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Symphonies de Luigi Boccherini par l'Akademie für Alte Musik Berlin

Publié le 05 décembre 2012 par Jeanchristophepucek

 

luis egidio melendez pastèques et pommes dans un paysage

Luis Egidio Meléndez (Naples, 1716-Madrid, 1780),
Pastèques et pommes dans un paysage
, 1771

Huile sur toile, 63 x 84 cm, Madrid, Musée du Prado
(image en très haute définition en suivant ce lien)

 

Au début des années 1770, Luis Egidio Meléndez abandonna, pour un temps, le fond neutre qu’il utilisait jusqu’alors dans ses bodegones pour mettre en scène fruits et objets dans des paysages librement composés. Le peintre, qui devait mourir indigent à Madrid en 1780, réalisa pas moins de quarante-quatre tableaux pour le cabinet d’histoire naturelle dont le prince des Asturies, appelé à régner sur l’Espagne en 1788 sous le nom de Charles IV, disposait dans son château d’Aranjuez. En 1769, Luigi Boccherini, violoncelliste virtuose originaire de Lucques, en Toscane, présent sur le territoire espagnol depuis une année, dédia ses Trios opus 6 au même prince avant d’entrer au service, le 8 novembre 1770, de son jeune frère, l’Infant Luis Antonio Jaime de Bourbon qu’il suivra dans l’exil qui le mènera à Arenas de San Pedro, dans la province d’Ávila. Il ne fait guère de doute que les deux artistes se sont croisés durant les quelques années où ils travaillèrent pour la famille royale.

 

Curieusement, la musique de Boccherini, un compositeur reconnu de son temps comme profondément original, peine encore à trouver la place qui devrait être la sienne dans le paysage de la fin du XVIIIe siècle. Il reste, aux yeux du grand public, l’auteur d’un inusable Menuet extrait de son Quintette à cordes en mi majeur op. 11 n°5 (Gérard, abrégé en G, 275, 1771), frêle arbre qui cache une forêt touffue et riche de surprises, voire de La Musica Notturna delle strade di Madrid de son Quintette à cordes en ut majeur op. 30 n°6 (G 324, 1780) ; sa Symphonie en ré mineur op. 12 n°4 dite « La Casa del Diavolo » (G 506, 1771) eut un temps son heure de gloire, mais elle ne semble plus autant en faveur aujourd’hui. La production symphonique de Boccherini est d’ailleurs un des parents pauvres de sa discographie et l’on s’étonne notamment du peu d’enregistrements produits par les ensembles « historiquement informés », dont aucun n’a été en mesure d’offrir aux mélomanes l’intégrale qu’ils sont toujours en droit d’attendre aujourd’hui.

Au début de l’année 1996, l’Akademie für alte Musik Berlin, ensemble fêtant cette année ses 30 ans car ayant donné ses premiers concerts officiels à l’automne 1982, vite repéré et encouragé par René Jacobs qui ne fut sans doute pas étranger au contrat d’exclusivité que les musiciens signèrent avec Harmonia Mundi en 1994, grave quatre symphonies du virtuoso di camera de Don Luis, rattaché à la mort de son protecteur, en 1785, à la Real Capilla de Charles III et nommé compositeur du roi de Prusse, Friedrich Wilhelm II, en 1786. Fort intelligemment, le programme répartit les quatre œuvres en deux couples autour de cette période charnière de 1785-86, G 508 et G 513 la précédant, G 519 et G 520 la suivant. Dès les premières minutes de la plus ancienne des œuvres, G 508 en la majeur (1771), l’inventivité et la liberté formelle de Boccherini éclatent comme une évidence, avec un Allegro assai très haydnien dont l’allant est souvent mêlé à un sentiment d’inquiétude qui en brouille la clarté et se transforme en une humeur assez nostalgique dans le Larghetto et même en quelque chose d’un peu menaçant dans le Minuetto et le Finale qui suivent, ce dernier commençant Grave avant de s’ébrouer Allegro assai. La Symphonie en mi bémol majeur G 513 (1782) est sans doute la plus ensoleillée des quatre comme en atteste son premier mouvement très sûr de lui et ponctué par des interventions des cors plutôt martiales, puis son Andante paisible et son vigoureux Tempo di minuetto conclusif. Avec G 519 en ut mineur (1788), l’atmosphère change du tout au tout ; elle se tend et s’acère, même si la Pastorale placée en seconde position et affublée de la curieuse indication Lentarello apporte un peu de détente sans toutefois dissiper complètement les ombres ; cette page demeure dans l’ensemble sombre et concentrée, traversée de bout en bout par un esprit Sturm und Drang qui ne fait de concession ni à la joliesse ni au confort d’écoute de l’auditeur. Le retour de ré majeur avec G 520 (1789) n’apporte qu’une clarification toute relative, car si le premier mouvement semble plein d’affirmation et d’une solidité parfois un rien goguenarde, très proche là aussi de l’esprit de Haydn comme le seront les surprises de l’emballant Presto final, l’Andante qui le suit, et dont certaines tournures font penser au Mozart des dernières symphonies, nous fait basculer dans un monde aux demi-teintes plus incertaines, comme si un drame était secrètement en train de s’y tramer. Le Menuetto, avec ses passages obligés pour le violon et les bois, retrouve une humeur plus aimable.

Tout au long de ce disque la netteté d’articulation et la rigueur rythmique, adoucies cependant par une certaine liberté de la touche, ainsi que le sens exacerbé des contrastes et du théâtre, autant de qualités qui font toujours aujourd’hui une partie du prix des lectures de l’Akademie für alte Musik Berlin s’imposent comme une évidence. Certes, les sonorités sont parfois encore un peu vertes, mais les musiciens ont de l’enthousiasme et de l’intelligence à revendre, ainsi qu’une envie de rendre justice à la musique de Boccherini qui balaie les éventuelles réserves et fait de cette réalisation une des meilleures consacrées récemment à ses symphonies.

Pour finir, rapprochons-nous une dernière fois du tableau de Meléndez pour constater les liens subtils qui semblent s’être tissés entre les productions du peintre et celles du musicien lorsqu’ils se côtoyèrent à Aranjuez au cours des premières années de la décennie 1770 ; leur langage correspond aux canons et aux attentes, mais pourtant mille petites irrégularités viennent lui insuffler une vie extraordinaire, les rythmes et les idées inattendus chez le musicien trouvant un écho, par exemple, dans la chair tourmentée, les pépins répandus et les pleurs d’eau des pastèques ouvertes que le peintre oppose, en les faisant se côtoyer, à l’aspect extérieur lisse des fruits inentamés. C’est ce subtil jeu de contrastes que l’interprétation de l’Akademie für alte Musik Berlin met en valeur avec un dynamisme roboratif qui fait de ce disque une aventure palpitante aux paysages sans cesse changeants.

 

luigi boccherini symphonies akademie fur alte musik berlin
Luigi Boccherini (1743-1805), Symphonies : en ut mineur op. 41 G 519, en mi bémol majeur op. 35 n°5 G 513, en la majeur op. 12 n°6 G 508, en ré majeur op. 42 G 520

 

Akademie für alte Musik Berlin

 

Enregistré en janvier 1996 [durée totale : 78’25”]. Publié en 1997 par Harmonia Mundi sous référence HMT 7901597. Ce disque peut être acheté (d’occasion) en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Symphonie en la majeur, G 508 : [I] Allegro assai

2. Symphonie en ré majeur, G 520 : [II] Andante

3. Symphonie en ut mineur, G 519 : [IV] Finale. Allegro


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