continué à fournir de la musique pour les institutions portugaises avec lesquelles il était toujours lié par contrat. C’est dans cette dernière cité ou peut-être à Rome que meurt Giorgi en 1762.

dirck stoop palais royal lisbonne
Les pièces proposées dans cette anthologie permettent de se faire une bonne idée de la production d’un compositeur qui se place à la croisée des chemins, solidement ancré dans une tradition inaugurée au XVIe siècle et illustrant, dans le même temps, une conception « moderne » de la musique sacrée, domaine auquel il s’est presque exclusivement consacré. La caractéristique la plus immédiatement frappante du style de Giorgi est l’exigence de lisibilité qui y préside, le texte demeurant toujours parfaitement intelligible, y compris lorsque la polyphonie devient complexe ou l’esthétique monumentale. On peut y voir une floraison tardive des principes de la Contre-Réforme musicale, édictés par le Concile de Trente (achevé en 1563), qui cherchaient à bannir l’excès d’ornementation propre à détourner l’attention des fidèles de la Parole et dont on tenait Palestrina (1525/26-1594) comme un des meilleurs représentants ; il est tout à fait possible que ce caractère palestrinien, patent dans la Messa a due Cori tutti piena où passent également quelques souvenirs de Gregorio Allegri (1582-1652), soit une des marques les plus évidentes, avec l’emploi d’une polychoralité tempérée, à mes oreilles plus romaine que vénitienne, d’un apprentissage de Giorgi auprès de Pitoni, grand connaisseur du compositeur renaissant comme de cette technique. Les motets et offertoires offrent, eux, une variété d’affects plus importante et n’hésitent pas à recourir à des effets comme les chromatismes, retards ou accélérations pour théâtraliser le discours ; on peut dire que si la Messe cherche à l’impressionner, ces pièces de dimensions plus réduites visent surtout à toucher le fidèle, en s’adressant à lui d’une manière plus directe et individualisée. Cette impression est encore renforcée par la capacité de Giorgi à tisser, alors que tout démontre sa maîtrise contrapuntique, des mélodies d’une grande simplicité, immédiatement séduisantes et facilement mémorisables (l’Ave Maria qui ouvre le disque en fournit une parfaite illustration), ce qui constitue peut-être la part la plus « moderne » de son inspiration, avec une exigence de fluidité et de sobriété, que le texte signé par Leonardo García Alarcón relie judicieusement avec le travail de Corelli dans le domaine instrumental, regardant déjà vers le style « galant ».

De cette musique plus difficile à mettre en place qu’il y paraît, les vaillantes troupes (photographie ci-dessous) réunies sous la direction à la fois vive et précise de Leonardo García Alarcón savent d’emblée tirer le meilleur, en usant des qualités qui font de chacune de leurs prestations un rendez-vous toujours attendu et passionnant. On pourra certes toujours discuter les choix effectués par le chef, particulièrement son ajout de doublures instrumentales dans la Messa a due Cori, mais outre qu’il est plutôt rassurant, en des temps marqués par la frilosité, de voir un musicien oser proposer de nouvelles pistes, ces dernières sont assumées avec tant d’intelligence musicale et de panache qu’elles ne peuvent que susciter une vraie sympathie. Car Leonardo García Alarcón sait se donner les moyens de ses ambitions en s’entourant notamment d’interprètes de haut niveau prêts à donner vie à sa vision des répertoires qu’il aborde. La prestation des musiciens de Clematis et de la Cappella Mediterranea, judicieusement mise en valeur, entre autres, dans une version purement instrumentale d’In omnem terram, est ainsi pleine de sève et de couleurs, passant sans aucun mal de la vivacité à la tendresse en conservant toujours beaucoup de fermeté de trait et d’articulation.

giovanni giorgi leonardo garcia alarcon
Côté voix, si l’on excepte quelques légères inégalités et imprécisions dans la Messe, il y a de quoi être également comblé. Le quatuor de solistes, unissant la sensualité de la soprano Mariana Flores, la clarté du contre-ténor Fabian Schofrin, l’autorité du ténor Fernando Guimarães et la solidité de la basse Matteo Bellotto, est très bon et le bel équilibre entre les chanteurs démontre qu’ils sont accoutumés à travailler ensemble sans chercher à se concurrencer. Très sollicité, le Chœur de Chambre de Namur fait une nouvelle fois merveille par sa cohésion et sa souplesse, sonnant avec autant de plénitude que de transparence, se pliant sans difficulté aux différentes configurations voulues par le chef et réagissant avec une magnifique instantanéité à ses moindres injonctions. Le travail de Leonardo García Alarcón se distingue une nouvelle fois par son mélange caractéristique et très efficace d’enthousiasme et de maturité ; il est évident que ce projet a été réellement mûri avant d’être confié aux micros, mais la densité du travail préparatoire n’est en rien un frein à la spontanéité du résultat final, plein de sensibilité, particulièrement dans les pièces pour la Semaine Sainte, et de fraîcheur. Mon seul regret est que les vingt-cinq minutes inemployées du disque n’aient pas été mises à profit pour proposer d’autres œuvres de Giorgi voire de Pitoni.

Je recommande donc à tous les amateurs de musique baroque curieux d’explorer de nouvelles pistes de ne pas manquer cet enregistrement très réussi, car, outre qu’il permet de préciser la connaissance que nous avons du répertoire sacré du XVIIIe siècle, il démontre que l’oubli dans lequel était tombé Giorgi est loin d’être justifié. Espérons donc que la splendide faim de redécouverte qui anime Leonardo García Alarcón et ses ensembles ne s’éteindra pas de sitôt et continuera de trouver auprès des éditeurs comme du public un écho favorable.

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Giovanni Giorgi ( ?-1762), Ave Maria. Messa a due Cori tutti piena, offertoires, motet.

Mariana Flores, soprano. Fabian Schofrin, contre-ténor. Fernando Guimarães, ténor. Matteo Bellotto, basse.
Chœur de Chambre de Namur
Cappella Mediterranea
Clematis
Leonardo García Alarcón, direction

1 CD [durée totale : 55’00”] Ricercar RIC 313. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. In omnem terram, offertoire
(première partie, cordes seules)

2. Ascendit Deus in jubilatione, offertoire

3. In omnem terram, offertoire
(seconde partie, vents seuls)

4. Messa a due Cori : Gloria

Illustrations complémentaires :

Dirck Stoop (Utrecht, c.1618- Utrecht ?, après 1681), Le palais royal de Lisbonne, c.1661-62 ? Eau forte sur papier, 15,8 x 23,5 cm, Paris, Musée du Louvre.

Photographie de Leonardo García Alarcón dirigeant le Chœur de Chambre de Namur, la Cappella Mediterranea et Clematis lors de la recréation des œuvres de Giorgi au festival de La Chaise-Dieu © Le Progrès.


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