L'AMOUR DU RISQUE POUR MIEUX RISQUER, LE RISQUE POUR S'AIMER" Voilà ce que Jonathan et Jennifer Hart proposaient dans les années 80 comme modèle pour une vie de couple épanouie aux adolescents accros à “Dimanche Martin”. Devenus trentenaires – et homos –, ceux-ci ont-ils subi la mauvaise influence de la devise des “risque-tout de la justice et de l’amour” ? ou, pour être plus sérieux, existe-t-til une culture du risque chez les gays?
Sauter à l’élastique du pont du Gard, faire du ski hors piste, dépasser les limitations de vitesse n’est pas le privilège des gays.
Inversement, doter son véhicule d’un système de freinage ABS, protéger son ordinateur avec les antivirus les plus performants, sélectionner les compagnies aériennes en fonction de la sécurité qu’elles offrent à leurs passagers, manger bio, n’est pas le privilège des hétéros. Lorsqu’on parle de culture du risque chez les gays, il faut ainsi immédiatement rappeler que l’on parle avant tout de culture sexuelle. Prendre des risques fait partie intégrante de la vie. Si le corps social, nous dit-on, souhaite de plus en plus de sécurité, les invitations au dépassement de soi sont omniprésentes, que ce soit dans les slogans publicitaires, les compétitions sportives, ou les entreprises.
C’est en prenant des risques que l’on apprend, que l’on progresse, et que l’on réussit. Peut-on dès lors reprocher à une population de se laisser influencer par cette culture ambiante, qui pousse à toujours aller au-delà ? La culture (libérale) de la prise de risque n’aurait-elle de vertus que dans le domaine économique – le culte de la performance sportive en faisant partie intégrante –, à l’exclusion donc du champ de la sexualité ? Difficile d’imaginer de telles barrières et de faire croire que ce qu’on loue d’un côté est condamnable de l’autre.
Les apôtres de la liberté sexuelle, les chantres du plaisir et autres glorificateurs de la jouissance à tout prix n’ont aucun mal à trouver leurs arguments. En condamnant les homos à utiliser le préservatif, on ne cherche pas à les protéger d’une maladie qui aujourd’hui se traite, et de mieux en mieux, mais simplement à empêcher la jouissance, une jouissance que la société considère comme pêcheresse : esclaves, libérez-vous de vos entraves, baisez comme bon vous semble !
Fiers d’appartenir à une communauté qu’ils croient empreinte d’hédonisme, les gays tendent une oreille d’autant plus attentive qu’ils connaissent, mieux que quiconque peut-être, le goût particulier du risque.
L’homo fait en effet vraisemblablement plus que tout autre,et à des périodes charnières de l’existence, l’expérience du risque : le risque d’être “démasqué”, quand, à l’école, il se découvre une attirance particulière pour son camarade de classe, le risque d’être dénoncé quand, acceptant cette attirance, il ose en parler à ce même camarade (ou un autre), le risque d’être exclu lorsqu’il décide d’en parler à ses proches. Expérience du risque mais également expérience de la transgression, quand pour la première fois, il entre sa langue dans la bouche d’un garçon, puis son sexe dans une bouche, son sexe dans un cul. Première fellation, première pénétration, la première expérience sexuelle, chez les gays, a ceci de particulier qu’elle mêle définitivement plaisir, risque et transgression. En s’adonnant aux rapports non protégés, les homos seraient-ils ainsi en quête de cette expérience fondatrice de leur sexualité ?
Difficile de répondre. Lorsqu’on interroge les gays dans des enquêtes, la majorité d’entre eux dit ne pas avoir l’intention de prendre des risques. Pour autant, les mêmes avouent prendre des risques dans certaines situations : influence des drogues, périodes de déprime, sentiment amoureux, excitation trop forte…
On est finalement assez loin de la recherche d’un surplus de plaisir qu’apporterait l’abandon du préservatif. Il faut évidemment prendre avec certaines précautions les résultats de ces diverses études (les répondants sont-ils représentatifs de la communauté et de ceux qui prennent réellement des risques ? chacun a-t-il conscience des moteurs qui animent ses prises de risque ?), et il serait sans doute naïf de nier la part de plaisir liée au risque de contamination lors d’un rapport non protégé. Mais dans la plupart des cas, ces prises de risque s’apparentent plus à un petit jeu avec les règles établies qu’à une véritable mise en péril. Le refus de tout rapport sexuel avec une personne séropositive, chez de nombreux gays, suffit à mesurer à quel point ceux-ci ne sont pas prêts à jouer avec le risque de contamination.
