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Le “vrai” islam sur Internet (1/2) : la bataille des cœurs et des esprits en Arabie saoudite

Publié le 26 août 2014 par Gonzo
Saudi-Flag_by_Ayman_Makki

Le drapeau saoudien : la profession de foi musulmane (shahada) et un sabre.

Avec des changements d’alliance compliqués et des objectifs certainement différents – voire divergents – entre les alliés du jour, la bataille s’annonce longue et compliquée face à l’Etat islamique. Mais de toute manière, la solution au problème que pose ce nouvel « Etat » ne peut être seulement militaire. Manifestement, Abou Bakr al-Baghdadi, le nouveau calife, a ses fidèles… Plus encore que les combattants étrangers, pour partie seulement mercenaires, qui affluent de partout dans le monde sans que personne, à commencer en Turquie, ne fasse beaucoup d’obstacle à leur passage, il y a manifestement dans les pays arabes, sur place ou dans un voisinage plus ou moins immédiat, un énorme réservoir de jeunes croyants convaincus de la valeur de cette cause et de la justesse de combattre pour elle, jusqu’à la mort si besoin est. La pauvreté et l’absence de perspectives, renforcées par les désillusions du « Printemps arabe », jouent sans doute un rôle dans cette ferveur, en particulier pour les contingents venus du Maghreb ou d’Egypte en quête d’une « vraie révolution » qui offre de surcroît l’excitation des armes. Mais l’extrémisme musulman rencontre aussi un tel succès parce qu’il laboure une terre fertile, celle qu’ont préparée nombre de politiques publiques dans les domaines éducatifs et religieux, à commencer en Arabie saoudite.

Dans certains cas tout au moins, les affreux barbus se meuvent visiblement « comme le poisson dans l’eau » ainsi qu’on le disait autrefois pour les guérilleros révolutionnaires. Il y a bien un véritable soutien populaire, dans des proportions certainement mal connues mais indéniables, aux actes les plus abominables de l’Etat islamique. Par conséquent, s’il est certain que les forces qui ont l’air de se décider (aujourd’hui) à « casser » de l’extrémiste vont remporter quelques succès, leur « victoire » ne sera réelle et durable que si une partie suffisante de ceux qui adhèrent aujourd’hui au « dogme » idéal du calife Al-Baghdadi ne pense plus que le véritable islam se trouve dans son « message » (on rappelle qu’en arabe c’est le même mot, risâla, qui est également utilisé pour désigner ce que Dieu envoie aux hommes).

Contrairement à ce qu’on pourrait croire de prime abord, expliquer, de manière crédible, l’imposture du chef autoproclamé de l’Etat islamique n’est pas une mission si facile pour certains publics. Et d’ailleurs, en toute honnêteté, force est de reconnaître que la légitimité politico-religieuse des souverains saoudiens ne diffère guère, sur le fond et sur la forme, de celle que réclame pour lui le nouveau califat : même si le raccourci est facile, ne voit-on pas que l’épée et le Coran, si bien maniés aujourd’hui par les combattants de Daesh comme on peut le constater sur Internet, trônent sur l’emblème « national » des dirigeants saoudiens ? N’étaient la force de l’habitude et le soutien occidental, les lettres de créance de ces dirigeants seraient-elles si facilement acceptées ? On pourrait même aller plus loin en ajoutant que l’appui extraordinaire des mécréants occidentaux aux souverains des « Deux Lieux saints », ainsi que la longévité de leur pouvoir qui s’accompagne, fort humainement, de quelques turpitudes constituent précisément un argument de poids pour les esprits forts, tentés de se tourner vers d’autres responsables qu’ils imaginent d’autant plus « authentiquement musulmans » que « Dieu » leur fait la grâce de victoires presque aussi éclatantes que celles du Prophète en son temps !…

Certes, de tout temps on a pu compter sur des clercs – laïcs (les « intellectuels ») ou religieux (oulémas, fouqaha ou tout simplement « cheikhs » en islam) – pour mettre leur savoir-faire au service du pouvoir. Un habillage rhétorique qui, pour fonctionner, a également besoin de l’adhésion du public. Or, dans le cas saoudien, rien de tout cela ne semble acquis. Ce n’est pas parce que les scribes du royaume y sont fondamentalement plus honnêtes ou courageux qu’ailleurs ! Seulement, les laïcs – qu’on nomme « libéraux » au Royaume des hommes car le terme « laïc » sent le souffre – ne sont guère qu’une toute petite minorité éclairée, plus tolérée comme un mal nécessaire qu’écoutée… Dans le cas des religieux, ils sont eux-mêmes, par leur formation et probablement par conviction, en réelle « communion » avec les modèles d’interprétation que réclame pour lui l’Etat islamique. D’ailleurs et sans la moindre inflexion sérieuse depuis ses débuts, le Royaume saoudien, ainsi que ses voisins dans le Golfe, se réclame depuis sa fondation d’une hyper-orthodoxie musulmane, avec toutes les conséquences politiques et sociales que cela implique pour la moitié féminine de la société notamment (et visiblement, l’ordre du monde occidental ne s’en était guère ému jusque là). Comment envisager seulement de demander à un « producteur de biens de salut » tel que cheikh Al-Arifi, ce très très gros compte Twitter, de brûler ce qu’il a adoré, de condamner ce qui serait désormais « faux islam » et de perdre ainsi toute « valeur » sur le marché symbolique en allant à contre-courant des convictions et des demandes du public ???!!!

