Fiche technique :
Avec Dominik Hartl, Julia Schwarz, Julian Stampfer, Liane Wagner, Rochus Millauer, Margot Hruby, Franz Robert Ceeh et Mischa Fernbach. Réalisation : Michael Satzinger. Scénario : Michael Satzinger. Image : Johannes Steger. Son: Lukas Meisterhofer.
Durée : 97 mn. Disponible en VO et VOST anglais.
Résumé :
Jannis et Patrick composent un duo de jeunes rebelles techno. Ils s’aiment comme des fous, mais l’amour n’est pas leur principale
préoccupation. Les deux adolescents croient avoir découvert où se cache le réseau de terroristes responsable d’une série de meurtres perpétrés à l’aide de grenouilles venimeuses (que je trouve
pour ma part très sympathiques), dont sont victimes des politiciens locaux. Les batraciens seraient élevés dans un cirque qui servirait de couverture aux comploteurs.
Les deux garçons décident de s’intégrer au cirque pour surveiller les agissements des malfrats. Entre Lamas et dromadaires Patrick, qui est muet, fait la connaissance de Koja qui n’est pas insensible à ses charmes. La jeune fille, qui ne vit que la nuit car sa peau ne supporte pas les rayons du soleil, fait-elle partie de la bande ? La jalousie de Jannis ne risque-t-elle pas de compromettre les plans des deux amoureux ? L’amour et le dévouement indéfectibles de Patrick pour son ami aideront-t-ils à faire éclater la vérité ? Mais cette aventure va mettre leur amour à rude épreuve.
Cette histoire est sensée se passer dans un proche avenir, un monde paranoïaque où abondent les thèses de complots et dans lequel les mensonges des médias auraient été dénoncés, par exemple celui des premiers pas de l’homme sur la lune qui n’auraient été qu’une supercherie. Elle nous est racontée par l’intermédiaire des images stockées sur l’ordinateur de Jannis, qu’il est forcé de livrer à un mystérieux tortionnaire qui s’il est peut-être intéressé par la beauté du garçon, lui fait subir un brutal interrogatoire...
L’avis de Bernard Alapetite :
Est-ce ma méconnaissance totale de la langue allemande, mon anglais approximatif, mon ignorance tout autant du monde du cirque que des complots internationaux auquels s’ajoute ma relative indifférence pour les batraciens, qui font que le résumé que vous avez lu ci-dessus peut prêter fort à caution. Néanmoins je ne suis pourtant pas trop mécontent de moi, car ayant fait ma petite enquête auprès de grands locuteurs de la langue de Goethe ayant vu le film, ces derniers n’avaient absolument rien percuté à Whispering Moon.
D’ailleurs, je pourrais vous faire plusieurs propositions sensiblement différentes pour résumer cette fable cinématographique. Comme celle-ci par exemple : que toute cette histoire pourrait être inventée par Jannis pour séduire Patrick, à moins que ce dernier soit également le fruit des fantasmes de Jannis, alors nous verrions sur l’écran ce qu’imagine le cerveau inventif de ce garçon. Ce qui pourrait expliquer la permanente interaction de Jannis sur lui-même, sur ceux qu’il rencontre et l’environnement de l’aventure. Ainsi Jannis changerait les éléments de cette rocambolesque histoire au gré de sa fantaisie. Mais on peut faire encore bien des lectures de ce scénario multi couches d'une grande richesse et d'une grande profondeur dans la fantaisie.
À moins encore que cette histoire, comme toute histoire que l'homme se raconte, n'ait que le but de le distraire des grandes douleurs...
Whispering Moon (qui peut se traduire en français par le « chuchotement de la lune ») nous emmène dans un voyage extravagant dont on ne peut jamais prévoir quelle sera la prochaine étape. Aussitôt que l’on croit avoir saisi la direction que prend le scénario, celui-ci nous propulse dans un tout autre sens…
On peut penser que Michael Satzinger aurait aimé avoir deux héros plutôt âgés de douze/treize ans que de dix-sept/dix-huit ans. Ce qui aurait été plus conforme à la fraîcheur de son inspiration. Cette histoire ressemble à celle qu’un jeune garçon, dans l’intimité de sa salle de jeux, raconterait à sa figurine préférée pour lui faire vivre des aventures qu’aucun adulte ne pourrait imaginer.
Mais bien sûr, un âge plus tendre pour les deux garçons était difficilement imaginable, pour des contraintes tout simplement pratiques et surtout en raison de la morale ambiante, à cause de la charge sexuelle et sensuelle du film. Charge d’autant plus dérangeante qu’elle surgit dans un imaginaire enfantin d’où elle est habituellement bannie.
Le film est terriblement sexy : qui aurait pu se douter qu’une recette de yogourt serait à ce point émoustillante ? Michael Satzinger parvient surtout, chose rarissime, à filmer l’intimité de l’amour de deux garçons et cela sans aucune fausse pudeur. On voit les deux amis nus très souvent, faire l’amour mais aussi... aux toilettes, sans que jamais ce regard dans les moments les plus prosaïques du couple paraisse provocateur ou passe pour celui d’un voyeur.
