Elle se tient droite, belle femme d'une soixantaine d'années, une grande écharpe blanche autour du cou. En gros caractères, son nom, Wu You-jian et la phrase : "Mon fils est homosexuel." Faire la couverture d'un magazine (le Nanfang Renwu à Canton) avec une telle déclaration est révolutionnaire en Chine : si l'homosexualité y est tolérée, elle est souvent vécue clandestinement, surtout vis-à-vis des parents. La politique de l'enfant unique et l'attachement des Chinois à leur lignée conduit à toutes sortes d'arrangements : ainsi, un site (www.formarry.cn) propose-t-il des "mariages d'apparence" entre gays et lesbiennes.
Or, depuis qu'elle a fait la couverture du Nanfang Renwu en janvier, la notoriété de Wu You-jian n'a cessé de s'accroître : en juillet, elle était ainsi l'invitée de "Visibilité sociale", le talk-show en vogue de Zeng Zimo sur Phoenix TV, l'audacieuse chaîne de Hongkong destinée au public de Chine populaire. Son blog, hébergé sur le premier portail chinois, Sina.com, est mis à jour quotidiennement et cumule aujourd'hui plus de 1 million de pages vues. Wu You-jian, qui travaille dans l'édition à Canton pour une petite revue, y réagit aux multiples questions et messages d'homosexuels ou de leurs parents. Elle a aussi entrepris de mettre en place une hotline et vient d'être autorisée à ouvrir une section de l'association américaine PFLAG (Parents, familles et amis de gays et lesbiennes).
Zheng Yuan-tao, 28 ans, est celui par qui tout est arrivé : 28 ans, traducteur free-lance à Pékin, le fils de Wu You-jian s'émerveille de l'activisme de sa mère - et se demande, en plaisantant, jusqu'où elle ira. "J'ai fait mon coming out à 18 ans, raconte-t-il. Je suis fils unique. Mais on n'a pas chez nous le culte des ancêtres. Mon père est né au Vietnam. Orphelin, il fut recueilli par une tante qui devint la concubine d'un médecin chinois de Haiphong. Cela explique peut-être l'attitude de mes parents. Ils l'ont bien pris, mais l'ont gardé pour eux. Puis, je suis passé plusieurs fois à la télévision, comme gay. Il y a eu un reportage chez moi. Ma mère se sentait un peu mal à l'aise vis-à-vis de son entourage. Puis, elle a sauté le pas, s'est mise à l'informatique et a écrit un blog. Les médias se sont intéressés à elle. Le Nanfang Renwu voulait nous mettre tous les trois en couverture, mais mon père et moi étions un peu réticents." Yuan-tao vit en couple à Pékin, s'est impliqué dans des organisations gay et a tenu avec son compagnon plusieurs blogs. Son passé de militant est derrière lui : il laisse à sa mère le soin de se battre - et préfère rester discret.
Brice Pedroletti (Le Monde)