Ces vers, ô combien, affligeants du chanteur Guy Béart montrent bien à quel point chanson et homosexualité ont rarement fait bon ménage pendant longtemps. D'ailleurs, dire que les temps ont changé, c'est un peu se précipiter. L'homophobie tranquille régna sur le monde de la Chanson pendant trop longtemps. On pense aux propos de Jacques Brel qui trouvait que les homosexuels avaient l'amusement triste. Le pauvre n'avait pas encore mis les pieds dans une Gay Pride...et pour cause, en Europe, à son époque, ça n'existait pas encore. Heureusement, Aznavour, Dalida, dans la langue de chez nous, à défaut de faire pleinement évoluer les choses, ouvrirent des lucarnes, des possibilités. Serge Gainsbourg disait qu'il fallait tout chanter : la modernité, l'argent, le béton. Il fallait aussi chanter la pluralité des sentiments, troubles ou pas. Si les artistes cités précédemment l'ont fait par petites touches, c'est Jean Guidoni, clairement homosexuel, qui fera une révolution. Qui l'écartera pour toujours d'une grosse partie du milieu de la Chanson (car opinions de gauche et homophobie ne sont pas incompatibles et aux dires de plusieurs témoignages, sont aussi courants dans le milieu de la Chanson). Puis au Jean Guidoni des années 80 (époque d'une Farmer à l'univers fortement crypto-gay) succède des artistes ambigües, voire franchement gays ou lesbiennes : Nicolas Bacchus, fin des années 90, Juliette (pas Gréco, l'autre, hein?), Indochine, Laurent Viel etc...qui se chantent, chantent ceux et celles qui leur ressemblent et qui en même temps refusent les ghettos et s'adressent, c'est leur souhait, au plus grand nombre.
M. Melmont : Vous êtes auteur, compositeur, interprète, poète, vous gérez une maison d’édition, et j’oublie sûrement encore d’autres choses, alors on va être direct : vous n’avez pas peur qu’on vous reproche d’être trop prolixe ?
B. Bisaro : Ma vie est d’avoir plusieurs vies. Malgré le vieil adage : « on n’a qu’une vie », je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui n’en avait qu’une seule ! L’artiste maudit est une figure d’un autre temps, d’une autre époque. Etre prolixe, bavard est pour moi une façon de m’extraire de cette tragédie là, la tragédie de la société bourgeoise et de tous ses la(i)ssés-pour-compte.
M. Melmont : Quel regard portez-vous sur le monde de la musique actuelle ?
B. Bisaro : Il y a en réalité les mondes de la musique actuelle qui ne forment pas à eux-seuls un monde. Ces mondes sont séparés les uns, les autres et parfois ils restent coupés du reste du monde. Ils sont régis par les mêmes lois, les lois du marché, la loi du plus grand nombre, la loi du plus fort et du plus bruyant, les mêmes règles, les règles du format informatique, celles de la mercatique… Heureusement pour nous, il y a depuis longtemps les musiciens qui savent passer d’un monde à l’autre et le public qui sait franchir les murs. La musique se moque pas mal de ce qui est actuel comme elle se moque pas mal des murs, des cloisons, des frontières… Elle nous touche profondément dans notre individualité mais aussi comme sentiment collectif, notre sentiment d’appartenir à une collectivité, à une communauté, à un ensemble qui nous renvoie toujours dans le moment présent au sentiment de notre propre finitude et dont il serait pourtant faux de dire que cet ensemble ne forme qu’un seul destin. Ce qui est frappant, c’est cette façon que nous avons de faire de la musique aujourd’hui, de la concevoir, de la fabriquer, de l’enregistrer, de la programmer, de la partager… Le son de notre époque n’est presque jamais celui de la musique elle-même mais celui de la technologie et des variations technologiques. Comme si nous avions peur d’être entendus et de nous faire entendre, comme si nous voulions rester inaudibles, presque par vocation… Je me souviens de Jacques Higelin sur un plateau de télévision frapper contre un morceau de bois ou quelque chose comme ça, et ce faisant, faire exister sa chanson de manière remarquable. C’était vraiment révolutionnaire… Les avancées technologiques (qui restent le fruit du hasard, de la manipulation et des révolutions informatiques) avancent plus lentement que les avancées de l’esprit et pourtant quelle place nous leur donnons, quel rôle nous leur attribuons ! La musique actuelle se fait pour moi dans l’authenticité des petites salles de spectacle parce qu’à cet endroit précisément, il n’y a pas encore de confusion possible entre la création (la création et donc bien évidemment les conventions artistiques avec ceux qui s’en réclament et ceux qui les contestent) et ce que j’appelle le conceptuel (c’est-à-dire l’idée, préconçue, arrêtée, tangible surtout à une époque où tout est standardisé, la communication, le format, le progrès technologique…)