MA SÉRIE LESBIENNE IDÉALE
Une chronique d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
Dernièrement, le chef (C’est moi, le chef ! Ouais ! [Note de Daniel C. Hall]) m’a proposé plusieurs sujets pour ma désormais célèbre rubrique (oui, elle commence à être connue à travers le monde entier… Ah non ? Dommage…), à savoir quelle serait ma série lesbienne idéale. Il voulait que j’en parle avec humour mais c’est un sujet des plus sérieux. Si, c’est sérieux ! Je me suis donc posée la question ainsi : « Quelle serait ma série lesbienne idéale ? » Ben oui, je suis la première à critiquer (de manière constructive, évidemment) telle ou telle représentation alors qu’est-ce que j’aimerais voir, au final. Excellente question, je vous l’accorde. Commençons donc.
Premièrement, ma série lesbienne idéale ne serait pas une série lesbienne. Déjà ça commence mal, vous ne trouvez pas ? Ma série lesbienne idéale ne serait pas uniquement et seulement centrée sur un groupe d’homosexuelles comme The L-Word. Désolée de dire qu’on ne fait pas une histoire intéressante à partir de si peu. Ma série lesbienne idéale serait donc une série avec un réel propos beaucoup plus large. Je m’explique. Je préfère voir une série posséder un personnage lesbien à multiples facettes et interagissant avec des personnes très différentes comme dans la réalité. J’aime ces microcosmes miroirs de la société permettant de dénoncer les dérives actuelles. En conséquence, ma série lesbienne idéale serait une série policière dont le commissariat serait l’un des lieux principaux d’action, une série médicale où les héros vivraient régulièrement à l’hôpital, une série centrée sur un lycée avec les professeurs, les élèves et les conseillers d’orientation ou même une série se déroulant dans un tribunal ou une prison. Parce que les différences sociales, familiales, culturelles et sexuelles ne seraient pas au cœur de l’histoire et qu’elles n’empêcheraient en rien les héros d’avoir un but commun à atteindre malgré leurs divergences d’opinions et leurs diverses manières de travailler.
Deuxièmement, ma série lesbienne idéale ne planterait pas une lesbienne dans le décor pour assouvir les quotas actuels. Je vais peut-être choquer en disant que je n’attends pas que l’homosexuelle de service dévoile ses préférences sexuelles en se présentant du genre : « Bonjour, moi c’est Isabelle, je suis lesbienne. » Non, ce qu’il y a de propre au fait d’être gay c’est que cela ne se voit pas sur le visage. Il y a des codes, des comportements qui tentent à laisser supposer que telle ou telle personne pourrait être homo mais il n’y a pas de garantie à 100 %. Contrairement au fait d’être noir ou blond ou grand ou petit, cette particularité n’est pas visible. Donc j’aimerais que de ce point de vue là, notre héroïne ne l’ « avoue » pas (je n’aime pas ce mot alors je le mets entre guillemets, parce que « avouer » donne le sentiment d’un crime accompli) dans le pilote. Elle attendrait, comme dans la réalité, de connaître les gens avant d’en parler ou même d’en avoir tout simplement l’occasion.
Troisièmement, je me refuse absolument à toute différence de traitement vis-à-vis des autres personnages parce que mon héroïne serait lesbienne et représenterait (holala le gros mot) une communauté. Un personnage ne représente jamais une communauté dans son ensemble ou sa totalité (pourquoi avoir créé un site comme le mien alors me direz-vous… Je vous en pose, moi, des questions ?). Non, un personnage doit être ramené à ce qu’il est réellement : un personnage ; et s’il est vraiment bien interprété et écrit : un individu. Mais un individu unique ne parviendra jamais à représenter une quelconque communauté dans toute sa diversité et sa complexité. Donc il ne faut pas perdre cela de vue et ne pas insister sur le fantastique de l’homosexualité (je pense à la fin de South Of Nowhere, à vomir avec cette mise à l’écran du couple Spashley par l’auteur). On n’est pas là pour faire plaisir aux téléspectateurs, on est là pour raconter une histoire. Pareil, on n’est pas là pour plaire aux censeurs, on est là pour traiter de tous les problèmes et avec une égalité de paroles et de scènes d’amour. Donc on n’évite pas les scènes de sexe lesbiennes si les hétéros passent leur temps à baiser dans les quatre coins du commissariat, de l’hôpital ou du lycée… et si les hétéros ne le font pas, il n’y a pas de raison que les homos le fasse. Compris ?
