Les héros mythiques ont la particularité d’échapper à leurs créateurs. Pour les 80 ans de Tintin, le 10 janvier dernier, un journaliste britannique semblait découvrir et pouvoir prouver l’homosexualité du héros d’Hergé. Vingt après Gai Pied, le mensuel Têtu titre à son tour sur « le Dieu Alix » et de revenir sur le « fantasme » d’Alix. C’est la polémique du mois … Récemment, le très sérieux quotidien britannique, the Times, donnait feuille blanche à Matthew Parris, ex député, aujourd'hui journaliste. L’ancien activiste, défenseur des droits des personnes LGBT outre-Manche, signait le 7 dernier un article intitulé "Bien sûr que Tintin est gay, demandez à Milou. » Le coup médiatique a été réussi puisque le 10 janvier, le jour anniversaire des 80 ans de Tintin, toutes les rédactions ne parlaient que de cela… Pour s’en offusquer bien sûr jusqu’à aller – le Figaro – interroger un psychiatre.
Serait-ce finalement indigne pour un héros mythique d’être gay ? Ou est-il nécessaire de trouver dans des héros pourtant totalement dénués de sexualité un porte-drapeau à une sexualité différente ? Nous sommes en 2009 et le sujet semble toujours aussi polémique, à voir le nombre de réactions sur les différents sites évoquant cette question.
Quelques jours plus tard, le magazine Têtu s’intéresse à un autre héros, Alix, qui vient de fêter ses 60 ans. Dans son numéro du mois de février, le mensuel de Pierre Bergé qui s’affichait jusqu’à récemment comme le magazine des gays et des lesbiennes, ouvre sa rubrique littéraire à « Alix, gloire et beauté ». Dans son article d’une page, le chroniqueur Michel Olivès effleure délicatement le sujet de l’homosexualité, jamais nommée, des deux protagonistes de la série. Il suggère en fait qu’Alix et son compagnon Enak ont fait et font fantasmer des générations d’amateurs de bande dessinée. Comprenez les hommes qui aiment les hommes. La citation mise en exergue de Jacques Martin résume toute l’intention de l’auteur de l’article : « ces deux personnages, j’en conviens, peuvent se prêter à toutes sortes d’interprétations.» Enak et Alix © Christophe Simon – Jacques Martin ; Alix nu © Jacques Martin
Là encore rien de nouveau sous le soleil. Le 30 janvier 1988, le journal Gai Pied mettait à nu Alix dans son numéro 315 et dévoilait d’ailleurs beaucoup plus que l’anatomie de l’illustration ci-contre. L’hebdomadaire homosexuel donnait déjà l’occasion à Jacques Martin de répondre au fantasme que suscite ses personnages parmi les gays et de démontrer une tolérance non feinte. Et pour le 50e anniversaire d'Alix, Marianne (numéro 84 du 30 novembre 1998) titrait « Alix, quand la censure d’hier ravit les gays d’aujourd’hui» et rapportait les « sous-entendus graveleux » autour du gallo-romain et son ami égyptien. Et l’éditeur – Dargaud à l’époque - d’expliquer que dans le contexte de la création de la BD – les années 50 -, cette relation n’avait rien d’équivoque... De fait, ces approches polémiques, génératrices d’audience, servent aussi à toucher un public ciblé. Après tout, que la série Alix plaise aux hommes sensibles aux charmes masculins est un argument markéting. Et d’ailleurs, le tandem composé du dessinateur Christophe Simon et du scénariste Patrick Weber réussit dans le dernier épisode, le Démon du Pharos, à renouveler le plaisir de lire cette série, en capitalisant sur toutes les ambigüités historiques et esthétiques des relations entre les personnages…
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Merci à Stéphane Jacquet pour son aide bibliographique. Je vous invite aussi à lire l’article sur ce thème publié par le Site des Enfants d’Alix.