J'ai su bien avant mon fils qu'il était gay : "savoir" n'est pas le bon mot, disons plutôt que je l'ai "senti", avec ce sixième sens typique de la gente féminine exacerbé par l'instinct maternel; non pas que mon fils soit "efféminé" (selon les clichés du "monde hétéro"), non, sans contre-façon, il est un garçon !
Il a toujours été un garçon brillant, à l'intelligence vive et au tempérament de leader; séducteur, les garçons le respectaient et les filles tombaient en admiration devant lui.
Puis il commença sa première année de DEUG (sociologie option ethnologie) à l'université Lyon II; très vite il se replia sur lui-même, devint sombre, lui d'habitude si volubile et enjoué devenait de jour en jour l'ombre de lui-même; j'essayais de lui parler, je lui tendais des perches : "Qu'est-ce qui te tourmente? tu as quelque chose à me dire ? tu veux m'avouer que tu es gay, c'est ça ? Et alors, c'est pas la fin du monde ! Où est le problème? Tu te transformes en adulte, c'est très perturbant, mais sache que la seule chose qui ne changera jamais c'est que je suis ta mère et que tu es mon fils : tout le reste, c'est de la pâtée pour chat!", mais il ne répondait rien, les yeux perdus dans le vague, il se fermait; nous qui étions si complices en tout, le courant ne passait plus... Je commençais à me demander si ses tourments ne venaient pas de problèmes vraiment graves, si mon instinct ne m'avait pas trompée, cette fois-ci...
J'en parlai à des amis autour de moi; tous me conseillèrent de patienter, que peut-être que tout simplement il se rendait compte qu'il se trompait de filière (comment cela pouvait être possible, lui qui, à 5 ans, le dimanche, nous demandait de l'emmener au Musée de l'Homme?).
L'année universitaire se termina, alors que moi je débutais une formation professionnelle pour adulte, dans le cadre d'un reclassement COTOREP, car mon état de santé ne me permettait plus de continuer mon activité d'auxiliaire de vie et ma formation d'aide-soignante; habitant à 40 km de l'agglomération lyonnaise et devant emprunter les transports en commun (car ma petite Fiat 126 n'avait pas résisté à mon travail d'auxiliaire de vie), je devais m'absenter de la maison 12 heures par jour, en laissant derrière moi un fils qui semblait sombrer un peu plus chaque jour dans la dépression; enfermé toute la journée dans le noir, allongé sur son lit, il écoutait et réécoutait Nirvana pendant que moi je priais les Instances Supérieures, dans le bus-express qui m'emportait sur l'autoroute, que son admiration pour Kurt Cobain ne l'incite pas à commettre l'irréparable...
Grandir est certainement l'épreuve la plus terrible qui soit, pour les parents aussi; il est tant aisé de soulager les peines et les blessures de nos enfants petits, mais, dès qu'ils entrent dans l'âge adulte, leur bien-être et leur bonheur ne dépendent plus de nous... On doit s'adapter, rebondir, chasser ce sentiment d'inutilité et apprendre à être simplement là, à l'écoute, et attendre...
Dans cette attente, je me mis à lui en vouloir de ne pas se confier, et, surtout, de ne pas s'accepter dans le cas où mon instinct ne m'aurait pas trompée...
La parabole du chocolat
Quand mes fils étaient plus jeunes, à leur entrée dans la puberté, nous discutions beaucoup des "choses de la vie", amour, sexualité, homosexualité; j'ai toujours mis un point d'honneur à inculquer à mes fils des valeurs universelles de tolérance et de respect à l'égard de tous les individus de la création (nous faisons tous partie de la même création); nous habitons dans une ville nouvelle, où, peu à peu, une espèce d'esprit communautaire s'est installé, frappant d'alignement le peu de conscience éclairée qui subsistait tant bien que mal; racisme, ostracisme, sexisme, bref, tous les schismes des démons séculaires de l'humanité ont envahi peu à peu notre espace de vie...
Quand ils me posaient des questions sur l'homosexualité (car les insultes homophobes fusaient dans les cours de récréation), je prenais pour exemple le chocolat : le plus grand nombre d'entre nous adore le chocolat, ce qui correspond à une "normalité" régie par la loi du "nombre", cependant, il existe des personnes qui ont une aversion profonde pour cette friandise, c'est comme ça, on ne peut pas l'expliquer, les goûts et dégoûts sont gérés par notre système hormonal comme notre sensibilité, nos émotions, etc... Il en est de même pour la sexualité, et, quoi que nous réserve Dame Nature, le moins que nous puissions faire est de l'assumer, et de la remercier d'être venu au monde avec un capital santé intact ...
Ce n'est qu'après sa deuxième rentrée universitaire que mon fils me parla enfin; j'ai compris, avec le recul, qu'avant de pouvoir le formuler avec des mots, il a d'abord eu besoin de se l'avouer à lui-même.
On ne choisit pas sa sexualité, et nous ne sommes pas propriétaires de la vie de nos enfants; nous n'en sommes que les dépositaires, nous n'en possédons nullement l'usufruit... En tant que parents, nous ne pouvons que les laisser vivre leur vie, partir à la quête de leur propre "graal", les laisser faire leurs propres erreurs afin qu'ils puissent en tirer leurs propres leçons, et, surtout, les soutenir envers et contre tout (et tous), et, aussi, les laisser tomber pour leur apprendre à se relever en les aidant autant et aussi longtemps qu'il nous est possible de le faire.
A l'instar de mon amie sur facebook, Léa Duffy, je dis et je répète que l'homosexualité n'est pas une maladie, ni une tare, ni une perversion, ni une déviance mais une sexualité différente de la "normalité" régie par la loi du nombre.
Aujourd'hui mon fils a une vie comblée et très équilibrée, il aura 26 ans le 16 juin prochain et vit à Strasbourg; c'est un individu accompli et responsable, il partage sa vie avec un garçon aussi bien que lui, je dois faire la connaissance des parents de mon gendre dans le courant de l'été, et, peut-être qu'un jour nous aurons le bonheur de lier nos deux familles par un mariage à la mairie ...
LES COMMENTAIRES (3)
posté le 22 avril à 21:34
Je suis dans le meme cas que vous, moi aussi j'ai toujours su (bcp plus jeune d'ailleurs) et le plus beau cadeau qu'il m'a fait, c'est le jour où il m'a invitée au resto pour me dire qu'il était amoureux ... d'un homme !
si tous les parents du monde pensaient comme nous alors tous les gay du monde seraient heureux !
posté le 14 février à 15:55
bonjour
j'ai lu avec attention votre courrier et je l'ai trouvé sensé et plein d'amour etant gay, effectivement on ne se choisit pas on révele ou plutot la sexualité masculine se revele d'ou un temps pour l'acceprter puis l'assimilier afin de pouvoir le dire "yes, i'm gay" chérissez le bonheur de votre fils et il vous sera éternellement reconnaissant
sébastien
posté le 23 janvier à 13:57
Joli message de tolérance. Les mères devraient lire ce genre de choses plus souvent^^ Vous êtes une femme vraiment bien^^ Félicitations.