Chronique d’une découverte curieuse…
Le Tartuffe de Molière lança l’anathème contre « les decolletés » pigeonnants lorsque à la vue de Dorine, il s’exclama:
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir :
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées. »
Cette rebellion contre « les decolletés » est une allusion historique (et ironique) aux Confrères du Très Saint-Sacrement de l’Autel. Ceux-ci, en effet, semblent s’être beaucoup préoccupés de « l’immodestie » des toilettes féminines et particulièrement de ce qu’un livre généralement attribué à l’abbé Jacques Boileau appellera « l’abus des nudités de gorge » .
Le bon abbé dénonce la pensée des jésuites qui voient « un grand danger, même une espèce de crime » dans le fait de regarder avec attention « la gorge nue » d’une femme, « dans l’église et en même temps que l’on offre le saint Sacrifice de nos autels ». « La vue d’un beau sein n’est pas moins dangereuse pour nous que celle d’un basilic… »
Notons par ailleurs, que cet abbe devait etre un fieffé coquin, pusqu’il publia aussi « L’histoire des flagellants ». Il faisait de l’érudition coquine sous couvert d’érudition pincée pour éviter la censure de ces ouvrages.
Selon Voltaire (dans le Siècle de Louis XIV – 1751) il était, en plus d’être ennemi des jésuites, « un esprit vif & singulier, qui écrivait comiquement des choses sérieuses & hardies. Il est l’auteur du livre des flagellans & de quelques ouvrages de cette espéce. il disait qu’il les écrivait en latin, de peur que les évêques ne le censurassent; & despréaux son frére disait de lui, s’il n’avait été docteur de sorbonne, il aurait été docteur de la comédie italienne. »
Quelques siècle plus tard, revoilà l’abbé Boileau dans une chronique savoureuse de Remy de Gourmont:
« J’ai acheté hier, en flânant sur les quais (où on ne trouve plus rien, disent ceux qui savent chercher, mais qui ne savent pas trouver), deux petits livres, plus curieux encore qu’ils ne sont rares.
L’un, De l’abus des nudités de gorge, insinue que les femmes montrent trop de leur peau, et l’autre, Apothéose du beau sexe, est d’avis qu’elles n’en montrent pas assez. Il va même beaucoup plus loin dans la galanterie, mais tenons nous en à ce point de vue. Le premier de ces livrets présente l’opinion du XVIIe siècle ; le second donne celle du XVIIIe. Comme il faut peu de temps pour que les idées des honnêtes gens changent du tout au tout ! Quarante ans à peine séparent les deux traités et tandis que l’un réprouve l’usage qu’avaient les femmes de sortir les épaules et la gorge nues, l’autre ne serait nullement choqué d’une mode encore un peu plus libertine.
L’époque du Directoire réalisa ses vœux, mais notre époque a réalisé ceux du premier auteur, qui était, dit-on, l’abbé Jacques Boileau, le frère de Despréaux. Serait-ce donc lui qui aurait eu raison ? Momentanément, oui ; mais au temps de Mme Tallien, on aurait cru le contraire, et d’ailleurs les femmes recommencent un peu, surtout quand il fait très chaud, à se dénuder le col. Il est vrai, il n’y a point d’abus.
Mon époque est encore très collet-monté, on peut le dire. Si janséniste qu’il fût, l’abbé Boileau eût peut-être été fâché de voir ses conseils de modestie si bien suivis et je crois qu’il eût frémi devant ces hauts cols, maintenus rigides par des épingles spéciales, où les femmes s’engoncent si douloureusement. Ainsi murées, elles ressemblent à ces doctrinaires de la Restauration dont la cravate était aussi étroite que leurs idées. Allons, c’est au tour de l’Apothéose du beau sexe de gagner. » (Remy de Gourmont – Le chat Misère)
Tout cela pour en venir à une question cruciale: à notre époque où l’Abbé Boileau aurait eu le vertige en voyant toutes ces poitrines libres comme l’air , pensez-vous que les femmes en montrent trop ou pas assez (« des gorges nues »)?
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[ Photo Abraham Bosse - Les Cinq Sens, v. 1638 : Le Touche ]