Un premier album Gourmande, sorti en Août 2010, un concert à venir au Sentier des Halles à Paris le 02 Mars... C.C. Lou, chanteuse provocante et sincère, n'arrête pas. Le temps d'un entretien, elle a gentiment accepté de parler de ses influences, de ses combats et de ses opinions. L'occasion de découvrir une artiste lesbienne (mais pas que) qui ne manque pas de franc-parler.
J’avais envie à deux fois vingt ans d’oser. Mais intelligemment. J’avais envie d’une esthétique travaillée, aussi bien aussi bien celle musicale des arrangements en studio, que visuelle. Ce mélange masculin/féminin, c’est moi. L’idée est de provoquer une réaction, positive ou négative, pour ne pas rester dans la masse des milliers d’albums qui se font et qu’on ne remarque pas quand ils arrivent sur la pile d’un directeur artistique.
Vous construisez une image de Don Juan féminin, espiègle, séducteur et aussi fragile. Pourquoi vouliez-vous aborder le thème de la sensualité, du désir lesbien ?
Je veux dire les choses comme je les sens, comme je les vis. J’avais envie de le faire ouvertement. Pour moi cela ne pose pas de problème et je ne vois pas pourquoi cela en poserait. J’ai été confortée dans ma démarche avec les deux réalisateurs, Christian Lachenal et Benjamin Constant, avec qui j’ai travaillé sur l’album. On s’est dit que si on pouvait proposer quelque chose de qualité, musicalement et dans les textes, autant oser la différence.
Comment travaillez-vous ?
Pour écrire, j’ai vraiment besoin d’être seule. Je commence les compositions au piano et je les montre en studio à Benjamin et Christian. Je suis plus auteur que compositeur même si pour « Mauvais Carbone » j’ai aussi composée la musique. J’ai toujours dans ma tête, un univers, une ambiance, un tempo. Sur l’album, il y a aussi un titre un peu dance, « De vous à moi». Au départ, c’était un titre très romantique, avec une mélodie sirupeuse. J’ai eu envie alors de me foutre de la gueule des chansons d’amour. Donc, j’ai dit à Benjamin, on casse tout et on se fait un petit délire à la Philippe Katerine. On est allé à fond dans le côté beat années 80. C’est la chanson qui finit l’album et le spectacle, les gens peuvent se lâcher.
On sent clairement l’influence de Gainsbourg, notamment dans la manière dont vous détachez les mots dans « Je fume », « Fais-moi l’amour » ou encore dans « Monica ».
Si c’est pour chanter des chansons style Lara Fabian, je n’ai pas la voix, et je m’ennuie quand j’écoute ce style de musique. Je ne suis pas rock, je ne suis pas complètement pop. Je fais de la variété française avec des grosses influences pop anglo-saxonne et gainsbouriennes, oui. Pour moi Gainsbourg était anglais dans sa musique, c’est ma façon de le percevoir.
Si on n’ose pas en art, qu’on fasse de la musique, de la photo, du cinéma, autant rester chez soi. Quand je chante dans des endroits 100% hétéros, à chaque fois, je me dis que je vais me faire massacrer, et pourtant ça passe. Les gens sont contents, achètent l’album à la fin du concert. J’en suis assez ravie. Je ne chante pas que pour les lesbiennes, je chante pour tout le monde. Dans mon public, il y a autant d’hétéro que d’homos. En France, on a ce tort-là de mettre trop souvent des étiquettes. Je ne suis pas une chanteuse lesbienne, je suis une femme lesbienne qui pousse ce côté-là.
Homosexualité féminine et industrie du disque ne font pas forcément bon ménage. Si l’androgynie est à la mode, il ya très peu de chanteuses ouvertement lesbiennes et militantes qui arrivent à se faire produire par des majors (Beth Ditto de Gossip étant le contre-exemple). Ne craignez-vous pas que votre positionnement courageux vous empêche cependant de trouver des soutiens financiers ? Gourmande est d’ailleurs un album auto-produit.
Mon album n’est pas qu’un positionnement lesbien. Il y a des chansons généralistes et il ya des chansons dans lesquelles je marque ma différence. Oui, effectivement, j’ai peur. Mais quand on est différent, il faut faire avec la peur. Je ne peux pas me couper de moi. Peut-être que cela va susciter un intérêt, peut-être pas. C’est un risque à prendre. Encore une fois, quitte à le prendre je préfère le prendre franco.
Certains artistes préfèrent rester dans le flou, la neutralité le temps d’installer leur carrière.
