LA CUISINE ET MOI...
Un billet d'humeur d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
Dire que j’ai un problème avec la cuisine est un doux euphémisme. Je pense que je fais une réaction allergique au fait de devoir cuisiner mais que cela n’a malheureusement encore jamais pu être prouvé par aucun test ou éruption cutanée. Seulement prévoyante comme je suis, je préfère jouer la prudence et limiter mon temps de stationnement dans ma cuisine.
En même temps, ne pensez pas que je réagis ainsi parce que je ne sais pas cuisiner. Je sais cuisiner… suffisamment pour survivre en tout cas. Non, trêve de plaisanterie, quand je dois faire à manger pour la famille ou les amis, je parviens tout de même à faire des recettes demandant plus de 5 minutes de préparation. J’ai déjà fait un civet de lapin, je peux faire de vraies pizzas, des tartes, des quiches, des gâteaux au chocolat, des gratins… Seulement, je pense qu’enfant, j’ai réagi de manière très radicale à certaines obligations sociales et familiales.
En fait, comme pour de nombreuses petites filles, on a voulu me formater en me faisant jouer avec des poupées et en me mettant des robes. Ma mère s’amuse à dire qu’elle a dû arrêter les petites robes à fleurs et les chapeaux à l’instant où j’ai su dire non ; je ne suis pas loin de la croire. L’avantage d’avoir été élevée avec deux frères, c’est que je pouvais leur jeter à la tête les poupées que l’on m’offrait ou leur taper dessus avec afin de m’emparer de la caisse de Lego™ ou de leurs petites voitures. C’était une arme comme une autre, parfois réellement redoutable. Et comme de nombreuses petites filles donc, il était sous entendu qu’à l’âge adulte, pour être bonne à marier, il faudrait que je sache cuisiner et coudre.
Mes grands-mères n’auraient jamais du ne serait-ce que penser une chose pareille. Rien que par esprit de contradiction et par désir d’affirmer ma personnalité et mon autonomie, j’ai volontairement refusé d’écouter les conseils de mes parents en matière de cuisine et de couture. Même les essais répétés de mon père pour m’apprendre quelques rudiments de base dans ces deux matières ont échouées. Vous vous dites que mon père est un homme et que ses énormes compétences auraient dû m’impressionner et me faire reconsidérer ces rôles imposés. Il n’en a rien été. Et pourtant, je vous assure que mon papa travaille toujours, encore aujourd’hui, à me faire changer d’avis sur le sujet, l’air de rien.
Non, moi rien que pour enquiquiner mes grands-mères et aussi parce que franchement c’était tellement plus utile et rigolo, j’ai appris à changer les pneus de ma voiture, j’ai appris à poncer le bois, à restaurer les vieux meubles, à tapisser, à me servir d’un marteau et d’un burin, etc… etc. C’était tellement plus intéressant.
Et puis le partage des tâches, mes frères et moi avions tout de suite très vite compris comment ça fonctionnait. On a rapidement joué sur notre complémentarité. À trois, même les pires corvées peuvent devenir gérables. L’un mettait le couvert, tous les trois débarrassions, un autre essuyait la nappe pendant que le dernier passait le balai. Pareil pour les crêpes. Mon frère faisait la pâte, je faisais cuire les crêpes (le saut périlleux étant une chose attirante, c’était évident que ce travail me revenait) et le petit dernier attendait de voir s’écraser les crêpes dans l’assiette, tout prêt à les tartiner de Nutella™.
