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L’AIIC et les interprètes en langue des signes

Publié le 28 septembre 2014 par Stéphan @interpretelsf
Comme je vous le signalais dans un billet précédent, Double Sens, la nouvelle revue scientifique autour de l’interprétation, de la traduction et des langues des signes a pour thème de son 1er numéro : "Les interprètes en langue des signes, des interprètes comme les autres ?". Pour vous donner l’envie de vous procurer et de lire ce 1er exemplaire je vous propose quelques extraits de l’article que j’y ai rédigé sur les relations entre l’AIIC (Association Internationale des Interprètes de Conférence) et les interprètes en langue des signes, ces derniers ayant été admis à en devenir membre en 2012.

aiic C’est vers la fin de la Première Guerre mondiale que l’interprétation de conférence est née. Alors que pendant des siècles le français (après le latin) avait été la langue diplomatique internationale, lors des négociations autour du Traité de Versailles (1919) les hommes d’État britanniques, et surtout américains, ne maîtrisant pas cette langue, ont exigé qu’il y ait deux langues officielles, le français et l’anglais. D’où la présence d’interprètes afin qu’ils transmettent la parole, la pensée, pour redire dans l’autre langue officielle les interventions des délégués, en s’exprimant à la première personne. Cette activité, se produisant dans le cadre structuré d’une réunion, fut appelée interprétation de conférence. Elle fut d’abord consécutive, notamment à la Société des nations, puis simultanée au procès de Nuremberg : avec plus de deux langues officielles, la consécutive devenait difficilement supportable. L’interprétation simultanée faisant appel à un plus grand nombre d’interprètes, le besoin d’organiser le métier se fit alors sentir.

Après des initiatives locales, à Genève et à Londres notamment, un petit groupe mené par Constantin Andronikof créa, le 11 novembre 1953 à Paris, l’Association Internationale des Interprètes de Conférence (AIIC). Il s’agissait de créer une association mondiale qui définirait les conditions éthiques et matérielles de l’exercice de la profession d’interprète de conférence et regrouperait aussi bien des free-lances, que des permanents, des salariés, des intermittents… chacun adhérant individuellement à l’organisation centrale. Aujourd’hui l’AIIC est la seule organisation mondiale d’interprètes de conférence, elle rassemble plus de 3000 professionnels établis dans plus de 100 pays. Elle a pour but de représenter l’ensemble de la profession et d’agir au nom de tous les interprètes de conférence. elle assure la promotion de la profession d’interprète de conférence dans l’intérêt à la fois des utilisateurs et des professionnels en fixant des normes, en encourageant de bonnes pratiques de formation, et en faisant respecter un code de déontologie. Pourtant bien que l’AIIC reconnaisse que les langues sont au cœur de la communication internationale et que la possibilité de dire exactement ce que l’on souhaite dans sa langue maternelle – et de comprendre parfaitement ce que disent les autres – est un droit fondamental, cette association a longtemps refusé que les interprètes en langue des signes puissent y adhérer. En effet, les membres de l’association considéraient les interprètes en langue des signes comme des interprètes "communautaires" travaillant pour une minorité linguistique au sein d’un pays et effectuant des prestations uniquement de type liaison (entretien) ou réunion notamment dans le domaine médical, scolaire ou judiciaire. S’ils participaient à des conférences, là encore elles n’étaient que nationales. Ils n’avaient donc pas ou peu de contacts avec les interprètes de langues vocales, ceux-ci travaillant principalement dans des organismes internationaux ou lors de réunions multi-langues, ils leur manquaient la dimension "internationale" inhérente à cette profession d’interprète de conférence. Néanmoins, soucieux de mieux connaître les particularismes de cette profession, il a été créé en janvier 2009 au sein de l’association une commission intitulée "Sign Language Network". Son objet était simplement d’établir puis de maintenir un dialogue avec les interprètes en langues des signes, fournir des informations aux membres de l’AIIC sur les langues des signes et sur les conditions de travail de ces interprètes (formations requises, statuts…). Il s’agissait aussi de créer des liens avec les organisations internationales d’interprètes en langue des signes tel que WASLI (association mondiale des interprètes en langue des signes) ou l’ESFLI (forum européen des interprètes en langue des signes) dont l’AIIC devint membre associé en 2010. Coopération étroite entre l’AIIC, l’ESFLI et WASLI, participations communes des interprètes de conférence de langues vocales et de langues des signes sur des forums, des réunions internationales, etc., présence accrue de ces derniers dans les médias audiovisuels… Les conditions étaient alors réunies pour qu’ils puissent enfin adhérer à l’AIIC et être reconnus comme interprètes de conférence à part entière. Cela fut acté le 12 janvier 2012, quand l’association internationale des interprètes de conférence décida lors de son assemblée générale à Buenos Aires que : "L’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) pourra désormais compter des interprètes en langues des signes parmi ses membres. Une coopération étroite et des discussions fructueuses entre l’AIIC et les deux associations représentant les interprètes en langues des signes : l’Association mondiale (WASLI) et le Forum européen (EFSLI) ont permis d’arriver à ce résultat positif pour les deux catégories professionnelles. La décision d’ouvrir les portes de l’AIIC aux interprètes de conférence en langues des signes fut adoptée par une large majorité lors de la dernière Assemblée générale de Buenos Aires et place désormais ces langues sur un pied d’égalité avec les langues orales utilisées dans les conférences internationales." Concrètement cela signifie que les interprètes peuvent adhérer à l’AIIC. Pour cela il faut être interprète de conférence et répondre aux critères d’admission. Cette nouvelle reconnaissance a valu en France à l’AFILS (association française des interprètes et traducteurs en langue des signes) d’être invitée aux célébrations des 60 ans de l’AIIC qui se sont déroulées à Paris, dans les locaux de l’Unesco en décembre 2013. Dans son discours de bienvenue aux membres de l’association, la présidente Linda Fitchett qualifia les interprètes en langue des signes "d’artistes qui parlent avec leurs mains, leur visage et leur corps entier". Ce fut aussi pour elle l’occasion de rappeler que toute personne a le droit de participer à la vie politique, publique, sociale et culturelle de son pays y compris les personnes handicapées et que toutes les instances, publiques ou privées, ont le devoir de veiller à ce que les services d’interprétation en langues vocales ou visuelles garantissent un niveau de qualité optimum afin de permettre à tous l’accès à l’information dans sa propre langue. Elle en a conclu que travailler ensemble permettrait "d’améliorer toute la profession". Cependant, au delà de leurs différences et de leurs singularités, comme l’a exprimé Meei-huey Wang, membre du conseil AIIC France, lors de son discours pour les 60 ans de l’AIIC, en s’inspirant des écrits humanistes de Pic de la Mirandole (1463-1494), ce qui nous unit c’est le mot « interprète » et son préfixe « inter » qui renvoie au statut intermédiaire de l’homme (ni Dieu, ni animal) grâce auquel celui-ci "[...] invente le lien entre le connu et l’inconnu du monde, le compréhensible et l’incompréhensible, l’intelligible et l’inintelligible : l’interprète pénètre et éclaire les choses, il s’en fait littéralement l’interprète car il procède à l’interpretatio soit étymologiquement à la révélation des choses cachées, dans un effacement qui est la condition nécessaire et tragique du succès de sa tâche." © Double Sens Sur le site le l’AIIC, vous pouvez lire une interview de Maya de Wit, première interprète en langue des signes adhérente de l’association : "AIIC’s first sign-language member: Maya de Wit"

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