Macadam cowboy, USA 1969

Par Daniel


Fiche technique :

Avec Dustin Hoffman, John Voight, Sylvia Miles, John McGiver, Brenda Vaccaro, Jennifer Salt, Paul Benjamin, Paul Morrissey, Barnard Hughes et Bob Balaban. Réalisation : John Schlesinger. Scénario : Waldo Salt, d'après le roman de James Leo Herlihy. Directeur de la photographie : Adam Holender. Musique : John Barry. Monteur : Hugh A. Robertson & Jim Clark.

Durée : 113 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :

Joe Buck, jeune et fringuant simili cow-boy, quitte son Texas natal pour monter à New York dans l’espoir de mener une carrière de gigolo. Mais sa déconvenue est rapide et il se retrouve bientôt fauché. Dans un bar, il rencontre Ratso Rizzo, un paumé tuberculeux, estropié de naissance et drogué, qui commence par l'escroquer en lui promettant de lui trouver de riches clientes. Mais en fait de milliardaires, il ne lui ramène qu’un voyeur homosexuel. Ratso, pris de remords et souffrant de solitude, propose alors à Joe de faire équipe avec lui. Une amitié insolite naît entre ces deux épaves que tout sépare. Ils n'auront désormais qu'un seul rêve : partir au soleil de la Floride…

L’avis de Bernard Alapetite :

Il est rare qu’un film, près de quarante ans après sa sortie, provoque toujours le même choc à ceux qui le voit pour la première fois. C’est le cas pour Macadam Cowboy. Pourtant, on aurait pu craindre que ce film si ancré dans les sixties subisse une certaine obsolescence, à l'instar par exemple de Easy Rider ou d’Orange Mécanique qui, s'ils restent des films emblématiques de leur époque, ont perdu une grande partie de leur charge émotionnelle... Rien de tel avec le film de John Schlesinger qui nous émeut aujourd’hui autant qu'en 1969. Comme L’Épouvantail de Schatzberg par exemple, Macadam Cowboy prend pour “héros” deux losers, personnages qui seront la marque de fabrique des films des années 70 et que l’on avait jusque là presque pas vus dans le cinéma américain depuis les burlesques (Charlot). Les losers pullulent dans les films de cette période. À titre d’exemple, on peut citer le Kowalski de Point limite Zéro de Sarafian ou le Travis Bickle de Taxi Driver.

Macadam Cowboy couvre plusieurs thèmes: l'amitié, le sexe (par l’intermédiaire de la prostitution masculine), le rêve américain si emblématique des années 60, la dureté de la vie dans les grandes villes, la jeunesse américaine d’alors avec ses hippies et son mouvement psychédélique, le fossé culturel entre la Côte Est et le Sud profond, l'injustice sociale... La mise en scène de Schlesinger est si intelligente et son montage si fluide que tous ces thèmes se fondent les uns dans les autres. Ils n'apparaissent jamais plaqués sur l’intrigue principale, ou reliés entre eux artificiellement, à tel point qu'à la fin du film on ne peut savoir si l'un de ces sujets domine l'œuvre un peu plus que les autres ou pas...

En fait, si l’on observe attentivement, on s'aperçoit qu'un lien les unit tous et devient le thème central de Macadam Cowboy. Ce lien est le mensonge. L'amour tarifé : mensonge des sentiments... L'American Dream : miroir aux alouettes, donc mensonge... La mythique hospitalité des new-yorkais : mensonge... La fraternité hippie : aussi évanescente que la fumée des joints... L'American Way of Life qui unirait tous les citoyens du pays : une utopie... Face à ces leurres, il ne reste aux deux perdants du film qu'une seule valeur humaine à laquelle se raccrocher : l'amitié. Mais le constat de Macadam Cowboy est cruel car même elle, en fin de parcours, ne suffira pas à sauver ces damnés de la terre...

Lors de sa sortie américaine, Macadam Cowboy fait scandale. Il est classé X pour quelques scènes de nudité. Mais ce ne sont pas en réalité ces séquences qui lui ont valu, aux yeux de l’exploitation cinématographique américaine, cette marque d’infamie. Ce que les censeurs de cette Amérique bien-pensante ne pouvaient accepter était bien plus le traitement réservé par le film aux "valeurs" américaines, à commencer par la prostitution masculine, sujet tabou alors et qui l’est largement resté. Midnight Cowboy, le titre original du film, est le nom de code donné aux prostitués mâles car ils étaient nombreux dans les années 50, 60 à s’ accoutrer en cow-boys, comme le décrit fort bien John Rechy dans son livre Cité de la nuit (éditions Gallimard).

Cette punition des bien-pensants n'empêcha pas le film de remporter trois Oscars : meilleur film, meilleur metteur en scène et meilleur scénario d'adaptation. Il fut aussi nominé sept fois, dont celles de meilleurs acteurs pour Jon Voigt et Dustin Hoffman, les deux interprètes principaux du film qui auraient incontestablement mérité de se voir attribuer la statuette tant leurs performances restent mémorables.

