Magazine Cinéma

L’extravagant voyage du Jeunet prodigieux.

Par Unionstreet

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Première interview Pop-Corn! C’est un vendredi qu’a lieu le rendez vous. J’appelle mon ami Erwan qui prend aussitôt un jour de congé pour m’accompagner voir une des rares légendes du cinéma français, s’il en restes… Jean Pierre Jeunet, Réalisateur rare et précieux nous accueille dans son bureau rempli de souvenirs de tournages. Le costume du singe de « Delicatessen » dans un coin, le bateau miniature de « La cité des enfants perdus » dans l’autre. Sur une table la lampe cochon d’ « Amélie » aux cotés d’un « Alien » qui observe des photos d’ « Un long dimanche de fiançailles »… Et pour finir, la machine à mouvement perpétuel de « L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet », son dernier film. L’endroit regorge de souvenirs, pour lui mais aussi pour nous. Les grands sont rares et nous nous trouvons face à celui qui, sans le savoir, à bercé notre enfance de toutes les images que nous voulions voir, c’est à dire celles que personne d’autre ne filmait. Celles qui se cachaient dans notre imagination.

Cet homme m’a toujours intimidé parce qu’il est ma principale influence, celui qui m’a convaincu depuis mes 9 ans que le cinéma n’était pas une option mais une nécessité. Nous entrons ensuite dans la pièce où il fabrique ses films. Les murs sont recouverts d’affiches des films de Marcel Carné pour qui il voue une passion sans fin. Dans ma chambre c’est une affiche de « La cité des enfants perdus » qui trône depuis une éternité… Nous nous asseyons, et commence alors une discussion de passionnés dont voici les morceaux choisis:

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Union Street: Parle nous de ton 7ème long métrage « T.S Spivet » et de ce qui le différencie par rapport à tous tes autres films.

Jean-Pierre Jeunet: Il y a des différences et des points communs. Parmi les points communs, l’univers de Rief Larsen qui est très proche du mien. C’est d’ailleurs ce qui m’a attiré. Et les différences, qui m’ont donné envie c’était de le tourner en anglais et de filmer la nature, ce que je n’avais quasiment jamais fait, à part un peu dans « Un long dimanche de fiançailles ». En plus la 3d est pour moi une vraie nouveauté technique et un vrai challenge. C’était donc à la fois très proche de mon univers, tout en donnant matière à me renouveler.

La nature c’est un autre jeu. Comme je fais les cadres moi-même j’ai une préférence pour les paysages urbains car je compose l’image à la focale courte avec les perspectives et les lignes de fuite. Alors qu’avec la nature ça ne marche pas du tout de cette façon. Il faut être humble et modeste. Quand tu vois un paysage sublime à l’œil, tu fais une photo et il ne se passe plus rien, ça ne marche pas… Il y a des choses qui fonctionnent et d’autres pas du tout. Tu n’y es pour rien. Tu as beau mettre ta caméra 10 mètres plus loin, ça ne change rien. Il faut être là à la bonne heure, avec la bonne lumière et avoir la chance que la météo soit avec toi. C’est donc une autre approche.

La langue anglaise, c’était l’occasion de faire un casting complètement nouveau. Comme en France je connais un peu tout le monde, même si j’en découvre des nouveaux à chaque fois, ici, la directrice de casting ne me présentait que des gens que je ne connaissais pas. C’était très agréable, j’ai découvert énormément de gens super.

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Union Street: Pourquoi avoir choisi la 3D?

Jean-Pierre Jeunet: J’ai toujours aimé ça. Quand j’étais môme j’avais un View-Master avec lequel je m’amusais à recréer des histoires en changeant l’ordre des images que je projetais ensuite. Je pense que tous mes films auraient pu être faits en relief car c’est un cinéma visuel et ludique qui s’y prête énormément. C’était donc une belle opportunité, surtout que le livre semble fait pour ça, avec tous les dessins et les schémas de T.S. Spivet dans les marges. Ce qui est marrant avec la 3D ce n’est pas que ça soit joli en relief, c’est surtout quand ça vient flotter devant toi. Je me souviens de ce que les gens préféraient dans Avatar: c’était la pub Haribo où les bonbons venaient voler devant eux, ce qui n’est pas évident à intégrer dans un long métrage. Là, avec T.S. Spivet je pouvais faire ça et intégrer les dessins. Ça demande un énorme apprentissage; il faut que les choses s’approchent doucement pour ne pas exploser le cerveau du spectateur. Comme lorsqu’il y a une voix-off, dans les versions sous-titrées, comment les placer?  Il a fallu tout remonter en fonction de cela, c’est un vrai défi technique. J’ai fait un apprentissage en étudiant les films des autres, en voyant ce qu’il ne fallait pas faire, comme les amorces floues et les gens qui bougent trop vite, ce qui est horrible en 3D. J’ai dû adapter mon film et le rendre contemplatif pour offrir quelque chose de confortable. C’est tout un travail à chaque plan dans la façon de disposer les objets dans l’espace. Nous avions une tente avec le résultat directement visible en 3D, ce qui nous permettait de ne faire aucune erreur et de monter le film provisoirement afin d’avoir un aperçu direct. J’ai intégré la 3D à l’écriture, ce que peu de gens font, et nous avons pris un grand soin technique pour qu’il n’y ait pas d’inconfort. La 3D joue dans la narration, comme les effets spéciaux dans « Amélie ».

