Ce film évoque une situation bancale : le héros, Oliver (Ewan McGregor) vient de perdre son père, Hal (Christopher Plummer). A la mort de sa femme (Mary Page Keller), Hal, âgé de 75 ans, fait son coming-out. Sans regretter ses choix de vie, dictés par son époque, il décide de vivre enfin ouvertement son homosexualité et rejoint joyeusement les rangs de la communauté gay. Jusqu’à ce qu’un cancer des poumons frappe. Le temps du film se passe après le décès. Alors qu’Oliver fait son deuil, il rencontre Anna (Mélanie Laurent), une actrice française avec qui il entame une relation tout à la fois poétique et singulière.
Le film montre deux intériorités émotionnelles bien différentes : le sentiment de solitude imposante et inévitable du personnage principal et l’émerveillement d’une rencontre amoureuse. Par un jeu de flash-backs, Mike Hills nous fait remonter dans l’histoire des derniers mois qu’Oliver a vécu avec son père. Il parvient à maintenir une distance sur le sujet en usant d’effets qui permettent de glisser vers le sourire plutôt que vers les larmes. Ainsi la rythmique de montage photos qui viennent scander les années marquantes du récit (le mariage des parents, le coming-out du père, la rencontre avec Anna) et qui reprennent les mêmes bases : comment on s’embrassait à l’époque, qui était président, comment était le ciel étoilé. La première qualité du film est donc d’aborder le sujet du deuil sans tomber dans le pathos. Ce qui m’a le plus marqué est la façon dont est retranscrit un état a priori incommunicable : la souffrance intérieure du personnage, ni violente ni étouffante, juste présente. Ewan McGregor rend à merveille cette période de suspension. L’autre qualité du film est de coupler cette état à celui du sentiment amoureux. Pour avoir vécu peu ou prou la même chose (alors que je venais juste de perdre ma mère d’un cancer, je vivais ma première histoire d’amour), j’ai été remuée, de l’intérieur, spectatrice de ce que j’ai traversé sans jamais parvenir véritablement, au fil des ans, à mettre des mots dessus. J’ai vu sur le visage d’Oliver cette condition étrange entre acceptation presque sereine (en tout cas silencieuse) de la douleur et enthousiasme de l’état amoureux. A la solitude d’Oliver répond celle d’Anna, personnage qui cherche son équilibre dans la fuite (elle, harcelée par un père suicidaire). Si le film est fort, il n’est pas larmoyant. Par la résonance des détails (la scène en voiture entre Oliver et Anna éclairée, sous un autre angle, avec le flash-back sur celle entre Oliver et sa mère), les deux dimensions du film se combinent sans s’étouffer, dans un équilibre extrêmement touchant.
Finalement qu’est-ce que le sujet de Beginners ? Je serais tentée de dire : la dimension déroutante de la vie. Dans ce qu’elle a de remarquable (la figure de ce père gay étonnant de sagesse et d’humanité), d’injuste (la maladie qui frappe), de magique (les instants de partage entre Oliver enfant et sa mère), de poétique (la très belle rencontre à la soirée déguisée entre Oliver et Anna), d’espérance (le final sur Anna et Oliver, ces « débutants » d’une nouvelle vie à deux).