Festival Séries Mania : interview avec François-Pier Pelinard-Lambert sur « Les Séries du monde »

Publié le 09 avril 2011 par Yccallmejulie

Amateurs de séries et habitants de la capitale, réjouissez-vous : la semaine prochaine, du 11 au 17 avril, se tiendra au Forum des Images la deuxième saison du Festival Series Mania dont je vous avais déjà parlé ici (à noter d’ailleurs un petit changement dans la liste des guests : l’absence de Lisa Kudrow – mais rassurez-vous, le casting des invités n’en reste pas moins très alléchant).

Cette semaine est l’occasion de visionner gratuitement un large panel de séries en tout genre. C’est aussi l’occasion d’entendre les professionnels parler (via de nombreuses conférences et tables rondes) de leurs projets et de leur vision de la production TV. François-Pier Pelinard-Lambert, expert es-séries des médias français, s’est occupé de la programmation « séries du monde » qui présente des projets venus d’Australie, du Canada, de Corée du Sud et également d’Israël (avec le très gay Mary Lou à découvrir en fin d’article). Non, il n’y a pas que les séries US ou britanniques dans la vie. La preuve avec cette programmation. Retour avec lui sur ce qui fait la saveur de cette sélection.

La suprématie de la production américaine en matière de séries TV est indéniable (il suffit d’éplucher un programme TV français pour s’assurer de l’abondance des projets made in US). Cette suprématie a-t-elle influencé votre regard sur le choix de la programmation?

Le critère de sélection a été d’abord et bien évidemment la qualité. L’autre critère de sélection, c’est qu’on sait pertinemment que la plupart des pays retenus ne vont pas s’amuser à singer la production américaine. On voulait centrer notre choix sur certains pays qui ne sont pas forcément identifiés en matière de fiction télé. Mon travail, c’était avec deux autres programmateurs, de repérer des fictions moins connues. Elles offrent quelque chose qui ne ressemble pas à la fiction américaine et qui est proche de la culture du pays. L’idée est vraiment, à partir de formats généraux que sont le polar ou la saga familiale, de voir un peu comment chaque pays réagit. Il y a, à mon avis, un peu trop dans la tête des spectateurs français cette idée que, en dehors de la fiction américaine, voire de la fiction britannique, il n’y aucune autre fiction qui tienne la route dans le monde. C’est faux. On a souvent des visions caricaturales de la fiction espagnole,  allemande ou suédoise, mais c’est simplement dû à la paresse des diffuseurs qui ont peur. Il y a une multiplication des chaînes françaises qui sont obligées d’aller chercher ailleurs, sinon, elles ne font que de la rediffusion. Il faut être un peu original. Beaucoup de professionnels viennent découvrir des séries au Festival. Avec cette programmation,  nous voulions créer des passerelles,  du désir et susciter la curiosité.

Sélection australienne

East West 101 : polar et choc des cultures

[dix premières minutes de l'épisode 1]

La particularité de cette série, c’est que l’un des héros est un australien pur souche et l’autre un libanais de confession musulmane. Ils travaillent tous les deux dans les quartiers multiethniques de Sidney. L’Australie est un pays où la multiethnicité a une influence quotidienne. Il y a un grand et beau mélange mais aussi des conflits entre personnes de culture différentes qui ne se comprennent pas. C’est le cas des deux policiers de la série. On retrouve tout l’intérêt d’un polar avec le plaisir de la résolution de l’intrigue, mais aussi un face à face culturel qui est tout sauf politiquement correct. Et c’est quelque chose, par exemple, que les Américains, en particulier dans le prime-time, ne feront jamais.

Tangle : un saga familiale pas si familière que ça…

Dans le monde entier, l’Amérique du Nord a imposé un certain type de bande-annonce, de travail artistique. Dans le cas de Tangle, on peut reconnaître ce style et se dire : « oui c’est encore une histoire entre deux familles qui se disputent et qui se déchirent ». Sauf que l’Australie est un pays qui est autant influencé par la culture britannique que par la culture américaine. Il y a une façon d’aborder la sexualité, la psychologie des personnages dans cette série que vous ne verrez jamais dans la télévision américaine et qui est différente de la télévision britannique. On a l’impression, au début, de voir une série familière et, au bout du premier épisode, on a parfaitement compris qu’on voit autre chose. Influence de la nature, des origines (l’Australie est un pays  d’immigration récente et c’est important dans l’histoire)… Tous ces éléments ont une importance dans la dramaturgie.

