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Ida, de Pawel Pawlikowski

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 3,5/5 

Visuellement somptueux, Ida souffre de défauts narratifs terriblement dommageables eu égard à sa (très) grande qualité formelle.

© Opus Film

© Opus Film

Pologne, 1962. A quelques jours de prononcer ses voeux pour devenir bonne soeur, la jeune Ida est convoquée par la Mère supérieure qui l’invite à rendre visite à sa tante, ancienne grande magistrate du régime soviétique aujourd’hui déchue et alcoolique. Elle apprend à la jeune orpheline qu’elle est juive. S’en suit un voyage vers les origines, à la recherche des corps des parents assassinés pendant la guerre. C’est aussi l’occasion d’assister à la rencontre entre deux femmes, et à deux façons de se refuser au monde.

Difficile de résumer la beauté de chacun des plans d’Ida. Tourné dans un noir et blanc majestueux où se confrontent la neige et la nuit, le film bénéficie d’un travail formel remarquable de délicatesse et d’audace. Les choix téméraires sont nombreux : format 1,33 qui fait de chaque plan une vignette nostalgique, composition décentrée des plans (beaucoup d’air, notamment, est laissé au-dessus des personnages), prédominance des plans fixes… La grande austérité du début du film, qu’accompagnent des dialogues réduits à la plus simple nécessité, n’est pas sans rappeler le sublime cinématographique de Bresson ou Dreyer. Mais Pawlikowski sait aussi faire évoluer cette esthétique d’abord très figée, avec par exemple ce saut dans le vide qui rappelle celui du Locataire de Polanski, ou un dernier plan en travelling arrière, la caméra se joignant au mouvement de son personnage pour l’accompagner dans sa décision. 

Visuellement, il n’y a rien à redire. Ida est un bijou photographique splendide où se rencontrent de nombreux aspects de la Pologne des années 1960 : les plans serrés sur la jeune nonne reproduisent l’iconographie religieuse et rappellent le rôle important du catholicisme en Pologne ; un plan plus large sur Wanda en magistrate résume sa déchéance et la déstalinisation progressive du pays ; des scènes de concerts évoquent la Nouvelle Vague polonaise et sa jeunesse (on pense par exemple aux Innocents charmeurs, réalisé par Andrzej Wajda et en partie écrit par Jerzy Skolimowski).

© Opus Film

© Opus Film

Cette ambition généraliste, si elle est parfaitement réussie formellement, est aussi le gros défaut d’un film qui veut trop en dire et échoue, par conséquent, à en dire assez. D’abord concentré sur un sujet lui-même très large – la complexe Histoire polonaise, entre antisémitisme et stalinisme – le récit ne s’y arrête pas et y ajoute de (trop) nombreuses annexes qui finissent par prendre davantage d’importance (la rencontre de deux femmes, la foi, la jeunesse, la déchéance, la dépression).

Les personnages ne sont d’abord que des prétextes à l’exploration des origines problématiques d’un pays. Ce prétexte est assumé au début du film, tant on peine à croire qu’une bonne soeur invite ainsi une jeune nonne à découvrir des origines qu’on lui a jusqu’à présent dissimulées, et pour cause ! On accepte très vite cette incohérence pour se concentrer sur la démarche mémorielle initiale. Malheureusement, celle-ci se mue en parcours initiatique et le film se perd dans ses nombreux sujets, les abordant tous trop vite. Le trajet de ces deux femmes que tout oppose, réunies finalement par une même inadaptation au monde, aurait pu être un beau sujet, mais il ne peut pas fonctionner justement parce que le début du film ne présentait les personnages que comme des médiatrices, personnages-types permettant d’aborder la question des origines et son implication dans l’histoire contemporaine de la Pologne.

Dans l’ensemble, et contrairement à ce que le rythme initial du film, plutôt contemplatif, nous laissait penser, les événements du récit s’enchaînent très vite, trop vite pour qu’ils aient le temps de faire sens et nous permettent de nous attacher suffisamment à des personnages au demeurant magnifiques mais finalement trop assujettis à leur condition de symboles. La progression des événements est elle-même régie par des décisions narratives faciles et inexpliquées (le jeune homme réapparaissant à l’enterrement par exemple). Une progression par à-coups donc, qui ne facilite pas l’approfondissement des personnages et des thématiques soulevées par le film.

© Arsenal Filmverleih

© Arsenal Filmverleih

Chacun des sujets qu’aborde Ida, traité en profondeur, aurait pu être magnifique et aurait largement suffi à en faire un grand film. Mais leur multiplication condamne le film à rester un (très) bel objet traitant de trop nombreux sujets qui ne peuvent donc être abordés que superficiellement. Ida est en fait beaucoup trop narratif : il s’y passe trop de choses, mais aucun des sujets abordés n’est vraiment approfondi. Le film aurait gagné à limiter son récit à un ou deux sujets d’envergure. Sa grande qualité visuelle n’en aurait été que plus remarquable.

On est donc un peu déçu de voir une telle beauté formelle gâchée par une narration maladroite. Toutefois, Pawlikowski fait preuve ici d’un regard audacieux et original, attaché à un cinéma de l’épure et de l’ascèse assez inédit en ces temps de frénésie visuelle artificielle. Un cinéaste à surveiller de près.

Alice Letoulat

Film en salles depuis le 12 février 2014


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