Nous sommes allés au maximum et je pense pouvoir dire que ce film n’a pas de défaut technique et possède la 3D la plus parfaite que l’on puisse obtenir. Encore faut-il aller le voir dans de bonnes conditions, car à cause du profit, la bonne 3D est en train de disparaitre. Les salles préfèrent projeter en passif, un système plus économique pour eux qui nuit non seulement aux projections en 3D mais aussi aux films en 2D; ça plus les mauvaises conversions qui finissent par dégouter le spectateur. Ce système passif rapporte de l’argent au lobbying américain qui l’a inventé et c’est une catastrophe.

Union Street: Qu’est-ce qui t’a poussé après « Micmacs à tire-larigot » à choisir d’adapter un livre plutôt qu’une histoire personnelle?

Jean-Pierre Jeunet: Simplement parce que les histoires personnelles comme Mic-Mac et Amélie sont assez dures à écrire… Il est difficile de se concentrer devant une page blanche. Il faut avoir de la matière. Mic-Mac est un film un peu plus fabriqué; ça se voulait un cartoon en prises de vues réelles. Nous somme passés à travers parce que je n’ai pas su l’expliquer, c’était avant tout un film pour enfants.  J’avais envie de me baser sur l’histoire d’un autre, de m’appuyer sur un truc existant. C’est difficile de trouver un bon livre dont tu vas tomber suffisamment amoureux pour bosser dessus pendant 3 ans. C’est très rare.

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Union Street: À qui s’adresse le film? Est-ce un film pour enfants, pour adultes ou pour les adultes qui refusent de grandir?

Jean-Pierre Jeunet: C’est un problème de marketing et je ne me pose pas ces questions. Au départ c’est un film pour moi. C’est vrai que la question se pose maintenant qu’il sort, on va dire que c’est un film pour familles même si on en est pas sûr… C’est souvent le cas de mes films, comme pour « La cité des enfants perdus ». Pour nous c’était un film destiné aux enfants mais les gens le trouvaient très noir.

Celui-ci est clairement visible par tous. Les enfants l’adorent même si ce n’est pas un film revendiqué comme tel. Il s’adresse aussi aux adultes qui ont été des enfants. Qui n’a pas rêvé de traverser le pays sur un train de marchandise, de fuir la famille ou de faire une fugue? Ça va probablement réveiller des choses. Les adultes qui l’aiment ne se posent pas la question, c’est un film avec un enfant. Dans « La nuit du chasseur » les héros sont des enfants aussi. Mes films tournent toujours autour de l’histoire du Petit Poucet, c’est très bizarre, je ne le fais pas exprès. L’ogre est à chaque fois représenté différemment. Dans « Amélie » c’est l’introversion, dans « Delicatessen », le boucher. Si j’avais fait « Life of Pi » ça aurait été le tigre et ici c’est la culpabilité du môme. D’une façon ou d’une autre ils s’en sortent toujours grâce à l’imaginaire.

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« Je m’appelle Jeunet quand même… Pas Vieillot. »

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Union Street: Tu parles de « Life of P »i dans lequel on sait que tu t’es énormément impliqué. Avec T.S. Spivet tu te tournes à nouveau vers un ouvrage réputé inadaptable où un enfant vit une aventure incroyable. Est-ce un hasard?

