Crédit photo : Christian/FlickR
Troisième article de la série consacrée à la place des gays et des lesbiennes dans la société française. Cette première partie pose une question simple : « Les religions sont-elles homophobes ? ». La réponse pourrait surprendre... Par notre collaborateur : Kim, 31 ans
Dans les deux articles précédents, nous avions vu que la tolérance et l’acceptation de l’homosexualité et des homosexuels par la population et par la République Française avaient largement progressé en France. Ceci traduit donc une évolution des mentalités. Mais la grande question, à savoir pourquoi cette évolution des mentalités s’est faite, restait en suspend. Nous allons tenter d’apporter des réponses à ce sujet dans ce présent article en utilisant la géographie. En effet, c’est en comparant les mentalités dans le monde que nous pourrons en tirer des enseignements.
La tolérance de l’homosexualité n’est pas une chose très répandue dans le monde.
L’idée de cet article m’est venue lorsque j’ai découvert sur la toile la carte ci-dessus (document 1). Cette carte représente le degré d’acceptation de l’homosexualité dans 41 pays du monde. Elle a été réalisée à partir d’un sondage lancé dans une quarantaine de pays où l’on a posé notamment la question suivante (question 40) :
« Laquelle de ces propositions est la plus proche de votre opinion : la numéro 1 ou la numéro 2 ?
- proposition n° 1 : l’homosexualité est une manière de vivre qui doit être acceptée par la société
- proposition n° 2 : l’homosexualité est une manière de vivre qui ne doit pas être accepté par la société ».
Cette question n’était qu’une parmi beaucoup d’autres, de thèmes multiples, le sondage ayant été commandité par l’organisation « Pew Global », chargée de voir ce que le monde pensait en 2002. Il est certes dommage de ne pas avoir tous les pays du monde, mais nous nous en contenterons.
La carte représente la proportion de sondés ayant répondu que la proposition n° 1 était la plus proche de leur opinion. A partir de cette carte, on peut faire une typologie grossière des régions du monde en fonction de leur tolérance de l’homosexualité :
-- l’Europe occidentale correspond à un premier groupe où l’homosexualité est très largement tolérée : la proposition n° 1 y recueille au minimum 60 % des avis, et peut dépasser les 75 % dans certains pays comme l’Allemagne (83%), la République Tchèque (83 %) et la France (77%) ;
-- l’essentiel du continent américain, le Japon et les Philippines correspondent à un deuxième groupe où la tolérance de l’homosexualité y est généralement majoritaire (ou proche de l’être dans un certains nombre de pays d’Amérique latine) : la proposition n° 1 y recueille entre 50 % et 75 % des avis des sondés (entre 40 et 50 % pour un certains nombre de pays d’Amérique latine) ;
-- l’Europe centrale et orientale et l’Afrique australe correspond à un troisième groupe où la proportion de sondés choisissant la proposition n° 1 est comprise entre 20 et 40 % : la tolérance de l’homosexualité y est donc faible.
-- enfin le reste du monde correspond à un quatrième groupe, où la tolérance de l’homosexualité est très faible, inférieure à 20 %.
Mais qu’est-ce qui peut expliquer de telles différences entre les pays et les régions du monde ? Il est temps de proposer des hypothèses et de les vérifier.
Dans cette première partie, nous allons nous interroger sur le poids de la religion dans l’homophobie.
Le poids de la religion dans l’homophobie.
Dans notre article précédent, nous avions dit que l’homosexualité était en France durant l’époque de l’Ancien Régime condamnée par la loi à des peines de mutilations ou de mort par le bûcher pour des raisons religieuses. Ainsi, au XIIIème siècle, plusieurs coutumes légiféraient sur la question, l’homosexualité étant désignée par le terme « bougrerie ». En voici quelque unes :
Coutume de Touraine-Anjou (1246)
« Si quelqu’un est soupçonné de bougrerie, la justice doit le prendre et l’envoyer à l’évêque ; et s’il en était convaincu, on devrait le brûler ; tous ses biens meubles sont au baron […]. »
Ancienne coutume d’Orléans (1260)
« Quand on aura soupçonné un homme de bougrerie, il doit être mis en prison. Les personnes d’Eglise doivent faire l’Inquisition de la foi sur lui, et demander de la foi. Et s’il est condamné, le roi le fait mettre à mort. »
« Celui qui est sodomite prouvé, doit perdre les couilles, et s’il le fait une seconde fois, il doit perdre le membre ; et s’il le fait une troisième fois, il doit être brûlé. »
« Femme qui le fait doit à chaque fois perdre un membre, et la troisième fois, doit être brûlée. Et tous leurs biens sont au roi. »
Les coutumes de Beauvaisis (1285)
« Quand quelqu’un est condamné comme bougre par l’examen de la Sainte Eglise, la Sainte Eglise doit l’abandonner à la justice civile qui doit le brûler, parce la justice spirituelle ne doit pas mettre à mort personne ».
