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Ci-gît le socialisme européen

Publié le 28 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Guy Sorman.

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L’ultime chef d’État en Europe qui se réclamait encore du socialisme, dans sa version marxiste non révisée, y aura formellement renoncé le 13 janvier dernier. En paroles du moins. Mais en politique, les mots comptent autant que les actes : François Hollande se déclarant social-démocrate et non plus socialiste a mis un terme à une longue exception française. Car en France seulement, le Parti Socialiste s’était toujours refusé à abdiquer son passé marxiste et son alliance préférentielle avec le Parti Communiste, à rebours des partis socialistes espagnols, italiens, allemands ou scandinaves. À quoi tenait cette exception française ? Depuis deux siècles, la gauche en France se pose en héritière de la Révolution de 1789 qui reste perçue et enseignée de manière positive. Il fallait donc que les socialistes se prétendent révolutionnaires pour puiser dans l’histoire nationale une légitimité non contestable. Jusqu’au revirement de François Hollande, tous les dirigeants socialistes français ont toujours prétendu vouloir parachever l’œuvre républicaine et égalitaire de la Révolution, sans guillotine si possible mais avec une certaine violence si nécessaire.

Franchir le seuil symbolique du socialisme à la social-démocratie revient, après décryptage, à accepter l’économie de marché comme étant la fin de l’histoire économique (au sens de Hegel ou de Francis Fukuyama). Voici donc les entrepreneurs privés, ennemis d’hier (« La finance est mon ennemi », déclarait Hollande candidat à la Présidence), promus du jour au lendemain, au rang de partenaires à qui le Président français propose un « Pacte de responsabilité ». Derrière ces termes grandiloquents, il restera évidemment à passer aux actes. Il n’empêche que cette déclaration de principe peut être comparée au célèbre revirement des socialistes allemands au congrès de Bad Godesberg en 1950 : on sera tenté de conclure que les socialistes français sont enfin devenus des socialistes normaux, réconciliés avec la réalité.

C’est d’ailleurs la réalité seule qui aura fait plier François Hollande : l’URSS fut selon Staline, le communisme dans un seul pays, mais, à l’heure européenne, Hollande a compris que le socialisme dans un seul pays, condamnait la France au déclin voire au ridicule. Il aura donc fallu deux ans d’apprentissage au Parti Socialiste français pour découvrir que l’État ne crée ni richesses ni emplois : seuls les entrepreneurs y parviennent. C’est ce qu’un certain Jean-Baptiste Say, le premier professeur d’économie de l’Université française, avait écrit dès 1803. François Hollande, dont j’ignore s’il a lu Jean-Baptiste Say ou non (il est peu enseigné en France et mieux connu aux États-Unis), y aura implicitement fait référence lors de sa conférence du revirement : il admit que « l’offre » des entrepreneurs était le seul moteur de la croissance, ce que l’on appelle universellement « la loi de Say ». Il reste au Président français à parcourir les derniers mètres avant d’admettre qu’en économie de marché, la stabilité des règles conduit plus sûrement à la croissance que de modifier sans cesse la fiscalité et le droit.

Que reste-t-il des socialistes dès l’instant où ils renoncent à remplacer le capitalisme par une économie planifiée et étatisée ? Faire régner la justice, l’égalité par la redistribution partielle des revenus et l’accès généralisé à l’éducation ? Certes, mais les partis de droite partagent cette même ambition en recourant aux mêmes détours de la fiscalité et de l’école. Faute de vouloir détruire le capitalisme, il ne reste à la gauche qu’à s’attaquer à ce qu’elle considère être la morale bourgeoise, la culture classique et l’héritage judéo-chrétien. Être de gauche, c’est se poser contre tout cela. François Hollande le démontre : rallié à l’économie de marché, il reste de gauche puisque, jusqu’à présent, la seule décision emblématique de son règne aura été la légalisation du mariage homosexuel. Emblématique et symbolique, car au terme d’une grande agitation et de vastes rassemblements populaires, seulement 7 000 couples homosexuels en France se sont mariés. Réduira-t-on la social-démocratie française et européenne à la légalisation du mariage homosexuel ? C’est actuellement le cas en France mais trop réducteur : les libertariens qui ne sont pas de gauche estiment que l’État ne devrait pas se mêler du mariage du tout, considérant qu’il s’agit d’un acte purement privé.

Pour redéfinir la gauche, il convient de dépasser l’anecdote et d’adopter quelque recul historique. Le socialisme, la social-démocratie ne sont en réalité que des moments provisoires dans l’histoire de la gauche. La gauche existait avant le socialisme : au Siècle des Lumières en Espagne et en France, la gauche se définissait par opposition à l’absolutisme des monarques et des Églises. Dans l’avenir, après que le socialisme aura été définitivement enterré par le principe de réalité, la gauche comme philosophie et attitude resurgira donc sous des dénominations nouvelles.

Être de gauche reviendra toujours à considérer que l’on peut changer la nature humaine, par l’éducation comme l’estimait Jean-Jacques Rousseau, par la contrainte chez Mao Zedong, pour édifier une société nouvelle et forcément meilleure. Tandis qu’être de droite, ainsi que le formulèrent les libéraux d’Espagne et de France dès le XVIIIe siècle, c’est tenter d’améliorer la société en acceptant l’homme tel qu’il est. L’histoire contemporaine donne raison à ces libéraux ; le miracle libéral en Europe, car l’Europe est un édifice foncièrement libéral, est d’avoir instauré la paix sur le continent, une relative prospérité et une relative équité, en acceptant les hommes tels qu’ils sont, bons et mauvais et tous différents. On doutera qu’une Europe socialiste y serait parvenue.


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