Jean-Pierre Jeunet: Peut-être que si j’avais fait « Life of Pi » je n’aurais pas fait celui là, c’est sûr. Mais je ne me suis pas posé la question, j’ai eu un coup de cœur. Si on aborde le sujet de « Life of Pi » il faut quand même que j’en dise deux mots. Je ne l’ai pas fait parce que la Fox ne voulait pas dépasser les 60 millions de dollars. Je leur ai dis que ce n’était pas possible. Ils m’ont donc demandé de le produire moi-même. Nous avons alors fait un devis à 59! Malheureusement c’était en euros à l’époque où le dollar et l’euro avaient le plus de différence, ce qui revenait au même. Ils m’ont ensuite demandé de repartir à zéro. C’est là que j’ai vu arriver ce qu’on appelle le point de non-retour. Je me suis dis que si je franchissais cette limite j’étais parti pour encore des années sur ce film. Comme c’était une commande, j’ai préféré tout arrêter. J’avais besoin de tourner, de faire un autre film. Je leur ai donné rendez vous dans 3 ans, quand la technologie aurait suffisamment évolué pour réaliser le tigre en images de synthèse. J’avais raison et c’est ce qu’ils ont fait… Mais sans moi. Et le film a couté 150 millions de dollars…
J’ai quand même passé deux ans dessus.

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Union Street: Quand on voit les difficultés à monter un film, est-ce qu’on n’a pas parfois envie d’aller vers quelque chose de plus brut avec un budget et une équipe réduite, caméra à l’épaule? Chose qui semble impossible pour un réalisateur comme toi.

Jean-Pierre Jeunet: Si, c’est mon rêve à chaque fois! Mais dés que je trouve une histoire c’est compliqué, il y a des effets spéciaux. J’ai tellement de difficultés à dénicher un sujet. Par contre je n’ai aucun mal à trouver les idées à l’intérieur de celui-ci. Comme j’écris, ça prend pas loin d’une année. Quand c’est fini j’ai la chance inouïe que mes films soient vendus dans le monde entier. Il faut donc aller en parler. Je perds un an à faire de la promo, plus la fabrication qui est longue comme mes tournages, et le temps de trouver l’argent, c’est toujours 3-4 ans.
Idéalement dans mes films il faudrait toujours qu’il y ait 5 éléments: Une bonne histoire avec des bons personnages, de l’émotion, de l’humour, un aspect graphique intéressant et de l’originalité. C’est très dur d’avoir les 5 et en vieillissant je me dis que je ne veux plus rater ça. Si il n’y en a qu’un ou deux je n’y vais pas. En même temps j’ai besoin d’aimer tout ce que je filme, de trouver ça beau. Je serais malheureux de filmer des R5 dans les années 70.

C’est un gros problème parce que je ne suis pas loin d’avoir fait le tour de tout ce que j’aime… Les trains, les paysages américains, Paris… Qu’est-ce qui reste?

Union Street: Parles-nous de Kyle Catlett l’enfant prodige que tu as choisi pour interpréter le rôle principal après les milliers que tu as castés. Les complications ou non, le professionnalisme, son influence sur ta méthode de travail. C’est plus difficile de diriger un enfant ou un Alien?

Jean-Pierre Jeunet: Un enfant ce n’est pas difficile à diriger si on ne se trompe pas. On en a vu des milliers mais à une époque où il n’y avait pas beaucoup d’enfants acteurs, c’était assez dur et tout d’un coup on a trouvé le bon. Champion du monde d’arts martiaux chez les moins de 7 ans, qui pleure sur commande, parle 5 langues…  Tu te dis dis que ce n’est pas possible. Il était exceptionnel! Nous avons beaucoup travaillé, il était très costaud professionnellement, jamais fatigué, jamais grincheux, lumineux, un môme incroyable d’un mètre vingt qui veut faire toutes les cascades lui-même. Une fois que nous avions bien travaillé avant, ça roulait tout seul. L’unique souci venait de son agent qui nous avait dit qu’il était libre alors qu’il avait signé pour une série télé. Donc ça a été un enfer d’organisation; on a failli arrêter le film mails il a été héroïque.

Il y a eu d’autres problèmes avec les syndicats. Tout le monde raconte la même chose, Klapisch, Canet… Si tu veux cueillir une fleur il faut engager un jardinier; tu demandes à une voiture qui roule à 60km/h d’accélérer un peu, il faut appeler un chef cascadeur… Même un cube qui traîne dans le passage, tu demandes à quelqu’un de le pousser, on te répond « non, il faut quelqu’un pour déplacer le cube ». Je l’ai donc fait moi-même et on m’a regardé comme si j’étais un extra-terrestre. Il y a eu ça et toutes les contraintes venant de la 3D; le moindre changement d’optique prenait 20 à 25 minutes…

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Union Street: Quels ont été tes rapports avec Rief Larsen? Quelle était son implication sur le film.

