De l'importance des cadres dans la vie en société. Ou quelque chose comme
ça.
Justine Niogret
Pour la sixième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j’ai le plaisir de vous présenter une des nouvelles passeuses de textes étranges de notre beau pays, un coup de cœur : Justine Niogret. J'ai découvert la prose de Justine il y a quelques mois et son tyle et son imaginaire m'ont électrisé. Je l'ai donc publiée dans ma revue immédiatement. Elle me fait penser à un Ray Bradbury féminin et pervers, à une Poppy Z. Brite moins tourmentée, bref je suis tombé sous son charme vénéneux. Et comme le montre son blog, Justine est drôle, fraîche, un peu barrée et surtout enthousiaste. C'est pour cela qu'elle a dit oui de suite pour tenter cet exercice. C'est aussi pour cela que je l'adore. Comme vous vous laisserez griser par son premier recueil de nouvelles (cliquez sur la couverture en fin de billet)...
Si j’étais homo, ça ne changerait rien.
Voilà, je saute direct à la conclusion, à défaut de mon voisin.
Parce que si j’étais homo, je serais toujours et encore moi.
Mais qu’est-ce qui serait différent ? Parce qu’il faut bien que quelque chose diffère, sinon c’est pas du jeu… Alors je dirais le regard des autres, sans doute.
Parce que c’est ça ce qu’ils (ce qu’on, soyons honnêtes, nous avons tous nos racismes) jugent : les autres. La différence. Sortir du cadre, de leur cadre. Ne pas être la jeune fille trop frêle pour porter ses paquets, ne pas être le frétillant jeune homme qui aime faire porter son propre paquet par les sus-dites jeunes filles, soyons classe, les enfants sont couchés.
J’ai toujours été dans le monde d’entre les cadres, dans l’entredeux, à défaut de l’entrefesson. Trop virile de caractère pour être une « vraie » fille, trop assurée pour ne pas être, comme on me l’a si joliment fait remarquer, gouine.
Et curieusement, trop féminine aussi ; trop femme physiquement pour ne pas être une conne, trop grande gueule pour ne pas être, au fond, stupide, trop indifférente pour ne pas être jalouse en secret, trop passionnée pour ne pas être, honte suprême, mal baisée.
Toujours et encore cette même brochette de conneries depuis que je suis née, une fille qui crie est une chieuse, un garçon qui couine a du caractère, vous connaissez le refrain aussi bien que moi, tous en chœur ad nauseam.
Je me souviens de la honte de certains garçons après que je les ai massacrés à la console devant leurs potes. Je me souviens du rire vite étouffé du garagiste quand j’ai acheté une ligne d’échappement pour ma moto et que j’ai refusé ses services parce que « non merci, je saurai l’installer toute seule. » Je me souviens du papier de l’agence immobilière quand j’ai acheté ma maison, ma maison à moi. Monsieur. Monsieur Justine Niogret, tout simplement parce que quand on achète une maison, on ne peut être que Monsieur. Je me souviens de la réflexion d’un Monsieur, justement, après la lecture publique d’un de mes textes : « Vous écrivez comme un homme. » Ben tiens. Je n’ose imaginer la tête du crayon.
Alors voilà, conclusion, comme promis plus haut, ça ne changerait rien.
Parce que pour ceux qui vivent, qui existent, qui se réjouissent du monde et qui me font la grâce d’être mes amis, ça ne changerait rien.
Et pour les autres, ceux qui poussent en pot, ceux qui ferment très fort les yeux pour ne rien voir et
qui me font la joie quotidienne de ne pas me fréquenter, ça ne ferait qu’une insulte de plus. De gouine à pédé, la différence ne serait pas notable.
Mais.
Si j’étais homosexuelle, je voudrais être un garçon.
Parce que quelque chose me dit qu’avec, en gros, les couilles de mon caractère, ma façon d’être passerait mieux. Et puis je n’y peux rien, les corps de femme ne sont pas mon truc. J’aime les hommes, le genre de garçon qui ont de jolies hanches fermes qu’on peut tenir dans deux mains, des joues mal rasées et des yeux de petits ange salaud à qui on a envie de casser la gueule. J’aime les cheveux en brosse et la courbe, là, entre l’oreille et la pointe de l’épaule, touchante à pleurer quand elle est nue.
Je serais James Hetfield pour avoir sa tête de monstre méchant, le droit d’être laid, poilu, barbu, de me cuiter autant que j’ai envie. Je me trimballerais en salopette de redneck immonde, je ferais de la musculation jusqu’à en avoir des vergetures et je me ferais tellement pousser les pattes qu’on se demanderait si j’ai encore des joues en dessous. Je serais tout ce qu’on m’a interdit d’être parce que je suis née avec une zizette au lieu du matériel adéquat. Oh, et j’aurais un chien, un chien aussi con et laid que moi.
Et au niveau fesse (puisqu’on est aussi là pour parler matos), je me taperais des mecs sans doute mieux dans leurs pompes et leur calbute que l’hétéro moyen. Un peu plus curieux, un peu plus tenaces, un peu plus dégourdis et un peu moins timides. Plus joueurs. Des mecs qui se sont rendu compte que leur corps n’avait pas qu’un seul point où appuyer pour lancer les feux d’artifice, et que toute exploration n’allait pas leur faire tomber les oreilles. Ceux-là, comme le remarque ce distingué Gentleman dans Robocop, j’en prendrais pour un dollar. Voire plus.
D’un autre côté… Moi, avec mon minet au bras, végétarien, artiste et gentil avec les animaux, même avec une gitane maïs pourrie entre les dents, on finirait bien par me traiter de gonzesse, je le devine.
Justine Niogret
(blog : http://www.justineniogret.com/, MySpace : http://www.myspace.com/justineniogret)