« Qui erre contre la foi, comme en mécréance, de laquelle il ne veut venir à voie de vérité, ou qui fait sodomiterie, il doit être brûlé ».
L’Eglise condamnait en effet tout acte sexuel ne conduisant pas à la procréation, et donc condamnait la sodomie, et donc par ricochet condamnait l’homosexualité (même s’il est anachronique d’utiliser ce terme pour cette époque). Cette condamnation se basait sur plusieurs passages de la Bible, comme par exemple dans le Lévitique, chapitre XX, verset 13 : « Quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ce qu’ils font tous les deux est une abomination ; ils seront mis à mort, leur sang retombe sur eux »… Et aujourd’hui, si cette condamnation à la peine de mort n’existe plus, le Pape et l’Eglise catholique condamnent toujours l’homosexualité, car ils continuent à se baser sur la Bible. Les autres religions chrétiennes en font de même.
Bien d’autres religions condamnent de même la sodomie et par extension l’homosexualité.
Ces préceptes sont aussi présents dans la Torah juive : logique, puisque le Lévithique se trouve dans l’Ancien Testament…
L’Islam en fait de même. Dans le Coran par exemple, il est dit dans la sourate 4, verset 16 : « Si deux d’entre vous commettent une action infâme sévissez contre eux. S’ils se repentent et s’amendent laissez-les en paix car Dieu aime à pardonner ; Il est miséricordieux ». L’Islam rejette donc elle aussi la sodomie (et donc par ricochet l’homosexualité) désignée comme « action infâme ». Dans certains pays qui applique la Charia, on exécute des gays pour cette raison.
Les trois religions monothéistes condamnent donc l’homosexualité.
Dans le cas de l’Hindouisme, les textes des Vedas, du Manu Smriti, du Narada Smriti, et du Kama Sutra, parlent beaucoup de l’homosexualité. Mais les interprétations varient selon les époques et les sociétés. D’un côté elle peut être tolérée car elle souvent mentionnée sans forcément qu’il y ait condamnation, au demeurant généralement moins sévère que pour d’autre fait comme l’adultère ou le viol chez les hétérosexuels par exemple. D’un autre côté, elle est décriée car l’absence de possibilité de reproduction au sein d’une relation homosexuelle briserait le cycle de la renaissance et de la réincarnation.
Le Bouddhisme, quand à lui, ne condamne par contre pas explicitement l’homosexualité (sauf pour les moines). Puisque l’essentiel est de ne pas s'engager dans des actions ayant pour conséquence la souffrance d'autrui ou de soi-même, une relation homosexuelle consentante basée sur l’amour, le respect et la fidélité est jugée comme respectant le principe de la « conduite sexuelle éthique ». Toutefois, certains religieux condamnent l’homosexualité en disant que les homosexuels ne respectent pas ce principe, car la relation sexuelle homosexuelle ne pouvant permettre la procréation, elle ne peut donc qu’être une recherche du plaisir non forcément conforme au troisième principe de la « conduite sexuelle éthique ». Ainsi, tout repose sur l’interprétation de ce troisième principe, interprétation qui varie selon les sociétés et les époques.
Les différences d’interprétation existent aussi dans le Shintoïsme : si certains disent que l’homosexualité ne conduit pas à la procréation et brise ainsi la chaine de transmission du culte des ancêtres, d’autres disent que rien n’empêchent l’adoption pour permettre la transmission du culte des ancêtres.
Le Confucianisme rejette plus facilement l’homosexualité car les rôles des hommes et des femmes y sont plus clairement définis et insiste plus sur l’importance de la famille (et donc de la procréation).
Quand au Taoïsme, il ne condamne pas explicitement l’homosexualité, mais puisqu’il parle beaucoup du ying et du yang, deux opposés complémentaires (comme un homme et une femme), une relation homosexuelle peut être considérée comme une union de deux ying, ou deux yang, ce qui provoque un déséquilibre contraire au précepte taoïste.
Ainsi, dans les religions orientales, l’homosexualité n’est pas forcément condamnée religieusement, mais cela reste à l’interprétation des textes, interprétation qui varient selon les sociétés et les époques.