J’ai fait ça il y a vingt ans. J’ai été soutenue dans les années 90 par un grand producteur de TV qui produisait aussi mon disque. Et en fait je n’ai jamais si peu chanté qu’à cette époque. J’avais affaire à des gens qui me disaient : « tu ne sais pas de quoi tu parles, nous on est des pros, on sait ce qu’il faut pour toi». J’ai écouté ces même gens me dire : « c’est trop tôt, on est pas mûr ». Ils pensent à votre place puis vous ne faites rien. On s’est cassé la gueule. Je ne voulais plus chanter. Je ne voulais plus entendre parler du show-business. Puis en 2006 , Christian et Benjamin m’ont dit : « tu devrais recommencer ».
Depuis, la société a évolué, les directeurs artistiques ont évolué. Je ne fais pas de coming-out avec cet album. Ca fait longtemps qu’il est fait digéré et assumé. Je n’ai pas envie de m’excuser d’être gay. C’est quelque chose qui est autant naturel que le fait dêtre blonde ou brune.
Dans une récente interview pour Yagg, Marie-Paule Belle expliquait que vivre son homosexualité dans les années 70 était plus facile qu’aujourd’hui. Est-ce que vous ressentez, également, ce retour de l’homophobie ?
Dans le milieu musical, je ne sais pas trop, puisque j’ai autoproduis mon album. J’ai été reçue par un directeur artistique début décembre. Il ne m’a pas parlé de ca. J’ai la chance d’être dans les tops de Noomiz depuis le mois d’Août [date de la sortie de l’album]. Je rentre avec « Je fume » en 46eme position. Personnellement, je ne ressens pas d’homophobie.
Est-ce que le fait de savoir qu’une chanteuse est lesbienne vous incline plus facilement à écouter sa musique ? (Je pense à Juliette ou Oshen).
Non. Si ça musique ne me touche pas, si ce qu’elle raconte ne me touche pas, non. Juliette est une grosse personnalité, ce qu’elle propose est « couillu », mais ce n’est pas un style de musique qui me touche. Donc, je n’achète pas ses albums.
Vous poussez deux coups de gueule dans cet album, avec « Les Perruches », critique humoristique des femmes dont « le critère de beauté est la minceur », et avec « Intox », regard énervé sur la pression qu’engendre la société de consommation dans laquelle nous vivons. Quels sont les sujets qui vous révoltent aujourd’hui, en France?
Tous ces gens qui ont une assise bourgeoise, bien présentable, qui connaissent « monsieur le maire », « monsieur le curé » et qui font des frasques en cachette et se permettent de porter des jugements sur la vie des autres, ceux que j’appelle « les perruches », ça m’énerve profondément.
Je travaille dans un grand groupe du cac40, au sein d’une direction. J’entends des prises de décisions qui concernent des milliers de gens qui ne sont qu’un matricule dans une ligne Excel. J’ai de plus en plus de mal à le supporter. Ma position est un peu schizophrène mais je suis obligée de gagner ma croûte. Cela fait des années que je ne suis pas augmentée : je travaille plus pour gagner moins. Le gouvernement, pour moi, depuis 2007, mène une politique désastreuse. Il casse ce dont on était le plus fier en France : une terre d’asile, une terre de droits de l’homme. Je me sens déshonorée. J’ai un positionnement plutôt de gauche mais en même temps à gauche, je ne suis pas inspirée par ce qui nous est proposé. Les politiques ont trop laissé la place à la finance et cela devient du grand n’importe quoi. Les chinois qui étaient communistes deviennent les grands capitalistes de la planète ! Et en Europe, on subit.
Peut-être que dans mon prochain album, il y aura des petites piques, avec humour, pour dire basta. En même temps, écrire des chansons engagées reste super casse gueule. Il faut s’appeler Lavilliers ou Nougaro. Et puis, j’ai souvent une inspiration qui vient de la relation à l’autre, de l’intimité.
Quels sont vos projets ?
Il ya d’abord le concert au Sentier des Halles, le 02 mars. Je travaille avec Cynthia Pinet de la société Tracks’n Films sur tout le côté financier, promotionnel. Moi, j’assure le côté artistique : les répétitions, la mise en scène. Les arrangements sur l’album sont très travaillés. Ce n’est pas possible d’avoir l’équivalent sur scène. Donc, il y aura guitares et clavier (qui déclenchera les séquences pro-tools, c'est-à-dire les effets en studio). Quand on est autoproduit, on n'a pas non plus des moyens extensibles. Après le Sentier des Halles, d’autres dates sont en préparation, dans des salles à Paris, et peut-être en date au mois de mai dans le Sud de la France.
En ce moment, je n’ai pas assez de temps pour travailler su mon prochain album. Ca me frustre un peu. Mai j’ai déjà écrit un titre qui s’appelle « Divine ».
Retrouvez C.C. Lou en concert à Paris au Sentier des Halles, le 02 mars à 21h30.
crédit photos : Valérie Cuscito.