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67° Festival de Cannes (2014)

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

En ce milieu d’année 2014, l’un des rédacteurs de La Nuit du Blogueur a eu la chance de se rendre au festival de Cannes, d’y découvrir donc certains de ses films, mais également son ambiance électrique et nocturne atypique. Compte-rendu d’une semaine au sein du plus célèbre festival de cinéma du monde.

La Journée du blogueur : la queue, les films, et le soleil

Contrairement à l’année dernière, le début de mon séjour (et la quasi intégralité) s’est accompagné du soleil brillant qui manquait tant à la 66ème édition. Pas de vendeur de parapluies à perte de vue, donc. La programmation étant tellement grande et diverse (la compétition, la quinzaine, un certain regard, semaine de la critique, ACID…), ajouté à la bataille pour les invitations et un séjour relativement court, je n’ai pu, à mon grand regret, voir que 2 des 18 films en sélection (et 2 hors compétition). 

L’avantage, c’est que cela vous pousse vers les autres films. En ouvrant le programme, je décide donc, de façon hasardeuse et en voyant une affiche de films présentant des chiens (curieux de savoir si celui-ci allait gagner la palm dog, question existentielle du festival) de me rendre à la projection d’un film hongrois : Feher Isten (White God) de Kornel Mundruczo. Bonne intuition puisqu’il s’avère que celui-ci a remporté le prix Un certain regard (mais aussi, et surtout, la Palm Dog face aux espoirs placés sur Roxy, le chien de Jean-Luc Godard ; l’intuition était donc doublement bonne !).

Feher Isten, de Kornel Mundruczo

Budapest. Une nouvelle loi impose une lourde taxe sur la possession de chiens de type bâtard. Lili, 13 ans, inséparable de son chien Hagen de race croisée, est placée sous la tutelle de son père durant un voyage d’affaire de sa mère. Refusant de payer la taxe en question, le père oblige Lili à abandonner le chien. Hagen, se battant alors pour survivre, rejoint une bande de chiens errants et tente en vain d’échapper à un destin morbide. Capturé, battu, envoyé à la fourrière, il finit par s’échapper et se révolter contre l’humanité, pendant que Lili tente de le retrouver. 

En deux mots : le pitch pourrait faire croire à un remake contemporain d’Hitchcock, dont il est évidemment inspiré sur la trame narrative. Il s’en diffère et devient intéressant sur deux points : la façon métaphorique de dépeindre une société hongroise en crise, où les hiérarchies sociales et raciales sont en crise politique, où les bannis de la société honnis par un système libéral sont rejetés et mis en face de leur propre destin, et sur la manière de montrer l’animal-acteur, suscitant l’empathie et parfois le désarroi, car l’on retient (réellement) en sortant de la salle la façon incroyable dont ont été dirigés les chiens (aux alentours de 50/60 dans certains plans).

White God - © Droits réservés

White God – © Droits réservés

Sur la suite du séjour, j’ai pu, par chance, récupérer des invitations pour deux films en compétition : le tant attendu Cronenberg Maps to the Stars et la comédie noire argentine Relatos Salvajes de Damian Szifron (produite par la boite de production d’Almodovar, El Deseo). On va enfin pouvoir les monter, ces marches ! 

Relatos Salvajes, de Damian Szifron

Le film est composé de 6 sketches ayant pour thème commun la perte de contrôle de soi-même. Un complot dans un avion, une altercation entre deux conducteurs, le hasard de retrouvailles entre un meurtrier mafieux et la fille de son ancienne victime, la défense d’un père auprès de son fils ayant malencontreusement écrasé une femme enceinte, une trahison amoureuse durant un mariage, et l’histoire d’un homme devenu terroriste à cause de la fourrière sont chacune des histoires qui amèneront à la perte de soi. On n’avait pas vu de film-sketch en compétition à Cannes depuis Le Sens de la Vie des Monty Pythons en 1983 !

