De ce roman érotique chinois, il n'y a que la réputation sulfureuse qui soit absolument certaine : les experts se disputent pour dater le texte : fin de la dynastie Ming, ou bien dynastie Qing ? En langage courant : maxi. XVIIè s., ou bien quelque part entre la fin du XVIIè s. et le début du XXè s. ? Cette édition penche pour la première hypothèse, et j'avoue qu'à la lecture, en observant les codes, les tournures langagières, les répétitions voulues... sans rien connaître à la littérature chinoise, je penche aussi de ce côté.
Deux éditions du texte existent mais c'est le même texte. La traduction me paraît ici de qualité, et la présentation se veut sérieuse, voire austère. C'est qu'il faut prendre de grands airs pour annoblir un texte aussi polisson, sans doute. Du moins est-ce une conviction répandue chez les gens qui ne sourient pas en écrivant. :)
L'auteur n'est pas identifié, mais le narrateur signe à la fin de son récit : « Moi, Xian Chuan, ai trouvé cette histoire étrange en feuilletant les chroniques et vous l'ai racontée pour que jamais elle ne se perde. »
Belle de Candeur se veut donc la chronique officieuse, l'archive historique des faits méconnus qui expliquent l'Histoire avec un grand H. En effet, tout le récit s'appuie sur des grands faits historiques de la "période des Printemps et des Automnes" (722-481 av. J. C.) et d'importants personnages de l'Histoire chinoise prennent part dans l'action. On pourrait croire dès lors que le récit n'est que de l'Histoire romancée, avec quelques saupoudrages d'érotisme par-ci par-là. Mais Belle de Candeur érige l'érotisme en véritable art de vie, et Su E, alias Belle de Candeur, alias dame Xia, alias Yunxiang en est l'incontestable impératrice.
Eduquée dès l'adolescence aux subtilités du sexe par un immortel qui lui est apparu en songe, Belle de Candeur possède l'art de "resserrer sa vallée" et d'aspirer les forces de vie de ses partenaires. Et comme ceux-ci seront nombreux dans ces 178 pages, et plus vaillants les uns que les autres (du moins avant de dépérir, pour la plupart dans des circonstances honteuses), Belle de Candeur sera à cinquante-quatre ans et après un enfant aussi belle, aussi fraîche et aussi "étroite" qu'à seize. Ce qui attise les convoitises, vous l'imaginez bien.
Le récit vaut pour la variété des scènes, mais aussi pour son appui subtil sur l'Histoire chinoise. Vers les deux tiers du volume, on s'émerveillera du passage de deux hommes dépravés aux enfers... mais qu'on ne s'inquiète : Belle de Candeur, elle, restera impunie pour sa vie de luxure. Mieux : elle accède elle aussi au statut des immortels.
L'érotisme asiatique est décidément une curiosité. Si vous cherchez l'excitation, peut-être la trouverez-vous, ou peut-être pas. La tradition érotique française me semble décidément beaucoup plus "efficace" sur ce plan, tout en étant d'un incontestable intérêt littéraire.
179 pages, coll. Picquier poche - 7€