Quatrièmement (qui reprend un peu le troisièmement à propos de l’histoire), mon héroïne homosexuelle (j’aime bien ces mots-là, je trouve que ça sonne très léger) a droit aux mêmes histoires que les autres. C'est-à-dire que si Paula, qui est mariée et a deux enfants, trompe son mari avec son patron et tombe enceinte avant d’avorter mais que ça ne marche pas et qu’elle accouche alors que l’avion vient de se crasher et que son mari a tué l’amant qui avait un frère jumeau qui va l’aider à mettre au monde son neveu avant de s’avérer être un tueur en série. Et bien ma lesbienne ne va pas rester gentiment avec la même femme durant toute la série et faire du tricot entre deux opérations à cœur ouvert. Compris ? Dans ce cas-là, elle tombe amoureuse de la sœur de Paula qui n’avait jamais envisagé de sortir avec une femme mais qui est troublée par mon héroïne homosexuelle. Elle plaque donc son petit ami du moment, qui décide de lui faire un chantage au suicide mais se trompe dans les doses et se suicide vraiment, Paula le découvre et parvient à le réanimer à la dernière minute, le faisant sombrer dans un coma profond. Son ex regrette alors de l’avoir plaqué et le veille jour et nuit, tentant de s’éloigner de la femme de ses rêves, qui en parallèle se jette à corps perdu dans le travail et sauve la totalité des passagers du crash d’avion précédemment cité, avant d’être gravement brûlée au visage par l’explosion de celui-ci et d’être défigurée. La sœur de Paula réalise alors qu’elle l’aime et la greffe (ayant échouée à deux reprises) finit par prendre avant qu’elles ne passent leur première nuit ensemble. Mais pendant ce temps, l’ex dans le coma se réveille, bien décidé à tuer sa rivale en s’associant à son beau-frère psychopathe par alliance. De l’égalité de traitement dans les histoires donc.
Cinquièmement, le temps d’antenne et la place de mon héroïne lesbienne. Je prône une série avec plusieurs héros comme Grey’s Anatomy ou NYPD Blues et non pas un héros ou un couple de héros avec des personnages secondaires comme Alias ou Bones. En conséquence, mon héroïne a droit au même temps d’antenne que les autres et sera considérée comme égale à ses collègues, cela va de soi, et ça reprend les deux précédents points mais c’est à préciser. On est plus près de Kerry Weaver (Urgences) que de Willow (Buffy contre les Vampires), même si je préfère Willow à Kerry. Parce que Willow est considérée comme un personnage secondaire par rapport à Buffy alors que Kerry a parait-il été traitée à égalité avec Mark ou Carter.
Sixième et dernier point, pitié, pitié, pitié, concernant l’histoire il ne faut pas qu’une semaine après avoir rencontré sa future petite amie, mon héroïne lesbienne emménage avec elle (même pas pour l’aider si l’autre est à la rue et surtout pas avant) ni qu’elles pensent à avoir des enfants en fêtant leurs trois mois ensemble et qu’elles partent en Belgique pour l’insémination artificielle à leurs six mois et se battent pour la garde de leur enfant lors de leur divorce (Quoi elles ont oublié de se marier ? Non, vous avez juste raté un épisode.). Il faut comprendre et entendre que les femmes peuvent être des femmes en dehors de la maternité (même si je n’ai rien contre les lesbiennes qui ont des enfants, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit). Être une femme à l’heure actuelle c’est avoir un métier, se battre pour être considérée comme l’égale des hommes, se battre pour être écoutée. C’est affronter sa famille qui demande quand est-ce que les enfants vont arriver, quand la personne idéale va se présenter, quand le mariage gay va être légalisé. C’est acheter un appartement, s’endetter sur 30 ans, apprendre à changer les roues de sa voiture et savoir vérifier les niveaux. C’est réconforter les amis, se pointer à l’improviste chez eux quand ça va mal, faire cramer le repas… C’est tout ça et encore plus et je peux vous assurer qu’il y a matière à écrire quelque chose de bon ! Pareil pour l’histoire du coming-out, ça n’est pas obligatoire. Juré craché !