En deux mots : inspiré de la comédie italienne, et notamment de celle de Dino Risi datant de 1963 Les Monstres, Relatos Salvajes (Les Nouveaux Sauvages, en français) fait partie de ces surprises non récompensées du festival ; les mauvaises langues diront que le film à été sélectionné par Thierry Frémaux puisqu’il faut bien rire entre deux films « exigeants », ne considérant pas la comédie dans la compétition officielle… Et pourtant, quelle surprise ! Il étonne par la maîtrise quasi parfaite d’un burlesque noir et tragique, par les nombreux retournements comiques de situation, et par sa patte absurde. On regrettera cependant que toutes les histoires et que cette mise en scène ne se valent pas sur l’intégralité du film, les deux premiers sketches et le dernier étant au-dessus du reste (soulignons l’incroyable interprétation d’Erica Rives à la toute fin du film). 

Relatos Salvajes - © Warner Bros Pictures España

Relatos Salvajes – © Warner Bros Pictures España

L’une des morales à retenir de ce périple cannois, c’est que le soleil constant et les queues interminables des cinémas ne font pas bon ménage. L’autre, c’est qu’il faudrait changer de programmation musicale. Entendre du Stromae toute la journée à côté des marches, et être forcé d’en connaître les paroles par cœur, ça use psychologiquement. Le temps passe, on profite des spectacles de rue offerts sur la croisette, on s’infiltre avec succès et à plusieurs reprises sur la plage Nespresso où le café est gratuit, on croise Joachim Lepastier (rédacteur aux Cahiers du Cinéma) qui nous vante la qualité du film mauritanien Timbuktu d’Adberrahmane Sissako, on rencontre certains youtubeurs connus, on envoie un mail à Arte en se faisant passer pour des jeunes producteurs, essayant tant bien que mal d’être sur liste pour leur soirée sur yacht (et ça a marché !), et je finis enfin par obtenir des places pour la séance de minuit d’un film Hors Compétition : The Salvation.

The Salvation, de Kristian Levring

1871, Jon, un colon danois, et sa famille, viennent s’installer en Amérique pour faire fortune. Sa femme et son fils sont tués par deux brigands durant un voyage, ce qui l’amène à se venger et exécuter les criminels. Sa tête est alors mise à prix par le frère d’un des deux meurtriers : le colonel Delarue et son gang. Jon devra alors affronter seul les hors-la-loi.

En deux mots : relevant d’un genre de plus en plus rare, le western, Kristian Levring réalise une œuvre plaisante mais classique. L’incarnation de Jon par Mads Mikkelsen se prête tout à fait au personnage du cow-boy solitaire (on y retrouve également un Eric Cantona sous la figure du tyran), l’immersion dans un Far West fonctionne par une esthétique colorée et travaillée : la beauté des cadres et des travellings, ses nombreuses références au genre (on y reconnaît l’influence d’un John Ford, mêlée à celle d’un Sergio Leone et d’un Peckinpah). Cependant, Levring ne fait pas de gros efforts d’originalité. On y retrouve souvent les procédés empruntés aux figures du western sans grandes transpositions personnelles, rendant le film non innovateur, parfois un peu lent, mais intéressant tout de même. 

The Salvation - © Joe Alblas

The Salvation – © Joe Alblas

Enfin je me suis rendu à la séance de Dragon 2, le film d’animation du festival. La montée des marches s’est accompagnée de ma vision du premier accident du festival : un journaliste ukrainien s’est littéralement glissé sous la jupe d’America Ferrera. C’est tout ce que j’en retiendrai car il m’est impossible de témoigner de la qualité du film : la malédiction d’un sommeil cannois irrécupérable m’a frappé de plein fouet.

Pour rendre cela à la fois légitime et excusable, il faudrait faire un détour sur un autre point important et reconnu du festival : la vie nocturne à Cannes.

