Le Parlement du Portugal vient de voter en première lecture une loi permettant aux couples de mêmes sexes de se marier. Une telle évolution dans un pays plutôt réputé pour ses mœurs catholiques (l’avortement n’a été autorisé qu’en 2007) ne peut laisser de marbre. Les Pays-Bas avaient ouvert la danse en 2001, ils ont été depuis suivis par la Belgique l’Espagne, le Canada… Rien ne semble arrêter l’irrésistible déferlante arc-en ciel : elle se propage dans l’ensemble des pays développés mais perce également dans les pays du sud, tels l’Afrique du Sud, le district de Mexico ou l’Uruguay. Les législations placent le curseur plus ou moins loin selon les pays : certains n’autorisent que le mariage, d’autres permettent également l’adoption d’enfants.
Dans ce contexte, la France apparaît pour l’instant comme un îlot stable depuis le compromis qu’elle a trouvé avec le Pacs. Ce nouveau contrat, qui avait provoqué d’ardents débats, est désormais complètement intégré dans le paysage juridique et familial, comme le prouve son « succès » croissant. Lors des derniers chiffres du recensement, l’Insee a compté 175 000 Pacs signés en 2009 (chiffre se rapprochant des 260 000 mariages). Mais la part des Pacs signés par les couples de même sexe est devenue ultra minoritaire (5%).
La perception de l’homosexualité a considérablement évolué dans la société française. Au point d’être mûre pour franchir une nouvelle étape ?
Une sortie du placard sous l’œil tolérant des Français
Il s’agit d’une tendance lourde : l’homophobie s’est effondrée. L’évolution des chiffres est assez spectaculaire : la minorité de Français (24%) qui pensait en 1973 que « l’homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité » est devenue largement majoritaire (78%), selon un sondage Ifop. Entre temps, la législation a accompagné ce bouleversement des mœurs : l’homosexualité a été dépénalisée (1982), retirée des maladies mentales par l’OMS (1990), avant de bénéficier d’un cadre législatif pour protéger les conjoints par le biais d’un Pacs (1999).
Cette évolution n’est pas exprimée qu’in abstracto : l’intrusion de l’homosexualité dans le quotidien est également mieux perçue. Le baromètre des valeurs, réalisé tous les 10 ans et mesurant notamment le regard des Français sur les minorités, a enregistré cette mutation. Un prisme est utilisé pour déterminer le rejet de l’autre : celui du voisinage. Ainsi, la part des Français déclarant qu’ils n’aimeraient pas avoir pour voisin des homosexuels est devenue résiduelle : elle est passée de 24% en 1990 à seulement 7% en 2008.
Quant aux signes d’affection démonstratifs en dehors de la sphère privée, ils sont également mieux admis. Selon Ipsos, une majorité (55 % +19 en 8 ans) n’est ainsi pas réticente aux baisers donnés en public.
Ensuite sur la délicate question de l’acceptation d’une éventuelle homosexualité de ses enfants, selon la Sofres, l’esprit de tolérance guide là-encore les Français dans leurs réponses. La très grande majorité l’accepterait sans intervenir :
- soit cela ne les gênerait pas (32%) ;
- soit ça leur ferait de la peine mais ils le laisseraient vivre comme il veut (51%).
Ces chiffres restent bien évidemment de l’ordre du déclaratif, mais ils illustrent néanmoins que l’évolution opérée dans les esprits ne concerne pas que l’homosexuel chez le voisin mais également celui vivant au sein de son propre foyer.
Une société désormais prête à entendre « je vous déclare mari et mari »
Chaque sondage confirme et amplifie le degré d’adhésion des Français pour le mariage gay. Selon un sondage BVA réalisé en novembre 2009, 64% y sont aujourd’hui favorables.
En revanche, une rupture s’observe sur la question de l’adoption par des couples homosexuels. En effet, très minoritaires en 1998 (28%) lors du débat sur le Pacs à partager cette opinion, les Français sont aujourd’hui majoritaire s(57%, +9 points en 3 ans) à y adhérer. Cette question dessine des clivages importants, les plus progressistes sur ce sujet étant les moins de 35 ans, les électeurs de gauche et les femmes.
Alors que 40 000 enfants seraient actuellement élevés par des couples de même sexe, la loi n’a pas bougé d’un iota. Seule la justice, sous l’impulsion de la Cour européenne des Droits de l’Homme, infléchit sa position. Ainsi, elle a accordé en novembre dernier l’agrément d’adoption que refusait le Conseil général à deux lesbiennes.
Un projet devant resté dans les cartons pour la droite
L’introduction de ce débat dans le calendrier médiatique placerait la majorité dans une situation inconfortable. En effet, les sympathisants de gauche sont franchement majoritaires à se prononcer en faveur du mariage et du droit à l’adoption (respectivement 75% et 71%) : ces propositions figuraient d’ailleurs dans le programme de la plupart des candidats de gauche en 2007, faisant régner un certains consensus. La gauche apparaîtrait rassemblée.
Au contraire, l’UMP aurait tout à perdre dans un tel débat :
- En termes d’unité : il pourrait creuser des divisions. Sur la question de l’adoption, le rejet de ses électeurs est assez net (37% seulement y sont favorables), tandis que la minorité favorable au mariage gay n’est pas négligeable (42%).
- En termes d’image : un éventuelle prise de position conservatrice pourrait ringardiser l’UMP aux yeux de certains de ses électeurs, notamment les jeunes.
- En termes électoral : si au contraire, l’UMP faisait un pas en avant, cela réjouirait Philippe de Villiers et le Front national.
- En termes d’impact populaire : dans un débat de société de cette nature, tous les Français sont susceptibles de se forger une opinion. Autant, comprendre les enjeux et émettre une opinion sur le grand emprunt, sur la taxe carbone nécessite un minimum de connaissance du dossier, autant la thématique des droits homosexuels apparaît, tout du moins en apparence, moins abscons et plus accessible. La faiblesse du nombre de personnes (0% et 2%) n’ayant pas exprimé d’opinion aux questions de ce sondage est à ce titre révélatrice.
Dans ces conditions, on comprend le peu d’empressement du gouvernement pour mettre en place l’union civile, mariage qui n’ose dire son nom, promise par Nicolas Sarkozy dans son programme présidentiel.