Tout cela pour dire que je cuisine parce que j’y suis obligée. On doit manger pour vivre. Et même si récemment j’ai décidé d’élargir mon régime alimentaire et de le diversifier, je continue à adorer me nourrir de pizzas congelées, de frites au four et de hamburgers surgelés. Mais comme je vous l’ai signalé, en ce moment je fais des efforts et je cuisine. J’alterne pâtes et riz, les premières avec de la sauce bolognaise (en boîte) et le second avec de la sauce aigre-douce (en boîte également). Leurs accompagnements de prédilection étant pour les premières les steaks hachés surgelés et pour le second les nuggets de poulet. Si ça, ce n’est pas cuisiner, je ne sais pas ce que c’est mes amis…
Mais ce jour-là, revenant d’un séjour d’une semaine chez mes parents, j’avais décidé de me lancer dans un plat plus conséquent. C’est le problème des séjours chez mes parents, mon estomac se réhabitue très rapidement à de l’excellente nourriture et se met donc à en réclamer quand il revient chez moi. Plutôt désagréable au départ, il faut juste qu’il comprenne qu’il vient de changer de département…
Donc bref, ce jour-là, je travaillais de soir. C’est-à-dire que je débute le boulot à 13h45, donc que je pars de chez moi à 13h15. Ces horaires décalés me laissent tout le temps de dormir, entre autre, mais surtout de cuisiner. J’avais pris une très bonne résolution et avait décidé d’utiliser les pommes de terre récupérées chez ma grand-mère pour me faire un excellent petit repas.
À 10h00, j’avais mis à décongeler mon steak haché, oui, il ne faut pas pousser trop loin non plus les excellentes résolutions. Enfin, j’ai découvert que quand on fait décongeler les steaks comme ça à l’avance, ils ont le cœur tendre après quand on les fait cuire. Oui, messieurs dames, j’ai découvert ça toute seule ! Mais revenons-en à nos moutons. Mon steak se décongèle et à 11h50, pas trop tôt non plus, sinon ça gâche ensuite le sentiment d’urgence avant d’aller bosser, je m’installe dans ma cuisine pour éplucher mes patates.
La musique à tue-tête, je m’assoie très calmement et l’épluchage se passe sans accroche. Ça commence bien. Ensuite je me mets en tête de les râper. Oui, parce que la superbe recette que je souhaitais faire est une recette familiale transmise de génération en génération par toutes les familles de France et de Navarre. On épluche des patates, on les râpe, on ajoute des œufs, on fait cuire le tout dans une poêle et on déguste. Facile en pratique mais long question cuisson.
Bien évidemment, vous vous doutez qu’il y a eu un problème. Enfin plusieurs même sinon ce ne serait pas marrant. Le premier a été le dérapage accidentel de mon doigt sur la râpe. J’en ai laissé un petit bout avec les patates. C’est super douloureux et forcément très handicapant pour une infirmière. Le pire c’est qu’en plus de la douleur, ça saigne abondamment sinon ce n’est pas drôle. Donc le but consiste à abandonner sans rajouter de casse ce que l’on faisait, de ne pas coller de sang bien rouge partout sur les patates râpées bien jaunes et de se précipiter sous l’eau. Là, ça cuit, vous vous maudissez en alignant les gros mots et vous ne faites pas comme moi, vous ne donnez pas un coup de pied dans le placard pour avoir mal ailleurs, c’est là qu’en général le placard n’aime pas. Bref. Ensuite vous vous mettez en quête d’un mouchoir en papier pour palier l’urgence. Une fois que l’hémorragie est régulée, vous partez à la recherche d’un pansement. Cette dernière partie, je ne l’ai pas faite puisque que comme tout le monde le sait si bien, c’est le cordonnier le plus mal chaussé. Donc, en tant qu’infirmière, je ne dispose d’aucun pansement chez moi. Limite déjà si j’ai du spasfon™ quand j’ai ces fichues douleurs mensuelles. Donc des pansements, holà malheureux ! Faut pas rêver non plus.
Une fois l’hémorragie jugulée avec un pansement ou un mouchoir en papier scotché autour du doigt (oui, il faut quand même qu’il tienne), vous pouvez reprendre votre activité. Là, le but est de ne pas perdre plus de temps parce que vous n’étiez déjà pas en avance (« Time time time is running out » comme le dit si bien la chanson). Donc vous reprenez en faisant attention aux autres doigts.
Une fois toutes mes patates râpées, j’ai fait chauffer mon huile dans ma poêle. Ah oui, j’ai simplifié la recette, je ne rajoute pas d’œufs. Non, depuis que j’habite seule je n’ai pas acheté d’œufs parce qu’ils ne les vendent que par 6 et que je n’arriverais jamais à les manger tous. Je me connais, j’en oublierais forcément un qui va pourrir dans le fond de mon frigo et ce n’est pas une bonne idée.