Rake : à la découverte du système législatif australien dans les pas d’un avocat border-line

Le système législatif australien est un mix entre le système américain et le système anglais. La façon dont se comporte le héros, avec beaucoup de liberté, ce qui est dit, ce qu’il en fait ; cela n’a rien  à voir avec ce qui est montré dans les séries judiciaires britanniques. C’est encore autre chose.

Sélection Canadienne : deux séries, en langue française,  produites par Radio-Canada

Aujourd’hui, la fiction la plus dynamique en Amérique du Nord est la fiction québecoise. C’est une fiction remarquable faite avec des moyens limités et une énergie qu’on retrouve assez peu ailleurs. Le Québec est un petit pays où le milieu du cinéma et de la télévision sont en échange permanent (Xavier Dolan écrit sa première série pour Radio Canada). Les 40 meilleures audiences sont des programmes locaux, alors qu’ils sont aux portes des États-Unis.

19-2 : un polar violant et touchant

Une voiture de patrouille circule dans Montréal, avec deux gars qu’on a l’impression de voir sortir de n’importe quelle série américaine. Ils roulent dans des voitures américaines, certains quartiers de Montréal ressemblent beaucoup à ceux d’une ville américaine. Mais il y a un ton, une poésie, une mise en scène des personnages bien différents… 19-2 est  une série extrêmement originale, à la fois violente et très touchante. Elle réunit plus d’un quart de la population québécoise à chaque épisode.

Musée Eden : suspens et rebondissements au 19ème siècle dans le milieu du cirque

C’est une sorte de musée des curiosités, de policier qui se déroule dans le milieu du cirque à Montréal au 19eme siècle. Là encore, il y a un ton, un parti-pris  intéressant parce que le Québec est baigné par la culture nord américaine et la culture française. L’ensemble, le choc des deux, crée une fiction singulière.

Vous faites une jolie part à la sélection en provenance de Corée du Sud. Qu’est-ce qui pour vous explique le succès de ce pays en matière de production TV ?

Le pays a une très forte industrie cinématographique. Il y a des impératifs  de programmation originale dans la loi coréenne : 45% de ce qui doit être diffusé en Corée doit être fait par des producteurs locaux. Ils ont beaucoup de moyens. Les Coréens du Sud ne sont par ailleurs pas très clients de fictions américaines, davantage de fictions européennes. La fiction coréenne  balaie tous les genres. La série que l’on a sélectionnée, Iris, a été achetée en France. C’est la série asiatique qui a le cross-over le plus facile (une bonne partie se déroule en Europe).

Shuno est une grande série historique.  Une guerre féodale dans la Corée du Sud du 17eme siècle. Sur le papier, cela ne donne pas très envie. Mais, il y a un vrai public pour ce type de fiction. Ce public sait  qu’il aura face à lui une vraie qualité de production avec des histoires qui ne sont pas forcément celles qu’il a l’habitude de suivre. Les jeunes, qui ont baigné dans l’univers du manga, ont découvert la fiction coréenne et la consomment de façon quasiment obsessionnelle. [ouvert en 2009, le site européen de diffusion en VOD, dramapassion.com, propose une sélection uniquement nourrie de dramas en provenance de Corée du Sud].

Pour finir, un zoom sur Mary Lou, production israélienne diffusée le dimanche 17 avril à 16h30. Ça vaut le détour.

Revendiquée par ses producteurs comme un croisement entre Glee et Mamma Mia, cette flamboyante série télé musicale réalisée par Eytan Fox (The Bubble, Yossi et Jagger) évoque le parcours d’un jeune homme à la recherche de sa mère. D’amitiés ambiguës en amours plurielles, il devient chanteur travesti dans un cabaret de Tel-Aviv. Prix de la meilleure mini-série israélienne en 2010.