Jean-Pierre Jeunet: Comme le livre est très très riche, pour une fois je n’ai pas amené énormément d’idées personnelles mais au contraire j’ai dû en enlever. Je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter mes idées. L’auteur m’a livré son bébé sans aucun problème. Quand je lui ai donné le scénario fini, il m’a quand même envoyé des notes dont je me suis beaucoup servi. Nous étions très proches et le sommes toujours. C’était très compliqué de le déposséder de son univers, mais plus il voit le film, plus il l’aime. ça doit être terrible de prendre l’œuvre de quelqu’un et de voir cette que cette personne n’aime pas le résultat.

Union Street: Reif Larsen citait plusieurs réalisateurs qu’il aurait vu pour adapter son univers dont Alfonso Cuaron qui sort « Gravity » une semaine plus tard. Les films sont opposés par leur genre mais  proposent tous les deux une révolution sur un plan technique en matière de 3D. Est-ce que ces sorties rapprochées t’inquiètent? As-tu vu le film?

Jean-Pierre Jeunet: Oui c’est une révolution totale parce qu’on a rarement vu un film aussi compliqué techniquement, puisque tout est en mouvement dans l’espace et en apesanteur. Sauf que quand on sait comment ça a été fait, ça casse un peu la magie et c’est pour ça qu’ils ne communiquent pas trop là-dessus. C’est de la full synthèse, ils n’ont filmé que les visages des acteurs, même les corps sont faits en 3D, c’est pour ça que l’apesanteur est parfaite. Rien n’existe. Quand tu le vois tu te dis quand même « je n’ai jamais vu un film comme ça techniquement ». Mais je trouve qu’ils ont été très sages sur la 3D. Comme c’est tout en synthèse il y avait matière à s’amuser, faire passer les débris devant le spectateur… Je n’ai pas compris pourquoi ils ne l’ont pas fait à fond. C’est un peu frustrant, c’est une 3D sage même si il fait partie des meilleurs films en 3D.

Union Street: Le choix d’ Helena Bonham Carter semble tellement évident…

Jean-Pierre Jeunet: Pour moi aussi… Quand j’ai lu le bouquin je l’ai tout de suite vue. Je lui ai donc envoyé le script dont elle est tombée amoureuse. Ça s’est fait  très simplement, c’est une femme exceptionnelle. On n’a qu’une envie c’est de re-travailler ensemble, nous nous adorons. C’est très gratifiant, dés que je dis une connerie elle éclate de son rire tonitruant. C’est une superbe actrice, une Porsche! C’est pour le rôle de Jibsen que c’était compliqué.  Plusieurs comédiennes comme Frances McDormand ont craqué pour le personnage mais n’étaient pas libres. Même Philipp Seymour Hoffman parce que le rôle convenait aussi bien à un homme qu’à une femme. À un moment c’était Kathy Bathes mais au cours de la visite médicale elle s’est aperçue qu’elle avait un grave problème de santé. Involontairement le film lui a sauvé la vie. Il a également été question de Robin Williams! C’est finalement Judy Davis qui a débarqué de Sydney un vendredi soir pour tourner le lundi. Et je n’ai aucun regret puisqu’elle est formidable.

Union Street: La chose la plus folle que tu aies faite enfant? Ta plus grande aventure?

Jean-Pierre Jeunet: (Il réfléchit un long moment) Enfant? Les aventures se passaient dans ma tête, j’étais plein d’imagination. Le fait d’avoir été fils unique pendant 11 ans m’a permis de développer mon imaginaire. La chose la plus folle c’était peut-être de sortir de mon milieu qui n’était pas prédestiné à faire ça. Le moment le plus important de ma vie, même si j’étais adolescent, c’est quand des amis de mes parents sont venus avec une caméra super-8 à la maison. Le mec m’a dit « tiens amuse-toi », j’ai encore le bout de film, ce n’est rien, juste mes parents sur un canapé, mais l’odeur du plastique, la vibration de la caméra… Ça a été une explosion. Donc j’ai arrêté l’école, j’ai travaillé dans un centre téléphonique dans l’est de la France et j’ai acheté l’écran, la visionneuse et tout ce qui me permettait de filmer. Ce n’était pas plus compliqué que ça « Just do it ».

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« J’essaie de faire passer le message dans les écoles de cinéma. Quand on me demande ‘Monsieur comment on fait pour devenir metteur en scène?’. Tu veux faire ou tu veux être? Fais des films, prends une caméra et vas-y. »

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Union Street: Malgré une filmographie irréprochable on a le sentiment que tu es un réalisateur assez rare, pourquoi?