Le réalisateur a nourri son scénario de multiples mythologies (il faut prendre ce terme dans le sens que Roland Barthes lui a donné) du monde de l’enfance, des plus archaïques comme ce cirque qui m’a fait penser à la fois au film Freaks, à des bandes dessinées telles celles de Fred ou à Spirou et les voleurs, aux plus modernes, telle la Toile dont on sait bien qu’elle est très fréquentée par la jeune classe d’âge. On y croise même Winnetou, incontournable lorsque l'on parle de récits d'aventure pour la jeunesse dans un pays germanique. Il m'a semblé aussi y reconnaître des réminiscences aussi diverses que celles des photographies de Bernard Faucon et des œuvres de Fellini. La roulotte dans laquelle Jannis et Patrick cachent leur idylle m'a évoqué la chambre des Enfants terribles de Cocteau...
La réalisation est si inventive avec ce mélange d’images issues de sources diverses… La première séquence est filmée par une caméra de surveillance, mais la majorité des images du film proviennent d'une caméra numérique à très haute définition qui donne des images bien piquées, y compris dans les nombreuses scènes de nuit, avec une grande profondeur de champ. De nombreuses séquences sont tournées avec de courtes focales et même au grand angle. La vidéo n'est pas la seule source qui abreuve Whispering Moon, d'autres séquences sont issues de caméras classiques, d'écrans d’ordinateur, d'extraits de presse, de dessins animés... L’attente du spectateur n’est pas seulement aiguillonnée par les incessants rebondissements du scénario mais aussi par l’attente de la prochaine image, toujours inattendue. Elle fait penser à la fois à celles des films de Méliès et de Peter Greenaway.
L'hétérogénéité assumée de la forme (il arrive même que dans un seul plan soient juxtaposées des images de sources différentes) est en parfait accord avec les multiples genres qui cohabitent merveilleusement ensembles dans ce long métrage qui tient à la fois de la science-fiction, du policier, de la fable politique, du film gay, du cinéma expérimental, du film pour adolescents, du cinéma érotique... Mais le plus ébouriffant est l'intrusion, ô combien inopinée, du western dans tout ça...
Whispering Moon est aussi une réflexion sur l’information, sur la distorsion entre la vérité et ce que l’on dit au public. Le metteur en scène, et scénariste à la fois, joue constamment avec le spectateur tout en lui demandant de réfléchir à la nature même du conte et pourquoi il nous raconte cette histoire. On se demande ainsi si le récit feuilletonesque n'est pas là pour masquer le véritable désir du cinéaste qui serait celui de nous raconter l'amour romantique et sexuel de deux adolescents ou bien au contraire la romance entre les deux garçons servirait de douceur pour nous faire passer son message politique. Satzinger utilise toutes les nouvelles technologies des médias, dans la mesure de ses moyens, pour nous montrer comment nous pouvons facilement être trompés, combien il est facile de modifier les images et les choses pour qu’elles semblent différentes de ce qu'elles sont réellement. Il induit aussi l’idée que le public aime être berné.
On a le sentiment parfois que le cinéaste modifie sa création sur des coups de tête, et donc constamment pour nous rappeler que tout récit cinématographique que l'on accepte au moment où nous le découvrons est en fait toujours une fiction, autrement dit un mensonge.
La passion ludique de Michael Satzinger pour le bidouillage de l’image, avec de fréquentes mises en abyme, l'image dans l'image dans l'image... ne lui fait pas oublier la composition du cadre. La façon dont il filme aussi bien la promiscuité des deux amoureux que leur environnement au cirque (belle utilisation de la couleur) est exemplaire. L’humour est lui aussi présent dans ces recherches formelles. Les dernières minutes prouvent que le cinéaste sait aussi émouvoir.
Tous les acteurs sont impeccables et les deux jeunes héros, dont on sent bien qu’ils se sont donnés sans réserve à cette aventure, sont époustouflants dans leur premier rôle au cinéma.
Michael Satzinger est né à Graz, Autriche, en 1957. Il est diplômé de l'Académie du film de Vienne. À partir de 1987, il a pris la direction des documentaires de la télévision et de la radiodiffusion autrichienne (ORF). En 1988, il est également devenu un des professeurs de l’Ortwein Film School à Graz. Son premier long métrage de fiction, Die Philosophie der Ameise, a été produit en 1990, puis suivent : Zeit der Verwandlung (1995), Glücksritter (1997), Wir Sind Nicht Allein (1998), Das Verlorene Paradies (2000), Die Nacht der Shamanen (2002). Il a fondé la société de production Magic Films en 1994.
Whispering Moon démontre que l’on peut faire avec un petit budget un film inventif lorsque l’on est désinhibé. Ce film à la fois fable politique, film gay, érotique comme peu le sont, flirtant avec le cinéma expérimental, est un hymne à la liberté de création et à la confiance en l’intelligence du spectateur.
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