The Same Guy In Reverse
(ou Le Même à l'envers)
BBJane (a.k.a. Pascal Françaix)
Pour la cinquième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je vous propose un véritable coming-out littéraire en exclusivité, celui de BBJane, de son vrai nom Pascal Françaix (oui, oui, sa sœur a ouvert cette série de billets). Pascal est, pour moi, l'une des plus grandes plumes du fantastique moderne français. La preuve, dans ma vraie vie je l'ai publié et c'est un honneur. Si ce genre de littérature vous titille le cervelet, précipitez-vous sur ses livres (en neuf ou d'occasion pour les indisponibles) ; si vous ne pouvez pas les acheter, volez-les ! J'ai rencontré et bossé avec Pascal avant nos coming-out réciproques. Depuis, il est mon pacsé littéraire. Nous travaillons sur un énorme projet de fantastique gay, nous vous en parlerons sur ce blog bientôt. Et puis il y a BBJane et son blog incroyable : original, barré, cultivé, barge et indispensable. Franchement, et en lisant la suite vous serez convaincu(e)s, mon pacsounet est génial !
Si j’étais hétéro, faudrait déjà que je m’emploie à sortir du placard homo où ma nature profonde croupit depuis des lustres. Vous imaginez pas combien c’est délicat ! les inimitiés qu’on se crée ! les gémonies qu’on vous décoche ! la tronche que vous tirent les copines !..
S’affirmer, c’est toujours trahir. Pour être aimé, restons semblable. À ce qu’on fut ; à ce qu’ « on » croit. Fluctuons pas d’un pouce, revirons pas d’un poil. Si c’est se contredire que d’être, soyons soi qu’avec des pincettes.
Le placard gay, mes biens chères sœurs, il est verrouillé triple tour. Il se défonce pas d’une pichenette. Faut posséder le fort boutoir, maousse et contondant. Quant on a fait péter la lourde, on est pas quitte pour autant. On est suivi par l’ombre rose… la nostalgie du confinement… et puis par la fureur rancuneuse et braillarde des ex co-recluses qui digèrent pas votre escampette…
« Faux derge ! » qu’elles vous gueulent au cul ! « Judasse !.. Lâcheuse !.. Court-au-con !.. »
Vous devenez l’affreux jojo ! Plus question après ça de fouler le même trottoir – on peut toujours courir quand on a pris les clous !... On est banni des vieilles plates-bandes…
N’importe !... La bonne air qu’on respire enfin !..
Ah ! l’Hétéroxygène !.. Epuré de tout miasme ! Ample et revigorant !.. La griserie que l’on s’empoumonne !.. Ça vous tourne un peu la caboche après la claustration, mais à la longue, ça vous requinque !.. C’est pas l’air vicié du Marais ! Ça vous ravive le teint sans fard !..
Si j’étais hétéro, après mon backing-in, je balancerais dare-dare tout mon gay-frusquin aux orties… Pas de tri ! Tout ou rien !... Boy George au dépotoir, et Almond, et Britten !... Je te les vire d’autor de mes étagères à CD !… Vade retro Killie ! Antony ! Jobriath !
Je conserve ma vieille Eartha ?.. un ou deux Judy, pour le fun ?..
Que non ! On pinaille pas ! On bazarde tout comme ça vient !
Dans ma vidéothèque aussi, à tour de biscotos je largue ! Morrissey, Paso, Milligan… Mes Bette Davis, mes Crawford… et tous mes « fantastiques » (on vous l’avait pas dit ? le genre est infesté de queers …)
Mes livres ? Parlons-en pas !.. J’ai de quoi remplir trois décharges !..
