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Retour à Killybegs ~ Sorj Chalandon

Par Tinusia

retour à killybegsC'est le 10 juillet 1942. Tyrone Meehan a tout juste 16 ans. Trois ans plus tôt, la Grande-Bretagne a adopté une loi visant à justifier juridiquement sa lutte contre les membres actifs de l'Armée républicaine irlandaise. Très vite, au sein des « Na Fianna hÉireann », les scouts de la République, il prend les armes et s'engage dans cette guerre impitoyable et sanglante qui opposera les membres de son organisation aux « Brits ». Son chef, c'est Daniel, « Danny » Finley, « un gars sans émotion, sans chaleur ni mot de trop ». Puis il intègre, quelques années plus tard, le mouvement de l'IRA.

C'est le 4 avril 2007. Tyrone Meehan a 81 ans. 65 ans de lutte sont derrière lui. Deux ans plus tôt, l'IRA a officiellement déposé les armes. Le vieil homme est seul, à Killybegs, dans la maison de son père. Il s'y est réfugié, contraint par sa propre histoire qui rejoint celle de son pays. Mais leurs histoires, un jour, sournoisement, ont pris des chemins contraires. Un jour... le 14 août 1969. Tout a basculé pour Tyrone Meehan. Tout, absolument tout.

 Sorj Chalandon est un maître. Un maître de l'écriture, un maître des mots, un maître de l'Histoire auxquels il sait donner vie, souffle, passion. Sa plume est limpide, incisive, sobre, brute ; elle insuffle l'émotion, elle propulse le lecteur dans la souffrance des protagonistes, elle le projette dans la violence des actes et des sentiments. « Il n'y a pas de mot pour donner la mort ».

Sorj Chalandon ne juge pas. Il questionne les faits, les agissements des uns et des autres, avec tant d'intensité que transparaît son propre désarroi devant l'amer et douloureux constat qu'il a fait, un jour, dans sa vie. « Un salaud est peut-être un chic type qui a baissé les bras ». Peut-être ? Sans doute, lorsqu'on lit la vie, les luttes, les engagements et les désengagements de Tyronne Meehan. Parce que... « on peut aimer l'Irlande à en mourir, ou l'aimer à en trahir ». Dans le cœur de son héros, les deux amours cohabitent au point de se fondre l'un dans l'autre, de tant s'interpénétrer que Tyronne parvient à se convaincre que c'est pour sauver sa patrie qu'il trahit. « Mes mots ne tuaient personne, ne faisaient souffrir personne, n'envoyaient personne en prison », et aussi « je ne reniais rien, ne salissais rien. J'avais laissé le salaud du côté de Falls Road. À Paris, je ne trahissais pas, j'instruisais. Je faisais un travail utile, militant, fondamental, probablement historique. […] J'étais tellement, mais tellement plus utile à la paix qu'un coup de feu ridicule tiré d'un toit sur une patrouille de nuit ».

Quelle puissance, dans ce roman ! Quelle dimension ! Quelle profondeur ! Je ne suis pas sortie indemne de cette lecture haletante, qui prend aux tripes et au cœur, qui serre la gorge, qui met en lumière l'infinie difficulté de se comporter en être digne quels que soient les aléas de la vie.

C'est à Tyronne Meehan que je laisse les derniers mots :

« Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes que je n'ai même jamais rencontrés. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi, et j'enrage. N'écoutez rien de ce qu'ils prétendront. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu. Personne n'a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence.

Killybegs, le 24 décembre 2006
Tyrone Meehan

Une interview de Sorj Chalandon, à propos de son roman.

Et surtout, le billet d'Emmyne que je remercie infiniment.

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Voici un livre lu dans le cadre du

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