Je n’ai pas d’information pour les religions animistes traditionnelles, mais on peut dors et déjà à priori dire que de manière générale, les religions sont donc ou peuvent être plutôt hostiles à l’homosexualité, arguant généralement la faute, l’impossibilité de reproduction. A partir de ces faits, peut-on dire qu’il existe un lien entre religion et intolérance de l’homosexualité ? A première vue, à partir de ce que nous avons dit, on serait tenté de dire oui. Quoique…
L’intolérance de l’homosexualité n’est pas liée à la religion mais à l’intensité de la foi religieuse.
Pour vérifier s’il existe un lien entre l’intolérance de l’homosexualité et la religion, nous avons utilisé un deuxième sondage de l’organisation « Pew Global », réalisé dans la même série de sondages de 2002.
La question posée (question n° 39) était la suivante :
« Laquelle de ces propositions est la plus proche de votre opinion : la numéro 1 ou la numéro 2 ?
- proposition n° 1 : il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour être moral et avoir de bonnes valeurs
- proposition n° 2 : il est nécessaire de croire en Dieu pour être moral et avoir de bonnes valeurs ».
Ce sondage peut traduire l’intensité de la foi religieuse. Les différents pays ont été mis sur un même graphique en fonction des deux sondages précités n° 39 et 40. Cela nous donne le document 2 ci-dessous.
L’observation de ce graphique enseigne d’abord qu’effectivement il existe un lien entre les deux variables, puisque le nuage de points s’inscrit grosso-modo sous la forme grossière d’une ligne. Le calcul du coefficient de corrélation entre les deux variables le confirme : il est en effet de -0.69, ce que est quand même assez significatif.
Hum ? Ah, oui, il va falloir peut-être expliquer ce qu’est un coefficient de corrélation. Alors petite parenthèse : un coefficient de corrélation est un indicateur compris entre -1 et 1 pour mesurer si deux variables sont liées l’une à l’autre. Si le coefficient de corrélation est proche de 1, c’est que les deux variables sont corrélées (= liées) positivement entre elles (par exemple, plus X est grand, plus Y est grand). Si le coefficient de corrélation est proche de -1, c’est que le les variables sont corrélées négativement entre elles (par exemple, plus X est grand, plus Y est petit). Si le coefficient de corrélation est proche de 0, alors on ne peut rien dire. Enfin, il est à savoir que corrélation ne rime pas forcément avec causalité : il faut donc utiliser cet outil statistique avec prudence car on peut facilement en déduire de fausses conclusions. Ceci dit, je referme la parenthèse.
Ainsi, ce coefficient de corrélation de – 0,69 montre que plus la foi religieuse est importante, plus la tolérance de l’homosexualité est faible. Ce sont les pays occidentaux, où progresse la laïcité, qui sont les plus tolérants envers l’homosexualité. Inversement, ce sont les pays du monde musulman et d’Afrique, visiblement très croyants, qui sont les plus intolérants envers l’homosexualité.
Attention toutefois, il serait dangereux de conclure que l’Islam est la source de cette intolérance. Il s’agirait plutôt de dire que c’est l’importance de l’intensité de la foi religieuse des populations dans ces pays qui explique cette intolérance, ce qui explique une politique répressive. Un livre religieux (ici le Coran), ne peut en effet à lui seul tout expliquer : la preuve en est avec les pays chrétiens ou d’origine culturelle chrétienne, c'est-à-dire les pays d’Europe occidentale, d’Amérique latine, les Etats-Unis, les Philippines ou l’Afrique du Sud, qui se différencient ici non par la Bible mais par leur différence d’intensité de foi religieuse, ce qui influe sur leur degré de tolérance de l’homosexualité, et se faisant sur la législation.
Ce lien entre intensité de la foi religieuse et tolérance de l’homosexualité se vérifie dans un sondage réalisé en France en 2006 par l’institut IFOP. Une des questions du sondage porte sur l’adhésion à l’opinion « Un enfant s’épanouit de la même manière si ses parents vivent en couple hétérosexuel ou homosexuel ». On constate que les réponses positives (« tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord » mis ensemble) s’accroissent en même temps que décroit l’intensité de la foi religieuse des sondés : les catholiques pratiquant répondent positivement à 26 %, contre 42 % pour les catholiques non pratiquant et 67 % pour ceux qui se déclarent sans religion !
Pour conclure cette première partie
Ainsi, à mon sens, il ne faut donc pas étudier l’homophobie en fonction des doctrines et croyances religieuses mais en fonction de l’intensité de la foi religieuse des populations. Cela permet d’une part d’éviter de stigmatiser des religions : beaucoup s’en sont pris à l’Islam lors de la médiatisation de l’exécution de ces deux jeunes Iraniens durant l’été 2005 pour homosexualité, blâmant cette religion, le Coran, la Charia appliquée dans certains de ces pays musulmans qui condamnent à mort des homosexuels. C’est à mon sens un mauvais procès. L’Occident chrétien n’a pas fait mieux en son temps, où l’homosexualité était condamnée au bûcher au Moyen Age. Et pourtant les choses ont évolué, alors que la Bible est restée la même.