J’envoie valser, je garde rien ! Photos, bibelots, lithos ! Tout aux gogues et on tire la chasse !.. Faut surtout pas s’encombrer d’art, ça vous féminise le gingin… c’est du ferment à déconfiote…
Si j’étais hétéro, j’aurais ma mère à dos. La pauvre a jamais pu encadrer les belles-filles, les piffer même de loin. C’est comme qui dirait intrinsèque à sa constitution. Ça lui blêmit les sangs dès qu’elle en flaire une en maraude. Elle ferait quand même un effort, au début, je présume… Un tout petit, pour me complaire… montrer qu’elle se braque pas d’emblée – ça durerait le temps des colchiques, je me fais pas d’illuses…
C’est tellement plus mignon d’avoir un fils en rab ! C’est dans leurs fibres, aux mères… incrusté dans la moelle… À corps à cris, ça veut du fils ! C’est la dévorante appétence ! Jamais trop de rejetons mâles ! Et puis un gendre, l’avantage : c’est pas de la concurrence... Qu’une brue, méfiance ! Ça diffère de grue que d’une lettre ! C’est roué, comme créature ! Ça vous culbute d’un piédestal en deux coups de reins et trois coups de langue…
Si j’étais hétéro, j’en pincerais que pour les lesbiennes. Elles seraient mes proies d’élection, pour le défi qu’elles représentent. Tomber une brouteuse, mes cocos, c’est pas donné au premier gusse ! C’est valorisant, comme exploit ! Faut être le mec plus ultra… outillé spécifique… pas seulement du falzar, aussi du ciboulot… avoir un charme dépotant, à transplanter le Fuji en plein cœur de l’Auvergne…
Les nanas hétéros, c’est pas le même tintouin. Ça s’emballe en un tournemain, suffit de savoir if’. Le vieux couplet fait encore bien l’affaire : un coin de lune, un semis d’étoiles… un bouquet de fleurs bleues vaporisé d’eau de rose… un revenu moelleux et stable… la garantie de l’exclusive… la promesse aussi du marmot !.. et du maire ! ça c’est la cerise !.. vous serez leur Seigneur si vous leur miroitez l’Anneau !..
Ah, non ! C’est trop cafard… et surtout trop facile... Lever ça, autant lever rien… Je préfère aller braconner chez les tribus goudous…
Si j’étais hétéro, je le serais comme une enclume, pour paraphraser qui-sait-bien.
Sorti de ma gouinolâtrie, je serais archi-homophobe.
J’aurais lu Freud et ses séides, je saurais bien qu’on naît tous bis, qu’on devient si ou ça par frousse rétractile devant l’étendue des possibles… Mais je saurais aussi que, quoi qu’on dise et baise, on est moutons de ses options sitôt qu’on les a prises. On est tous réacs et claniques, au sein de nos fières différences comme de la norme hégémonique…
C’est la société qui l’induit… c’est la merde… c’est l’homme…
D’être instruit de ces choses et d’en être si déconfit me rendrait encore plus prosélyte de la connerie.
Je vous l’ai déjà dit : je vomis le juste milieu, les demi-mesures, l’à-peu-presque.
Je serais anti-gay, raciste, misogyne. Inégalitaire au possible. Ami des génocides.
Je donnerais mon avis sur tout, et ce serait le seul qui vaille.
Et comme le Monde court à sa perte à force de se reproduire, je reproduirais mon pareil à couilles rabattues. Une naissance pour chaque coup tiré !.. – au fait : je serais Catholique – benoîtement intégriste.
Si j’étais hétéro, je perdrais mes cheveux et porterais la barbe. Peu soucieux de littérature, j’écrirais sans relâche, des trucs calibrés pour thuner. Je publierais chez Gallimard des romans Harlequin sur des époux qui se séparent et des divorcés qui se remarient. Mes héros seraient cancéreux, psychiatres ou urgentistes. Et vers la cinquantaine, précocement sénile et résolument chauve, je me risquerais à décrire la liaison pornographique d’un auteur vieillissant et d’une illettrée pré-pubère. La bave aux lèvres et les mains moites, je craindrais le scandale mais n’obtiendrais que le Goncourt. Dans les salons du livre, je ferais du gringue aux minettes, et je dédicacerais les strings de leurs mamans.
Si j’étais hétéro – je réalise d’un coup – j’aurais quelques années de moins.
Ça serait bien beau, rajeunir…
Mais je picolerais deux fois plus, ce qui fait que j’irais pas loin.
Suicidaire patenté, malheureux comme les pierres, je serais peut-être plus là pour affirmer que je suis gay…
Au fond, si j’étais hétéro, je serais le même – inversé.
Boy George m’a soufflé la formule (matez la référence !)
It’s the same thing in reverse
Nothing better, nothing worse
Bon, assez palabré… D’ailleurs, je me répète… J’ai noirci trois cents pages, jadis, sur le sujet – et ce fut publié, assure mon éditeur. Heureusement qu’il est là pour m’ôter le doute du pied, parce que si je comptais sur les lecteurs !.. Cahiers-décharge, ça s’appelle. Profitez de la pub : elle est jamais passée nulle part, et sera pas rediffusée…
BBJane (a.k.a.) Pascal Françaix