Jon Voigt trouve là son plus grand rôle, incarnant à la perfection le personnage de Joe Buck... Joe est un jeune homme à la naïveté abyssale, sans instruction, frais émoulu d'une petite ville du Texas où il travaillait comme plongeur dans un restaurant, un primaire croyant dur comme fer à son destin, à sa beauté. C’est un grand blond au visage de poupin et s'il n'est pas « un vrai cow-boy » (« I ain't a for-real cow-boy ») comme il s'empresse de toujours le préciser, il est « un vrai étalon » (« But I am one helluva stud »). Il ne manque jamais d'en informer ses rencontres... Habillé de vêtements tous plus voyants les uns que les autres (veste en daim à franges, chemises cow-boy, santiags et stetson), il tente de se faire une silhouette conforme à ce qu’il imagine être sa personnalité...

De brèves séquences en flash-back nous apprennent quelques bribes de son enfance et de sa vie précédente. Au début du film, pendant son voyage en greyhound vers New York, ces séquences dépeignent une vie modeste mais heureuse. Elles montrent une grand-mère le flattant et une petite amie le persuadant qu'il est « le meilleur ». Plus tard, lors d'une sieste dans le squat de Rico, le flash-back deviendra beaucoup plus dramatique, on voit un groupe de jeunes durs violant sa copine ! Joe rêve de la ville mais la ville le rejette avec toute sa froideur et son anonymat. New York est montré sous un aspect qui n’est pas à l’avantage de la ville, par l’intermédiaire de scènes signifiantes comme celle où l’on voit un homme, correctement habillé, allongé inconscient au milieu du trottoir et ignoré par les passants, à la grande surprise du nouvel arrivant qu’est Joe et qui n'ose cependant pas intervenir et passe son chemin, lui aussi... Il faut se rappeler que le New York de 1969 n’est pas la grande cité propre et sûre qu’elle est devenue depuis quelques années (merci monsieur Giuliani).

Joe a de brusques accès de violence qu’il ne peut contrôler et le laissent aussi désemparé qu'un petit enfant devant la bêtise qu'il vient de commettre... Joe est enfant attardé, perdu dans son imaginaire, persuadé d'être une sorte de héros des temps modernes. Il ne perçoit pas la frontière entre ses rêves d'enfant et la réalité d'adulte. Rico lui décille les yeux en lui disant que son allure de cow-boy n’impressionne personne hormis les homosexuels. « Tu ne vas pas me dire que John Wayne était pédé ! » lui rétorque Joe. Son attachement à Rico est sincère et révèle, sans démonstration, sa « bonne nature ». Jon Voigt, il me faut le répéter, est magnifique et son jeu gagne à plusieurs visionnages...

Face à lui, Dustin Hoffman réussit une performance une fois de plus hallucinante. Gagnant sa deuxième nomination à l'Oscar deux ans après Le Lauréat (The Graduate, 1967) et à des années lumières du rôle de Benjamin Braddock qu'il y tenait, le petit acteur (petit par la taille, immense par le talent) acquit dès lors une réputation de nouvelle star spécialisée dans les "antihéros" qui commençaient alors à peupler le cinéma US. Son interprétation de Rico "Ratso" Rizzo demeure inoubliable avec sa silhouette bancale, son éternel mégot aux lèvres et sa toux dont chaque quinte nous émeut.

Rico est le contraire parfait de Joe. Il est estropié, petit, les cheveux noir graisseux, n'a sans doute jamais connu la moindre femme et si New York représente le paradis fantasmé qui le décevra bien vite pour le grand Texan, Rico lui rêve du sud, du soleil et des palmiers de Floride. Son rêve à lui, c'est Miami... Joe et Rico fonctionnent comme un drôle de couple, finalement pas si loin des clowns (tristes) de cirque. Entre les deux hommes naîtra une affection fraternelle, prétexte saisi par John Schlesinger pour aborder le sujet de l'homosexualité qu’il traitera plus frontalement dans ses films suivants. Et les deux acteurs, sous la direction inspirée de John Schlesinger, magnifient un peu plus à chaque seconde leurs personnages, leur opposition et, par conséquent, la grandeur de leur amitié.

À noter dans un petit rôle, le cinéaste Paul Morrissey.

Les amoureux de New York, dont je suis, ont un plaisir supplémentaire à la vision du film. Il est amusant d’essayer de repérer les nombreux changements en quarante ans (je fais toujours de même pour les films tournés à Paris ou à Londres). La plus grande partie du film a été tournée au sud de Manhattan, plus précisément à Greenwich Village. Mais aussi dans l’East Side, sur Park Avenue, et dans la partie sud de Central Park. On aperçoit également Times Square et ses parages. On voit aussi le terminal de bus de Port Authority, à l'angle de la 40e Rue et de la 8e Avenue et le Brooklyn Bridge. Cette belle utilisation de la ville est aussi un des rares défauts du film car Schleisinger a trop privilégié l’esthétisme de la ville car bien des déambulations des deux hommes sont incohérentes et impossibles d’un point de vue géographique.

Macadam Cowboy est l'histoire pathétique d'une amitié peu commune, filmée avec grand talent comme une histoire d’amour tragique.