Photo n° 2 : Exécution de Mahmoud Asgari et Ayaz Marhoni, l’un âgé de 18 ans, l’autre mineur, le 19 juillet 2005, à Mashhad (Iran), accusés de sodomie et de viol sur un mineur de 13 ans (sachant que toute relation sexuelle avec un mineur y est automatiquement qualifiée de viol).
Nous ne nions pas le poids des croyances et doctrines religieuses dans l’homophobie. Mais il n’est pas aussi important que certains le dise. Aussi, il n’est pas nécessaire pour autant d’opposer Islam et Christianisme par exemple dans ce que certains appellent encore « le choc des civilisations », concept des années 1990’ de Huntington pour expliquer le monde, et que certains reprennent pour expliquer les différences d’homophobies dans le monde. Il est erroné. Il vaut mieux opposer les pays où progresse la laïcité, et les pays où progresse le fondamentalisme religieux. La nuance est de taille car elle change totalement les problématiques de recherches. Elle modifie la comparaison entre l’Occident et le monde musulman par exemple sur les questions homosexuelles. Il ne s’agit donc pas d’étudier les textes religieux, mais les causes et les conséquences du regain ou de la décrue de l’intensité de la foi religieuse dans une société. C’est ainsi que l’on pourra comprendre pourquoi et comment progressent la tolérance de l’homosexualité en France et dans le monde. C’est sur quoi nous nous pencherons dans la deuxième partie de notre article.
Petite bibliographie
Pour les sondages
* sondage réalisé par Pew Global dans 44 pays du monde en 2002, pour savoir ce que le monde pense en 2002.
Pour cette première partie, il n’a été utilisé que les questions 39 et 40.
Question 39
« Laquelle de ces propositions est la plus proche de votre opinion : la numéro 1 ou la numéro 2 ?
- proposition n° 1 : il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour être moral et avoir de bonnes valeurs
- proposition n° 2 : il est nécessaire de croire en Dieu pour être moral et avoir de bonnes valeurs ».
Question 40
« Laquelle de ces propositions est la plus proche de votre opinion : la numéro 1 ou la numéro 2 ?
- proposition n° 1 : l’homosexualité est une manière de vivre qui doit être acceptée par la société
- proposition n° 2 : l’homosexualité est une manière de vivre qui ne doit pas être accepté par la société ».
Attention, pour la question 40, plusieurs pays participant au sondage n’ont pas participé à cette question précise pour des raisons diverses : la Tanzanie, la Chine, et l’Egypte.
http://pewglobal.org/reports/pdf/185topline.pdf
* sondage réalisé par IFOP en France en 2006 sur l’adhésion à l’opinion « Un enfant s’épanouit de la même manière si ses parents vivent en couple hétérosexuel ou homosexuel ».
http://www.ifop.com/europe/docs/famille.pdf
* Pour la carte du document qui n’a pas été réalisée par mes soins (pour une fois)
http://en.wikipedia.org/wiki/Societal_attitudes_towards_homosexuality
Pour les religions et l’homosexualité
* BORILLO Daniel, LANG Jack, 2007, « Homosexuels. Quels droits ? », Dalloz
Ce tout petit recueil à prix réduit (2 €) retrace l’histoire des droits des homosexuels depuis l’Antiquité gréco-romaine à la France d’aujourd’hui. Ce petit livre de droit vaut beaucoup pour les textes religieux et législatifs en vigueur auparavant ou actuellement qui sont retranscrit à la fin. Déjà cité en bibliographie de l’article précédent. C’est du petit, mais du concentré.
* MONNERET Jean-Luc, 2003, « Les grands thèmes du Coran », éditions Dervy
Ce livre classe les versets du coran par thème. Très pratique pour s’y retrouver et étudier l’Islam, puisque le Coran original n’est pas classé par ordre thématique ou chronologique mais par ordre de longueur.
* sur internet, le site anglophone « Answer.net » reprend dans une mise claire et complète les articles anglophones sur le sujet pour de nombreuses religions. Beaucoup n’ont pas été traduit en français sur le Wikipedia francophone. En tout cas c’est très complet pour ceux qui maitrisent l’anglais.
http://www.answers.com/topic/religion-and-homosexuality
* pour ceux qui ne serait pas anglophone, l’équivalent francophone sur « Wikipédia » mais en bien moins complet.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Homosexualit%C3%A9_et_religion
Ces deux sites sont en tout cas pratiques pour se renseigner sur les religions asiatiques.