Ma poêle chauffe, je fais délicatement glisser les patates râpées en faisant gicler de l’huile partout. Manque d’habitude et de pratique, ça gicle toujours, je n’ai pas encore trouvé le truc de ce côté-là. Pendant que ça commence à crépiter, j’étale tout, je monte un peu le volume de la musique pour pouvoir danser derrière ma poêle et je jette un coup d’œil sur l’horloge. Je suis parfaitement dans les temps.
Mais c’est là que tout a foiré. Tout à coup, pffff. Oui, pffff. Moi aussi, je me suis dit c’est quoi ce pffff. Je me suis baissée pour regarder sous la poêle et là, je n’avais plus de feu. L’espace d’un instant, je me suis rappelée de ce que mon père m’avait dit une semaine plus tôt à savoir : « Elle est pas mal finalement cette petite bouteille de gaz, ça fait plus d’un an et tu ne l’as pas encore changée. » Ben oui mais non ! Je me suis dit : « Pas ça maintenant. Tout sauf ça maintenant. Pas aujourd’hui. » En femme intelligente et avisée, je suis donc allée secouer la bouteille pour voir. Elle s’est très bien laissée secouer. J’ai remis le feu… et j’ai eu une flammette. Force était de reconnaître que la bouteille était vide. Saleté de punaise ! Que faire ? Plus de midi déjà, et aller acheter une bouteille là maintenant tout de suite n’était pas concevable. Je n’aurais jamais le temps de revenir, de faire à manger, de manger, de me préparer et d’aller bosser.
Dans ces cas-là, il est primordial de ne pas paniquer. Donc je n’ai pas paniqué. J’ai ouvert mes placards. Hummmm. Mon seul repas possible consistait en des tartines de beurre et de confiture et du cacao. Oui, sans gaz on est si peu de choses. Pas de pâte ni de riz parce que ça doit cuire. Comme de hasard, c’était le début de mes bonnes résolutions et je n’avais plus ni pizzas surgelées ni frites au four ni hamburgers. J’avoue que je n’avais pas non plus fait les courses. En clair, c’était la m***.
J’ai regardé ce qui devait être mon repas, désespérée de voir se gâcher de la si bonne nourriture. En plus mon steak était pour le coup totalement décongelé. Une seule et unique solution m’est alors apparue. Le four ! Je l’ai mis en marche, j’ai pris une feuille de papier d’alu et j’ai collé le steak dessus et la râpée de patates bien étalée pour qu’elle cuise. J’ai enfourné le tout en me disant que ça allait être dégueulasse.
J’avais raison. 25 minutes plus tard, j’ai sorti un steak aussi dur que le pneu de mon vélo et une plaque de patates râpées qui refusait de lâcher ce fichu papier d’alu. Mauvaise idée le papier d’alu, me suis-je alors dit. Après une lutte sévère, j’ai quand même réussi à avoir quelques restes, le papier d’aluminium ayant, je l’avoue, gagné le gros de la partie. Évidemment, vous vous doutez bien que ce n’était pas cuit.
Les seules choses mangeables à la fin de ce repas furent le fromage et le fruit. L’avantage de ne pas avoir eu à y toucher.
Et le pire, loin de se limiter à ce repas raté, reste la réflexion de mon père quand je lui ai raconté ma mésaventure : « Pourquoi t’as pas utilisé la plaque électrique ? »
Est-ce que moi je vous pose des questions de ce genre ? Non ! Ben lui n’a pas le droit de le faire non plus ! Pourquoi ? Parce que je n’y avais pas pensé ! On était en pleine crise et en situation d’urgence ! Comment j’aurais pu me rappeler que ce que je considère comme un second plan de travail est en fait une fichue plaque pour cuire les aliments mais avec de l’électricité !
Je déteste quand mon père a le dernier mot, je déteste vraiment ça.
Isabelle B. Price (17 Août 2008)