Quelle femme ne s’est pas sentie « toute entière à sa proie attachée » ? Quel homme n’a-t-il pas vécu « ce terrible moment où tout l’être frémit entre l’existence et le néant » ? Les terres volcaniques de la passion n’ont cessé d’attiré les amants, animés de ce désir fou de vivre « un beau conte d’amour et de mort ».
Nicole Avril, elle aussi, n’a pas résisté a l’appel et a plongé dans l’Abîme, telle Persephone en Enfer, pour en faire remonter quelques pépites incandescentes dans son « Dictionnaire de la passion amoureuse ».
Après avoir été souffrance et martyr pour les Chrétiens, maladie pour les Anciens, « délicieuse catastrophe » pour les chevaliers de l’Amour Courtois, la passion devient, dans les mains des grands écrivains classiques et dans la vie des artistes du XX siècle, l’instrument du Destin, de la Tragédie et de la Mort. Avec son abécédaire personnel , Nicole Avril explore les mythes qui la fondent (l’androgyne de Platon, Tristan et Iseut, Heloise et Abelard) et les étapes qui la révèlent (du coup de foudre au baiser en passant par les affres de l’attente). Pour cerner le mystère, elle appelle Flaubert, Barthes, La Rochefoucaud.
A travers les histoires d’amour romanesque (Docteur Jivago, Anna Karenine…), et celles de couples connus (Frida Khalo, Camille Claudel et Rodin, Dora Mear et Picasso, Verlaine et Rimbaud), Nicole Avril montre que dans le mécano universel, les pièces du jeu semblent se chercher sans jamais se trouver. Quand elles se trouvent, comme dans Belle du Seigneur, les amants se coupent du reste du monde, et une fois seuls avec leur amour, ils ne peuvent que devenir les victimes d’eux même, jusqu’à l’épuisement et la mort. La passion est donc bien différente de l’amour, tant l’autre n’est souvent que « l’instrument de sa propre névrose passionnelle », tant on aime plus sa passion (cette « brûlure suave » qui nous fait délicieusement souffrir) que cet autre que l’on possède. Mieux, la passion érotique mène au cannibalisme et au meurtre rituel (L’empire des sens, La femme d’à coté). Dominique Aury a écrit « la plus farouche lettre d’amour qu’un homme ait jamais reçue » avec Histoire d’O, dans laquelle l’héroïne est « la victime consentante », « l’esclave de son propre chef » à son maître. Elle s’abandonne à lui comme on s’abandonne à Dieu. La voie de l’anéantissement qu’elle choisit est comparable aux pratiques mystiques qui mènent à l’extase.
Toutes ces histoires à faire frémir sont-elles hors du temps ? D’une autre époque ? Non, nous n’en avons pas fini avec la passion, clame Nicole Avril! On peut la remercier, au temps de l’amour sur Internet, de la remettre au cœur de nos vies, comme quand Roland Barthe dans ses « Fragments du discours amoureux » voulut faire de « la sentimentalité de l’amour » un choix assumé « par le sujet amoureux comme une transgression forte. »
Oui, dit-elle, nous seront toujours fascinés par ce vieux mythe sulfureux et criminel. Nous sommes des voyeurs en puissance, qui boivent le sang des faits divers. Nous avons besoin de nous nourrir de la passion des autres et de celles d’écrivains et artistes, qui eux ont défailli et eu le pouvoir de laisser des traces de la déflagration qui a eu lieu. Oui, nous pouvons tout un chacun nous retrouver au cœur des flammes. Mais n’y a-t-il donc pas un salut ? Doit-on nécessairement s’anéantir pour vivre une passion ? Sommes nous condamnés à ne vivre que des amours tièdes ? La passion n’est-elle tout de même pas un ressort de l’amour ? Oui, dit Nicole Avril, dans un murmure… Il arrive que les amants fassent évoluer leur passion vers l’amour. Rêvons alors de ressentir tels Jivago et Zara «le sentiment bienheureux » que l’amour « façonne la beauté du monde » et d’avoir ce « rapport profond avec l’ensemble, avec toute la beauté, avec l’univers entier ». Faire l’amour au bord du gouffre, dans la grâce et la danse de la vie.
« Le dictionnaire de la passion amoureuse » de Nicole Avril. Editions Plon, 2006
Chronique parue sur le bimensuel littéraire (en kiosque) le magazine des livres de Mars 2007
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