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Guerre de la dette

Publié le 01 novembre 2011 par Uscan
Les médias ne font pas leur travail de comprendre et d'expliquer le contenu de décisions qui conditionnent lourdement notre avenir, notre indépendance et nos finances. Les politiques non plus. Sarkozy, qui est apparu à la télévision pendant plus d'une heure jeudi dernier, aurait fait de la "pédagogie" selon les commentateurs. Quelle pédagogie? Avez-vous compris le FESF et les décisions prises grâce à ses explications?
Ce sont des citoyens ou de rares journalistes en marge de la machine médiatique qui s'attèlent à cette tâche. Leur porte-voix est en carton et leur voix presque inaudible à côté des volumes surdimensionés que crachent les "mass media".
Aujourd'hui, c'est votre serviteur qui a cherché à comprendre ce qui a été décidé pour nous la semaine dernière. Explication.

Le FESF une société de droit privée dont le siège est à Luxembourg. A ce titre, il n'a de compte à rendre à personne, sauf à ses dirigeants et à ses actionnaires. Son directeur général est Klaus Regling. Le Conseil d'administration du FESF comprend les hauts représentants des seize membres de la zone euro. La Commission européenne et la Banque centrale européenne peuvent chacun nommer un observateur au conseil d'administration du FESF. Ce dernier n'a aucune obligation légale de responsabilité devant le Parlement européen. Le FESF est à durée limitée. Le MES (ou MSE en français) est censé lui succéder de façon pérenne.

Le Fonds est un SPV. Les SPV sont des sociétés (avec les SIV) qui constituent l'essentiel de ce que l'on nomme le shadow banking. A travers ces entreprises-écran, les banques réalisent des opérations hors bilan et hors réglementation.
Concrètement : une banque crée un SPV. Elle lui accorde un crédit pour une durée inférieure à un an, ce qui lui permet d'éviter l'obligation légale qui consiste à bloquer de l'argent pour se protéger au cas où le prêt ne serait pas remboursé (Accords de Bâle). Le SPV émet un "effet de commerce" c'est à dire une reconnaissance de dette que les investisseurs peuvent négocier et s'échanger. Elle prolonge de cette façon le crédit de la banque limité à un an. Ces emprunts à court terme bénéficient d'un faible taux d'intérêt, plus faible que ce que rapportent des créances à long terme comme des obligations hypothécaires par exemple. Les SPV font un bénéfice sur cette marge (opération spéculative sur écart de rendement).

Ces bénéfices demeurent assez faibles. Pour que l'opération devienne intéressante, il est nécessaire d'utiliser un effet levier. L'effet levier consiste à d'acheter plus qu'on ne le peut en payant plus tard. Par exemple, vous avez 10€. Vous pouvez acheter 10 actions à 1€. On vous autorise à acheter 200 actions et à rembourser 190€ (200€ moins votre apport de 10€) dans deux mois. Au bout de deux mois si vos actions ont augmentées de 20 centimes, vos 10€ investis ont rapportés 40€ de plus (vos actions valent 240€ et vous devez rembourser 190€). L'effet levier est un outil spéculatif de base, qui démultiplie vos gains ou vos pertes. En effet, si les actions baissent et perdent 20 centimes, ils se trouve que votre paquet d'actions ne vaut plus que 160€. Vous avez perdu 40€. Sans effet levier vos dix euros seraient devenus 9,80€. Mais avec l'effet levier, vous perdez carrément 40€. Vous vous retrouvez avec 30€ de dettes à la place de vos 10€. Si l'entreprise dont vous portez les titres fait faillite, là c'est catastrophique, vous avez directement 200€ à rembourser, alors que vous aviez seulement 10€ à l'origine. Cet effet levier permet de gagner beaucoup d'argent très vite si l'on fait les bons paris, mais il peut ruiner tout aussi vite.