Depuis quelques années déjà, de façon de plus en plus marquée depuis quelques mois, on constate que les autorités saoudiennes ont décrété différentes mesures pour restreindre les flux de soutien moral et financier qui vont aux extrémistes de l’Etat islamique, pour exhorter les brebis égarées à rentrer au bercail. Des appels de plus en plus pressants, y compris de la part du roi, exhortent les gardiens du temple de la loi religieuse à sortir de leur sommeil pour dénoncer l’extrémisme (chronologie de quelques mesures récentes dans cet article d’Al-Monitor, qui note aussi que les ressortissants saoudiens arrivent en seconde position en termes de combattants djihadistes). Mais on voit bien que toutes ces injonctions sont vouées à n’être que des « vœux pieux », ce qui veut dire en bon français qu’elles ne seront pas suivis d’effet !

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’échec, patent, des campagnes existantes. Bien qu’elle affirme d’emblée le contraire, l’étude (publiée aux USA!) d’un certain Abdullah Ansary fait l’éloge, dès 2008, du combat des Saoudiens contre un extrémisme – à l’époque celui d’Al-Qaïda – qui ne cesse de grossir et qui gangrène les secteurs les plus « faibles » de la société : enfants (mâles) de parents « inattentifs » et/ou désunis (le divorce fait des ravages dans le Golfe comme ailleurs dans le monde arabe), femmes (forcément) influençables et connectées aux dangereuses sirènes des réseaux sociaux. Autant de maillons faibles qui sont de véritables « bombes à retardement » selon les termes de l’auteur ! Avec cet inconvénient que ceux qui fréquentent les sites djihadistes sont à 80 % des jeunes entre 18 et 24 ans, qui sont aussi, et les plus grands utilisateurs des réseaux sociaux et les classes d’âge aujourd’hui les plus nombreuses !…

Face à cette menace, il s’agit bien entendu de « surveiller et punir » comme dirait l’autre, mais aussi de gagner la bataille des cœurs et des esprits en « conseillant ». Pour ce second volet du retour à la bonne orthodoxie, un programme a été imaginé, dès 2004. Bien qu’il soit en grande partie confié à des volontaires, Sakina (سكينة Tranquillité) dépend du ministère des Affaires religieuses. Les navigations des militants islamistes sur le Net ont ainsi été observés, leurs discussions analysées… Un site (assakina.com) a été créé pour diffuser la bonne parole, avec même des hot lines pour engager des débats et propager les bons arguments, en faveur des bonnes fatwas qui donnent les bonnes interprétations données par les bonnes autorités… Dix ans plus tard, avec paraît-il toutes sortes d’autres efforts dans le domaine éducatif et médiatique, 92 % des Saoudiens penseraient, selon le responsable de Sakina, que Daesh (ISIS si l’on préfère) est conforme à l’islam. Même en tenant compte d’une énorme marge d’erreur, c’est tout de même assez inquiétant pour la suite, y compris pour les dirigeants « légitimes » qui s’inquiètent de la stature prise désormais par Al-Baghdadi et consorts.

Tandis qu’on tranche plus que jamais les têtes en Arabie saoudite comme le rappelle Amnesty International, des troupes, avec des renforts étrangers selon la rumeur, sont désormais massées aux frontières, là où se précise la menace de l’Etat islamique… Tout cela est-il capable d’entraver la folle marche des idées les plus extrémistes sur les réseaux sociaux que certains aimeraient « décapiter » en leur trouvant un substitut local aussi « halal » que possible : tandis que Daesh fait la promotion de ses exploits sur le Net, avec le succès que l’on sait, grâce à d’étonnantes et très macabres mises en scène, le site du programme Sakina végète aux alentours de la 270 000e place dans le monde selon Alexa (au-delà de la 5 000e en Arabie saoudite). A l’aune des flux numériques, la bataille des cœurs et des esprits pour le « vrai islam » est très loin d’être gagnée…


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