Dans le catalogue Pierre Bergé et Associé « Un enfer Privé, Collection de SIEGLINDE ET KARL LUDWIG LEONHARDT » (décembre 2009), je trouve une très belle éloge d’un des plus grand collectionneur de livres érotiques. En le feuilletant, vous y découvrirez aussi de superbes illustrations…
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» Comment imagine-t-on un collectionneur de livres érotiques ?
A-t-il les pieds fourchus ?
Une écume brûlante souille-t-elle sempiternellement ses babines empourprées ?
Rode-t-il en fin d’après-midi aux abords des écoles communales ?
Je me dois de vous rassurer, il est comme vous et moi.
Quelques ventes aux enchères de prestigieuses bibliothèques érotiques ont précédé celle-ci :
celle de Michel Simon, génial acteur atypique, celle de Roger Peyrefitte, fasciné par la Grèce antique et ses moeurs,
celle de Gérard Nordmann, homme d’affaires respecté, celle (très partielle) de Louis Perceau, chercheur invétéré.
Voici aujourd’ hui celle de Karl-Ludwig Leonhardt.
Karl Ludwig Leonhardt (1922-2007), éditeur de profession, élégant hambourgeois francophile, vivait sa passion avec boulimie. Pendant des décennies rien ne lui a échappé des ventes publiques européennes ou des catalogues de libraires. Au début des années 1980, c’est par télégramme que je recevais ses commandes, tant il craignait qu’un volume convoité puisse lui échapper. Son imposante bibliothèque couvrait toutes les époques et tous les
thèmes. Il avait une passion pour la chose imprimée, passion qu’ il vivait dans sa vie professionnelle et à travers son imposante collection. Il détenait des éditions rares de tous les grands textes français du XVIIIe siècle, avec un goût particulier pour ceux de Rétif de la Bretonne. Son amour de la langue française lui était venue lors de son séjour à Paris pendant la guerre, en tant qu’opérateur radio. Sa collection de livres en anglais était toute aussi prodigieuse et il possédait l’un des cinq rarissimes exemplaires connus de My Secret Life, ces fantastiques
mémoires érotiques d’un gentleman de l’ époque victorienne. C’est d’ailleurs d’après son exemplaire que fut publiée en 1966 la première édition publique. Sa bibliothèque de livres en allemand était, on s’en doute, la plus belle jamais constituée.
On ne peut reprocher qu’une chose à Karl-Ludwig Leonhardt. C’ était un homme
d’un autre temps. Voyez plutôt : sa courtoisie et sa gentillesse était exemplaire et son élégance empreinte de raffinement. Il parlait couramment plusieurs langues et sa culture bibliophilique – je ne parle pas seulement de la littérature érotique – était immense. De plus, il vénérait celle qui devint son épouse en 1960, Frau Sieglinde Leonhardt, avec qui il constitua cette incomparable collection.
Un dinosaure vous-dis-je !
Je dois à sa mémoire de préciser que sans son aide précieuse, je n’aurais pas pu établir le premier des trois volumes de ma bibliographie (1880-1920). Chaque semaine, pendant des mois, il m’a envoyé des notices sur certaines éditions que j’ étudiais alors. Sa générosité envers ceux qui partageaient sa passion n’avait d’ égale que son immense culture littéraire. Si Karl-Ludwig Leonhardt possédait sur terre l’un des plus beaux Enfers, je suis certain que sa générosité et son intelligence lui ont valu le Paradis pour l’ éternité.
Jean-Pierre Dutel. »
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