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The Léon Tzinmann Story - Pacôme Thiellement, Soap Apocryphe (Inculte, 2012) par Pierre Pigot

Par Fric Frac Club
The Léon Tzinmann Story - Pacôme Thiellement, Soap Apocryphe (Inculte, 2012) par Pierre Pigot The Léon Tzinmann Story - Pacôme Thiellement, Soap Apocryphe (Inculte, 2012) par Pierre Pigot Jusqu'à présent, Pacôme Thiellement nous a surtout habitués à ses différents essais centrés sur la rencontre « de la pop et de la gnose », des Beatles à Led Zeppelin en passant par Frank Zappa, sans oublier des séries comme Twin Peaks ou Lost. Chacun de ces livres se distinguait par le fait que, une fois tous ses montages agencés et ses conséquences redéployées, leur lecteur se retrouvait face à une conclusion qui l'impliquait directement, comme un miroir brusquement tendu à son propre visage provisoirement désorienté, et qui l'incitait à reconfigurer pour lui-même, dans sa propre existence, les leçons éthiques qui étaient esquissées en creux par tous les paysages dûs à des ymagiers de génie qu'il venait de traverser. Or, dans Soap Apocryphe, c'est ce regard-miroir qui est pour la première fois directement incarné dans sa propre fiction, autrement dit dans le déroulé explicite des processus parfois labyrinthiques ou déroutants qui ont mené à sa formation définitive. La clé de voûte n'y est donc plus un assemblage capital qui nous est généreusement offert, mais au contraire un « don » (presque au sens nabokovien du mot) qui ne peut être distillé qu'au cours de la traversée de toutes les errances possibles et imaginables. C'est d'ailleurs ce thème de la traversée qui donne son tempo spécifique à ce court roman : les scènes, les images, les paroles, les références y tourbillonnent sans répit, et dans le même mouvement tout passe comme la cadence d'un rêve, une image qui chasse l'autre et qui finit par créer pour son lecteur un grand flou onirique dans lequel, au gré des promenades nocturnes dans un Paris impalpable, toute la tradition des « piétons de Paris », de Gérard de Nerval à André Breton, est brièvement resuscitée alors que la bande-originale ne cesse de changer de pays ou d'époque. Le roman y devient le tunnel inaugural d'Alice : une contrée métamorphe où même les indices de réalité (noms de rue) deviennent des masques trompeurs, tandis que les références parfois cryptiques à des séries télévisées ou des groupes musicaux, au lieu de renforcer l'insertion du récit du personnage principal, Léon Tzinmann, ne font que la brouiller davantage à mesure que l'on s'enfonce dans cette quête exégétique dont on sent à chaque page tournée qu'elle ne peut se conclure que sur une catastrophe ou une révélation (les deux pouvant d'ailleurs parfaitement s'unir). Le soap est cette matière fictionnelle autrefois mécénée par des magnats de la lessive, pouvant s'étirer à l'infini dans son inanité intellectuelle, et que ce roman de Pacôme Thiellement transfère à sa manière dans l'univers intellectuel parisien (sans nul doute en souvenir du Out 1 de Jacques Rivette) – et s'il devient ici apocryphe, c'est parce que le texte qui appelle au cœur de cette fiction son exégèse est en fin de compte aussi trompeur et désorientant (au sens antique de ce mot) que les bisbilles et accrochages entre les différents protagonistes, entre querelles d'egos et blessures du cœur. Soap Apocryphe dessine, au centre des existences de l'homme solitaire des grandes villes, deux figures antithétiques : l'exégète et le gourou. Le gourou, c'est celui qui veut rassembler dans son propre cercle de maîtrise, l'ensemble des signes et des âmes qui ne devront jamais pouvoir s'en échapper au risque que le titre même de gourou n'en soit réduit à néant sous la relâche des individualités ; l'exégète, quant à lui, est ce solitaire qui au bout de toutes ses tentatives ratées de maîtrise a fini par renoncer à celle-ci et a trouvé paradoxalement dans ce renoncement le moyen de faire des signes du monde et des hiéroglyphes que sont les êtres qui l'entourent des anthologies fragmentées qui toutes, quand on sait les lire, reflètent la magie (fut-elle inversée) de l'unicité enfuie. Bien sûr, Soap Apocryphe a sa longue liste de clins d'œil à la pop culture (de Peggy Lee et Aretha Franklin à l'infâme Richard Wilkins III), à la sphère islamique (la huppe messagère de Salomon) ou à une espèce d'iconologie toute personnelle (tout le monde connaît-il la fabuleuse histoire de la statue du baron Dupuytren ?), voire même à une triste actualité politique récente (où trône un certain Biyatch Hell), mais son aspect d'autobiographie portant masque sur masque sur masque est finalement ce qui, au lecteur pas forcément averti, devra le moins importer. Car ce petit livre nous offre, en cette rentrée littéraire confite en autofiction pleurnicharde et en réalisme moralisateur (c'est le bon docteur Barthes qui le disait : le réalisme est un moralisme), l'occasion inespérée de s'échapper vers un univers personnel assez extraordinaire, distordu, méconnaissable, parfois grimaçant, porté à une certaine étrangeté colorée. Et c'est sans doute cela qui reste une fois le livre refermé : une couleur bigarrée, inconnue, et qui nous accompagne encore quelques temps – et avouons qu'en cette rentrée, peu de livres ont été capables de la même magie blanche.

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