Jean-Pierre Jeunet: Caro et moi on a commencé à 35 ans. Si aujourd’hui on peut commencer à 20, à l’époque c’était plus compliqué. On a galéré 10 ans avant de réaliser un premier long métrage. Personne ne voulait faire « Delicatessen », pareil pour « La cité des enfants perdus »; nous étions des extra-terrestres. On a ouvert une porte avec « Delicatessen » qui est en train de se refermer à nouveau. Le film était projeté récemment dans un festival qui s’appelait « Les films qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui » et c’est vrai. Je pense que c’est aussi vrai pour « Amélie ». C’est la période des comédies sociales, de préférence tournées au Luxembourg pour gagner plus d’argent et qui ne dépassent pas 10 millions d’euros… On est mal partis. C’est bien la seule fois ou je m’entends dire que je suis bien content de ne pas avoir 30 ans. C’était déjà dur pour nous, alors aujourd’hui je n’imagine pas. Le seul avantage de nos jours, c’est que tu peux réaliser des films avec une caméra vidéo comme le 5d, si t’as la bonne idée tu peux faire un film qui ne coute rien tandis qu’à l’époque la pellicule, le labo pour faire développer… Tout ça coutait cher. L’accès à la distribution se referme aujourd’hui…
Ensuite comme je l’ai dit j’écris mes films moi-même , ce qui prend du temps, avec la promotion dans le monde entier, etc… Je vois certains réalisateurs comme Ridley Scott réaliser un film par an, des films très compliqués, je ne sais pas comment il fait. Seulement je m’implique dans tout, je vois certains réalisateurs qui ne vont même pas au montage, ils sont déjà en train de préparer autre chose. Je ne peux pas faire ça, j’ai besoin d’être là à chaque seconde, ça ne m’amuserait pas de survoler, c’est une question de goût. Quand je bricole je vais moi-même chercher la petite vis. Ce qui est important c’est le bonheur de faire. Je m’en fous si ça me prend 5 ans pour réaliser un film, tant que je m’amuse. Je n’ai jamais ressenti le besoin de laisser une trace, ce qui est important c’est le bonheur de faire et qu’on ne m’emmerde pas.

Je suis comme lui (il montre une grande affiche de Gabin dans « Quai des brumes ») quand il dit « forte tête, forte tête » et bien c’est moi « forte tête ». J’ai envie de faire ce que je veux comme je veux. Et j’ai toujours réussi jusqu’à maintenant. à part « Alien Resurrection » peut-être comme c’est un film de commande, et encore je me suis bien débrouillé.

Union Street: Tu es un fan inconditionnel de Marcel Carné et du cinéma de papa, est-tu quand même émerveillé par le cinéma d’aujourd’hui ou penses-tu qu’il a perdu de sa superbe?

Jean-Pierre Jeunet: C’est une grande question que je me pose, les claques je pense que c’est quand on est jeune, parce qu’on découvre. Quand j’ai vu « Il était une fois dans l’ouest » je n’ai pas pu parler pendant 3 jours, c’était une claque immense. Pareil pour « Orange mécanique », je l’ai vu 14 fois en salle, j’y allais en boucle. À mon âge on n’a plus de claques comme ça! De temps en temps tu te dis « ça c’est un bon film » mais tu as toutes les références en tête, tu sais d’où ça vient et ce qui a inspiré le mec. Donc avoir des claques quand tu es plus âgé c’est très dur. Alors est-ce que c’est parce que les films sont moins intéressants ou parce que tu es un peu plus « blasé »? je ne sais pas. Peut-être un mélange des deux. Aujourd’hui je prends plus mon pied en revoyant les classiques, cet été j’ai revu la trilogie du « Parrain », aussi « Jean de Florette » et « Manon des Sources » qui sont des films français que j’adore… Et Carné et Prévert, toujours. Ce n’est pas forcément de la nostalgie c’est que je suis sûr d’avoir la qualité que je connais.

Union Street: Le dernier film qui t’a marqué c’est quoi?

Jean-Pierre Jeunet: Je ne vais pas être capable de t’en citer un. J’ai bien aimé « Drive » même si ce n’est pas à se mettre à genoux devant, « Dans la maison » de Ozon… Des coups de cœur mais ce ne sont pas des claques comme quand  tu as 17 ans. Alors qu’avec les séries si.  Quand tu es sûr d’avoir une série que tu aimes c’est un boulevard de plaisir. Comme « Breaking Bad », même si il y a toujours des épisodes un peu faibles, tu as des heures et des heures de bonheur… Il y a aujourd’hui plus de satisfaction avec les séries que les films eux-mêmes…

Union Street: D’ailleurs j’ai tes dvd de Breaking Bad à la maison… Tu as vu la fin?

Jean-Pierre Jeunet: Non ne m’en parle pas! Je ne veux pas savoir, je ne pirate pas moi monsieur.

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Propos recueillis par: Dijor Smith

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