N’oublions pas que les pratiques (homo)sexuelles sont variées et que nombre d’entre elles font du risque et de la transgression un moteur de plaisir : draguer dans les sablières, se faire sucer dans les bosquets, s’adonner aux plans scénars, uro, SM, etc., l’imagination des gays est suffisamment riche pour accéder à une jouissance où risque et transgression ont leur part. Nul besoin d’abanbonner le “safer sexe” pour mieux jouir. Et c’est là sans doute, dans le même temps, que cette culture du risque peut avoir une influence plus insidieuse sur les comportements. À voir se répandre autour de soi ou à pratiquer la baise en backroom, le sexe hard et SM, le fist fucking, et autre lopage, on finit par minimiser, à tort, le risque que fait courir une “simple” pénétration anale non protégée avec un partenaire rencontré au détour d’un dîner entre amis. On est toujours prompt à penser que le risque est ailleurs.
Si l’on peut sans doute parler de culture du risque chez les gays, en déduire trop rapidement qu’en découle une culture du rapport à risque serait une erreur. N’oublions pas que la majorité des gays, aujourd’hui encore et fort heureusement, utilise des préservatifs. On ne saurait en dire autant des hétérosexuels, pour lesquels il ne me semble pas avoir entendu parler de culture du risque. N’oublions pas non plus que le recours à des techniques de réduction des risques, quoi que l’on pense de celles-ci, a pour but de réduire les risques de contamination chez ceux qui feraient le choix d’abandonner le préservatif, non de permettre plus de plaisir grâce à la prise de risque. Sans nier la tendance actuelle des gays à un relâchement de leurs pratiques de prévention, faire circuler l’idée qu’il s’agit là d’un trait culturel peut s’avérer contre-productif : en créant un lien entre identité homosexuelle et pratiques à risque, on finit par faire croire à une population souvent en quête de repères identitaires que ces pratiques sont communes, banales, anodines ; laissant penser qu’utiliser un préservatif serait désormais ringard. En outre, un certain fatalisme pourrait en découler ; il serait dès lors prétentieux, de la part des acteurs de la prévention, d’entendre changer une culture dominante. À quoi bon mener encore des actions de prévention au sein d’une population (sur)informée et jouant avec le risque de contamination ?
Qui n’a pourtant entendu un ami, un ex-amant, un copain de comptoir, un contact de chat, lui raconter comment ça lui est arrivé, sa séropositivité, en arrêtant le préservatif sans faire de test avec son nouveau mec (par amour ou précipitation), en pensant que si le partenaire d’un soir ne proposait pas de capote, c’est qu’il était séronégatif, parce que le mec avait bonne réputation – pas un noceur, ni un baiseur –, parce que ce soir-là, il avait envie d’oublier, de se laisser prendre au jeu d’une excitation sans contrainte… Combien de contaminations par volonté de jouissance pour combien de contaminations pour une erreur d’un soir ?
C’est pourquoi agir contre le relâchement des comportements, aujourd’hui, au-delà du maintien de campagnes d’appel à la vigilance, ce doit être informer chacun des risques de dérapage, des influences qu’il subit, conscientes ou inconscientes, et des situations de fragilité qu’il peut rencontrer. L’une d’entres elles est bien connue : l’amour, celui qui pousse à faire confiance, à vouloir tout partager, et à se croire à l’abri. C’est sans doute à cette occasion qu’il faut se rappeler qu’aimer, c’est intrinsèquement prendre des risques : risque de déplaire, risque de décevoir et d’être déçu, risque d’être abandonné. Parce que lorsqu’on aime, on s’expose aussi au manque de l’autre, au manque d’amour de l’autre, à son jugement, les sources d’une mise en péril de soi sont suffisamment nombreuses, dans la relation amoureuse, pour générer, tout en restant safe, envahissements incontrôlés, bouillonnements intérieurs, et décharges expansives.
source : http://www.prendsmoi-mag.fr/
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