La nuit du Blogueur :

du stop, un tank, les incrustes, et du champagne

La deuxième facette de Cannes, c’est bien évidemment la nuit. La nuit des folies, mais surtout, la nuit du bling-bling : on ne se prive ici de rien pour se promouvoir, ou promouvoir un produit, quitte à louer un tank pour entrer en boîte (c’était le cas de Chuck Norris et de l’équipe d’Expendables 3, pour la promotion du film ; c’est vrai qu’il y avait besoin de ça), à voir défiler des centaines de voitures au montant supérieur à celui du PIB du Burkina Faso, à louer pour une fortune  une place au port canto afin d’y laisser un yacht qu’on pourrait confondre avec une navette spatiale, à implanter une villa en pleine mer…

Partons donc dans la nuit pour y chasser les aventures nocturnes. 

Mardi soir

J’obtiens une invitation pour la soirée UniFrance qui a lieu dans l’un des hôtels les plus luxueux de Cannes : le Martinez. Problème (il en faut toujours un) : je dois y rejoindre une amie entre 21h et 21h30, il est 20h50 et je viens d’arriver chez un collègue habitant tout en haut de la ville, au Cannet, afin d’y récupérer les habits adéquats. Me voilà donc 10 minutes plus tard face à l’arrêt de bus, et là encore, surprise : les bus ne sont plus desservis ici après 21h… me laissant seul face à l’option du stop.

Par chance, une voiture s’arrête tout de suite et me prend. Seulement, le conducteur – appelons-le Loic (je ne me souviens plus de son prénom) – nage dans les canettes de bière Amsterdam maximator à 12%. La mousse des sièges sort de partout, les vitres sont impossibles à ouvrir, le tabac à rouler couvre toute la moquette, et il s’amuse à mettre des coups d’accélération à tire larigot, complètement ivre, pour me prouver la puissance du moteur, ce qui en fait le conducteur le plus cool de tous les temps. Il s’ouvre une autre bière et me prie de partager son mode de vie en me proposant d’en prendre une gorgée. On arrive devant le Martinez où il se fait arrêter par la police, et me fait sortir en me filant sa bière pour ne pas être suspecté. Me voilà donc devant le majestueux Martinez, en costard, une amsterdam maximator à la main. Sacré Loic.

Malchance : je loupe de très peu mon amie… Me voilà seul, en terrasse, à jouer le pique assiette et à admirer un feu d’artifice. J’y croise la ministre de la culture, Madame Filippetti, et réfléchis à une stratégie de drague efficace (comment ne pourrait-elle pas tomber sous l’influence de mon charme fou ?), que je finis par oublier en dépit de l’open bar de champagne. Je finis par m’en aller pour rejoindre des amis au Gotha, où mixe Garrix, aussi surnommé DJ Roi du Beauf de la péninsule du Cotentin. Oui, c’était la suprématie de la nullité. Mais on a bien rigolé.

Dimanche soir.

Un ami du Danemark me met au courant d’une fête au centre du cinéma danois, le Copenhaguen Corner. Nous entrons dans l’appartement sans invitation, où un buffet imposant trône devant nous. La plupart des gens sont grands, blonds, et très sympathiques. On y croise des prétendus acteurs et actrices de série danoise qui nous donnent leur carte. L’une d’elles, sûrement ivre, répète en boucle la même blague en nous proposant de nous marier avec elle et d’utiliser notre collier d’accréditation comme bague de fiançailles. D’autres nous content leur aventure au sein de Zentropa, et nous proposent de les contacter si nous voulons faire du cinéma dans leur pays. On finit par parler de Lars von Trier, et je m’égare dans la conversation. Il est très gentil, parait-il. La fête finit, on part encore une fois au Gotha, où nous voyons le fameux tank. J’aurais aimé vous dire que nous l’avons volé et fait les 400 coups avec, mais malheureusement, non.

Lundi soir.