Revenons au FESF. Le Fonds est abondé pour 440 milliards d'euros par des obligations directement garanties par les Etats européens proportionnellement à leur participation au capital de la BCE. En clair le FESF emprunte sur les marchés et les Etats se portent garants, les plus grands actionnaires de la BCE comme l'Allemagne et la France se portent garants sur une plus grande part de la somme. En cas de problème ce sont les Etats qui payent, ce qui rassure les marchés puisque ce sont les pays les moins fragiles qui supportent le plus gros du risque. Cette technique mutualise les risques, exactement comme les CDS et les CDO, des produits financiers structurés, ont mutualisé les risques entre toutes les banques et tous les fonds d'investissement dans la crise des subprimes. C'est la même logique : diluer le risque entre tous pour qu'il devienne supportable. L'idée est intéressante entre gens raisonnables. Elle devient terrifiante dans les mains d'institutions qui cherchent à gagner un maximum d'argent par tous les moyens1. Si un pays de la zone euro fait défaut, ce sont les autres qui devront rembourser ses dettes. Or ces derniers sont déjà lourdement endettés. Autrement dit, l'écroulement d'un pays risque d'entrainer les autres. Tout est basé sur l'espoir qu'aucun pays ne s'écroule jamais. C'est là que se situe toute la duperie de ces soi-disant plans de sauvetage : ils ne fonctionnent que si personne ne coule. Comme une assurance qui ne peut vous assurer que quand tout va bien, et qui vous explique que le simple fait d'être assuré vous garantit que tout ira bien. Or les banques sont criblées de dettes depuis 2007, et tout l'édifice financier est boiteux. Comme une bonne partie des pertes subies en 2007 l'ont été hors bilan, dans des SIV ; et comme les CDS qui obligent un acteur B à payer pour les pertes de A sont conclus de gré à gré, donc sans jamais apparaître sur les marchés, il est complètement impossible d'évaluer la réalité des trous et la réalité des risques. La seule chose que l'on sait c'est que les pertes sont immenses.
Le plan de sauvetage est le suivant : nous avons un homme en train de se faire avaler par des sables mouvants. Nous sautons tous dans les mêmes sables et nous nous relions à lui par une corde en espérant que cela l'empêchera de sombrer. Cela ralentira (peut-être) son enfoncement mais nous savons tous que tôt ou tard, nous seront engloutis ensemble. Nous achetons du temps. Pour nous donner du courage et pour encourager les passants à venir nous aider (ralentir davantage la chute) nous prétendons même que notre présence à tous va intimider les sables qui vont arrêter d'être mouvants. Or, personne n'a décidé de réformer les marchés à ce point : personne n'a rétabli le Glass-Steagle Act et personne n'a interdit l'utilisation de l'effet levier, qui sont essentiellement la "mouvance" des sables du marché mondial. Au contraire!