Je pense avoir fait approximativement le tour même si j’en ai certainement oublié. Par contre, pour vous donner une idée de que cela donnerait, je vous offre quelques petits exemples afin que si un aspirant scénariste passe par là il n’hésite pas à me contacter…
Version Soap Opera : Samantha est la fille aînée de la famille Rat d’Egoût qui dirige la maison de parfum Puanteur. Alors que ses parents viennent de se remarier pour la troisième fois (ensemble, je ne compte pas les autres mariages entre leurs remariages successifs), elle doit rentrer d’Europe après l’accident qui a laissé son jeune frère paralysé. Elle doit prendre la relève et diriger l’entreprise. C’est ainsi qu’elle rencontre Dana, le nez de l’entreprise, qui n’a pas qu’un nez de magnifique. Elle est troublée par cette femme et rompt avec sa petite amie, Lexie, abandonnée à Londres. Dana met 378 épisodes avant de succomber aux attentions de Samantha… mais c’est alors que Lexie arrive avec leur fils. La lune de miel de Samantha et Dana ne dure pas, cette dernière ignorant que Sam était mère. Blessée, Sam recouche avec son ex pendant que Dana est empoisonnée par Lexie qui est une tueuse en série prête à tout pour retrouver celle qu’elle aime. Dana commence à devenir folle alors que Sam explique à Lexie que tout est bel est bien fini entre elles. Mais Lexie refuse de perdre Sam et empoisonne son propre fils. Sous l’effet du poison, Dana menace de tuer Samantha avant de réaliser qu’elle se trompait de personne et assassine Lexie. Elle est condamnée à la prison à vie, endroit où elle retrouve tous ses esprits et sombre dans la dépression pendant que Sam se bat pour lui envoyer de quoi continuer à travailler sur leur nouveau parfum dans sa cellule…
Version Drame Médical : Samantha est médecin. Elle se dévoue corps et âme à ses patients pour devenir la meilleure et ainsi ne pas trahir la confiance que ses parents ont placé en elle. Elle a toujours été la première parce qu’elle a toujours beaucoup travaillé et tout sacrifié à son art. Arrivée dans ce nouvel hôpital, elle rencontre Dana, fille d’un éminent chirurgien cardiaque au QI impressionnant et dont la passion est de retaper de vieux bateaux mais qui a fait médecine par tradition familiale. Ça l’ennuie mais elle est première de sa promotion, tradition oblige. Les deux vont s’affronter, le ton monte, elles commencent à se battre avant d’apprendre à se respecter. Lors de la fin de la première saison, un patient qui a fumé près de la bouteille d’oxygène déclenche une explosion qui entraîne l’écroulement d’un étage et de nombreux blessés. Samantha et Dana mettent leurs forces en commun et réalisent qu’elles sont plus efficaces ainsi. Elles deviennent amies. Le père de Dana, qui sait qu’elle est lesbienne et qu’elle collectionne les conquêtes, décide de la forcer à se marier, déclenchant la fureur de sa fille qui se sent incomprise et donc quitte le château familial pour habiter dans un de ses bateaux. Elle se rapproche de Sam ; toutes deux tombent amoureuses avant que Sam ne soit poursuivie à la fin de la saison pour faute professionnelle suite au décès d’un patient en fin de saison 3 (Oui, je sais, j’ai oublié la saison 2).
Version Drame Policier : Samantha vient de terminer ses classes et arrive dans un nouveau hôtel de police en tant que commandant. Tout le monde ne l’accueille pas avec amabilité. Après tout, c’est une femme, qui plus est extrêmement séduisante. Elle ne s’encombre pas de diplomatie et fait le ménage dès son arrivée. Elle braque toute son équipe qui refuse de travailler avec elle. Pourtant, elle est plus que compétente ; Dana est bien obligée de le reconnaître. Alors que Dana a toujours pensé qu’il fallait faire changer les choses en douceur, elle est surprise de voir que les méthodes radicales de Sam sont plus efficaces qu’elle ne le pensait. Elle décide de s’allier à sa patronne, elle la lesbienne de service qui a tout fait pour que ses qualités de flics marquent plus les esprits que sa sexualité. Rapidement l’attirance entre les deux femmes s’imposent sur les planques, les soirées au poste et les enquêtes. Dana fait le premier pas (fin de saison 1) et réalise (après une lune de miel qui dure toute la saison 2) que sa patronne n’est pas prête à accepter de vivre au grand jour son homosexualité. Débute une relation cachée (toute la saison 3) qui étouffe Dana jusqu’à ce qu’elle rompe (fin de saison 3). Lorsqu’elle est blessée et perd la mémoire au début de la saison 4, Samantha est obligée de reconnaître ses sentiments et de les vivre au grand jour.
Version Drame au Lycée : Lorsque ses parents meurent dans un accident de la route, Samantha (étudiante en dernière année de psychologie) se retrouve seule pour veiller sur ses deux jeunes frères. Alors que l’un rate ses études au lycée, le second peine au collège. Elle trouve un travail comme psy dans le lycée de son frère et commence à gérer les problèmes que ses deux frangins occasionnent. Débordée, elle ne trouve un peu d’air que dans le bar lesbien de sa meilleure amie. Un soir, alors que ses amies l’ont fait boire (contre son gré, évidemment), elle rencontre une belle rousse incendiaire du nom de Dana, avec laquelle elle passe une nuit passionnée. Le lendemain, elle découvre que cette Dana est la nouvelle professeure de biologie et qu’elle va la côtoyer tous les jours. Un jeu du chat et de la souris s’instaure entre elles, compliqué par l’arrestation du frère qui a fumé du cannabis et les problèmes avec les mensualités du crédit de la maison…
De l’imagination, du respect et de l’égalité, je ne demande pas plus.
Isabelle B. Price (14 Septembre 2008)