Mes amis me délaissent faute d’avoir un avion plus tôt. Me voilà donc seul dans Cannes. J’appelle d’autres amis parisiens qui tentent de rentrer dans la soirée Bird People à la plage de la Quinzaine des Réalisateurs. Ils me font comprendre implicitement qu’ils ne sont pas sûrs de rentrer, et que m’ajouter au groupe pourrait constituer une difficulté de plus. Je les rejoins quand même, et je tente d’appeler le réalisateur Pascal Alex Vincent (Donne-moi la main), susceptible d’y être et de m’aider à rentrer. Bonne nouvelle, il y était. Me voilà cette fois seul dans la soirée de la Quinzaine : j’y croise toute l’équipe du film, Pascale Ferran, un François Ozon au bar, un Sissako au téléphone, ainsi que des journalistes des Inrocks dansant le twist. Tout le monde danse, et pour une fois, la musique est parfaite et me fait décompresser après tant d’attaques musicales durant le séjour. J’y croise une amie de mon frère, et me décide enfin à danser à mon tour. J’en sors, titubant, grimpe à des arbres par défi personnel, et décide de rentrer en taxi, car plus apte à poser les pieds par terre.  

Je prends finalement un avion mercredi matin, en passant une dernière soirée à Nice où aura lieu une bagarre assez violente avec un groupe de jeunes malins d’extrême droite pour une histoire débile (ça m’aura au moins poussé à voter dimanche, positivons), et récupère un sommeil précieux sur deux jours.

Voici donc les premières expériences d’un rédacteur de La Nuit du Blogueur à Cannes. Je n’ai, à mes grands regrets, pas assisté à la projection de Mommy, Winter Sleep et tous les autres films du festival. Je n’ai pas découvert toutes les merveilles et l’horreur « ultra cheapé » de la vie nocturne du festival. Mais cette année 2014 aura été celle de certaines surprises et découvertes, d’une sélection certes inégale et classique, voire parfois banale, mais aussi d’une sélection naturelle et très diverse, laissant malgré tout la parole à de nombreux films et de réalisateurs (déjà) en quête de devenir. Elle aura surtout été celle de l’encouragement d’une nouvelle génération de cinéastes et du renouveau des formes, et ça, on apprécie.

Thomas Olland

Critiques de films sélectionnés à Cannes

déjà présentes sur la Nuit du Blogueur

The Homesman : http://lanuitdublogueur.com/2014/05/22/the-homesman-de-tommy-lee-jones/

Adieu au langage : http://lanuitdublogueur.com/2014/05/23/adieu-au-langage-de-jean-luc-godard/

Deux jours, une nuit : http://lanuitdublogueur.com/2014/05/27/deux-jours-une-nuit-de-jean-pierre-et-luc-dardenne/

Maps to the Stars : http://lanuitdublogueur.com/2014/06/02/maps-to-the-stars-de-david-cronenberg/

La Chambre bleue : http://lanuitdublogueur.com/2014/05/20/la-chambre-bleue-de-mathieu-amalric/

Rappel du Palmarès

LONGS MÉTRAGES

Palme d’or

WINTER SLEEP Réalisé par Nuri Bilge CEYLAN

Grand Prix

LE MERAVIGLIE (LES MERVEILLES) Réalisé par Alice ROHRWACHER

Prix de la mise en scène

Bennett MILLER pour FOXCATCHER

Prix du scénario

Andrey ZVYAGINTSEV, Oleg NEGIN pour LEVIATHAN

Prix d’interprétation féminine

Julianne MOORE dans MAPS TO THE STARS Réalisé par David CRONENBERG

Prix d’interprétation masculine

Timothy SPALL dans MR. TURNER Réalisé par Mike LEIGH

Prix du Jury

MOMMY Réalisé par Xavier DOLAN

ADIEU AU LANGAGE Réalisé par Jean-Luc GODARD

COURTS MÉTRAGES

Palme d’or du court métrage

LEIDI Réalisé par Simón MESA SOTO

Mention spéciale – court métrage

AÏSSA Réalisé par Clément TREHIN-LALANNE

JA VI ELSKER Réalisé par Hallvar WITZØ


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