Pour augmenter le capital du FESF il a été décidé le 26 octobre dernier de recourir à un effet levier! LE FESF va donc chercher des volontaires sur les marchés pour lui consentir des prêts. C'est à ce sujet que l'on parle de la Chine. Quoiqu'il arrive le FESF devra rembourser l'intégralité de cette dette, intérêts compris. Avec ce capital (Obligations d'Etat + investisseurs), le FESF va acheter des bons du trésor de pays européens en difficulté, il va donc acheter de la dette européenne pourrie. En écoutant les médias il est facile de comprendre que la Chine va aider l'Europe et garantissant avec elle une partie de sa dette. Il ne s'agit pas du tout de cela. La Chine va investir (peut-être) dans le FESF et attendre des rendements de cet investissement. Si un Etat européen faisait faillite, et que le FESF doive couvrir ses dettes, celui-ci mobiliserait l'argent que les Etats avaient promis (les 440 milliards, dont 159 milliards pour la France qui serait immédiatement ruinée). Si jamais les 440 milliards n'étaient pas suffisants, il faudrait dépenser aussi l'argent des investisseurs, les chinois entre autres. Non seulement les Etats européens seraient tous en faillite mais ils seraient aussi endettés, ce dernier point étant la nouveauté décidée le 26/27 octobre! C'est donc pour fêter notre mise en esclavage programmée qu'on a sabré le champagne chez BFM TV. Que se passera-t-il? Les fameux investisseurs commenceront par exiger qu'on leur vende tout notre or pour éponger une part de la dette, ensuite ils n'auront plus qu'à venir se servir sur le dos de la population en faisant voler en éclats les coûteux services publics et le code du travail. C'est ce qui se passe en Grèce (le pays vient de suspendre toutes les conventions collectives). C'est également la même stratégie qu'utilisent les Etats-Unis et, ironie, l'Europe depuis les années 70 pour asservir les pays du tiers monde par la dette (lire à ce sujet John Perkins, Joseph Stiglitz, voir le site du CADTM, sur ce site dans la rubrique Tous les docs, voyez le cycle néolibéralisme de mars à mai 2010). Serait-ce finalement l'intention des Etats-Unis (qui font tout pour précipiter un tel scénario, notamment en manœuvrant pour impliquer les pays hors zone euro dans les décisions actuelles, des pays récemment devenus membres grâce à l'appui de Washington et globalement plus atlantistes) et de la Chine? Se pourrait-il que l'Europe soit victime de la guerre entre deux puissances mondiales : les États-Unis qui cherchent à éviter leur propre faillite (le dollar n'a plus de valeur, leur dette est pire que celle de l'Europe) et la Chine qui cherche à prendre le pouvoir? Au moins un élément supplémentaire plaide pour ce scénario : Max Keiser rapporte s'être entretenu avant 2001 avec des financiers de la JP Morgan, qui lui auraient expliqué qu'ils étaient en train de maquiller les comptes du pays pour permettre son adhésion à l'Europe. Ils le faisaient en sachant que cela tuerait l'économie de ce pays et leur permettrait de racheter toutes ses richesses à vil prix. Je vais bientôt mettre en ligne un extrait radiophonique dans lequel il raconte cela.

Difficile de trouver quelqu'un pour investir dans un fonds programmé pour engranger des actifs toxiques avant de s'effondrer. C'est pourtant à ce petit jeu (de dupe) que jouent tous les acteurs économiques actuellement. D'ailleurs, le FESF n'arrive même pas à lever 5 milliards de dollars sur quinze ans. Cette semaine il a du revoir ses prétentions à la baisse et se contenter de 3 milliards sur 10 ans afin de financer une partie de la dette irlandaise. Seules Barclays Capital, le Crédit Agricole et la JPMorgan ont accepté.
Là où les chinois ne sont pas dupes, c'est qu'ils savent, d'après le très renseigné Max Keiser, qu'un écroulement est inévitable. Ils savent que l'on ne sortira de la crise que par un retour au standard or. Pendant qu'ils participent à maintenir le système aussi longtemps que possible, ils font ce qu'ils peuvent pour récupérer le maximum d'or possible. Remercions au passage Sarkozy d'avoir dilapidé 20% du stock d'or de notre pays.

1Sur la première décennie des années 2000, jusqu'à 2007, la plupart des banques ont simplement ignorées le risque et ont prêté à tout le monde. Elles ont engrangées des milliards jusqu'au jour où il y a eu tellement de défauts que le trou a menacé d'un bloc tout le système. A partir de là la chute a été très rapide, car l'écroulement d'un tout petit acteur peut entrainer tous les autres. L'effet levier dont nous avons parlé se met en branle, et les pertes se répercutent à tous, puisque toutes les institutions ont pris en charge une partie du risque. De petits fonds s'écroulent en en menacent de plus gros, et l'onde de choc s'étend jusqu'à menacer toute l'économie. Arrivé à ce seuil, plus personne ne prête à plus personne de peur de perdre son argent. L'économie s'arrête. Nous sommes allés jusque là en 2007. Depuis cette perspective ne s'est jamais évanouie. Nous avons de nouveau frôlé ce scénario mercredi dernier.


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