Je ne me lasse pas de fouiner dans les Cabinets Curieux de certains auteurs. En voici un pour qui
« le bonheur est dans cette cité des livres où je m’enferme sous la lueur égale et claire de la lampe, oublieux de la foule qui s’agite, des Vanités qui s’affolent, des plaisirs qui se lassent. Dans la calme retraite et la paix souriante, le flot des heures s’écoule doucement ; mes amis silencieux me disent leurs secrets. »
Son cabinet révèle bien des joyaux.
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« Les philosophes ont exprimé, sous bien des formes, cette pensée éternellement vraie : Nos passions ne sont jamais mortes, elles ne sont qu’endormies. Dans une chanson populaire, on traduit ainsi cet axiome : Et l’on revient toujours aux premières amours.
Ce cabinet d’un curieux en est une preuve nouvelle. Qu’elles furent précoces, mes amours avec les livres ! Je vois encore un enfant, habituellement vif, passionné d’exercice et de grand air, se calmant tout à coup pour admirer, derrière les vitres d’une immense bibliothèque Louis XIV, les beaux vieux livres rangés comme des joyaux dans la vitrine d’un orfèvre.
C’étaient bien des joyaux en effet, ces volumes achetés au poids de l’or, portant tous de royales ou illustres armoiries, des emblèmes, des chiffres, des pour rondes la danse macabre et pour batailles la guerre de cent ans. Nuit funèbre, où l’humanité sembla marcher à tâtons et d’où cependant sortit réclatante aurore de la Renaissance.
Les romans de chevalerie charmèrent les tristesses de ces longues années de transition, qui menèrent de la barbarie à l’ âge moderne. La plupart de ces vieilles chansons de gestes, quelquefois joyeuses, souvent amoureuses, toujours héroïques, sont entre mes mains. En regardant la Mélusine, comtesse de Poitou, je ne plains pas trop son maître, le seigneur de Lusignan. Mélusine était une sirène dont on voyait la queue de poisson. Les charmeuses d’aujourd’hui en ont souvent une de serpent et on ne la voit pas ! Je l’avoue, mes préférences s’adressent surtout aux souvenirs historiques.
La bibliothèque du Roi Soleil, provenant de son cabinet de Fontainebleau, achetée par mon père en 1848, semble appeler d’elle-même ces livres, qui sont pour ainsi dire de sa famille. Les grands soleils dorés, qui éclairent l’ébène sombre de ses panneaux, paraissent briller avec joie sur les fleurs de lys.
Le premier des volumes à noter dans l’écrin c’est : L’Image de Vertu, enfermée dans une belle robe de maroquin noir, couverte d’arabesques d’or, aux armes de François I, présent d’Antoinette de Bourbon, mère des Guise. Je ne parle pas du manuscrit aux armes de Louis XII qui me vient de mon père et qui est déjà célèbre.
Un Ovide compte parmi mes trouvailles les plus extraordinaires. Il a été relié par Pignolet, relieur du roi François l et il porte les armoiries de Henri VIII.
Après avoir jeté un regard d’adorateur sur le petit volume aux chiffres et aux emblèmes de Henri II et de Diane de Poitiers, je m’arrête avec délices sur un petit Henri IV que j’ose déclarer un diamant. Il est en maroquin rouge, tout semé de dauphins et de fleurs de lys. Au milieu, les armes de France et de Navarre, aux angles, des H couronnés, enlacés de lauriers. C’est un bijou de reliure ancienne. Le Béarnais, plus spirituel à lui tout seul que tous les livres réunis, avait une bibliothèque fort restreinte, et, dans ce petit volume, la rareté et la gloire du souvenir s’unissent pour faire la joie du collectionneur.
A côté de lui on peut placer, plus près qu’il ne la voulut jamais avoir, la Marguerite de France. Ce souvenir de la spirituelle reine est un Lucrèce. Ce
nom, qui touche à la fois à la philosophie et à la vertu, n’a pas inspiré la sœur des Valois.
Le livre n’en est pas moins une petite merveille, en maroquin olive, tout couvert de médaillons dorés, enfermant les fleurs favorites de la reine : marguerites, roses, pensées, œillets, chardons. Puis la devise : Elle ne manquera pas à sa destinée.
Après elle viennent la reine Anne d’Autriche, enlaçant son chiffre à celui de Louis XIII, Marie-Thérèse, Adélaïde de Savoie, Marie Leczinska, et bien d’autres, princesses ou favorites, enfin Madame de Lamballe et Marie- Antoinette….J’ai l’honneur de posséder cinq ouvrages à ses armes.
On a souvent demandé quelle idée chacun de nous se fait du bonheur.
Pour moi, le bonheur est dans cette cité des livres où je m’enferme sous la lueur égale et claire de la lampe, oublieux de la foule qui s’agite, des Vanités qui s’affolent, des plaisirs qui se lassent. Dans la calme retraite et la paix souriante, le flot des heures s’écoule doucement ; mes amis silencieux me disent leurs secrets.
Les esprits s’envolent de leurs pages comme de mystérieux feux follets. Je pense à ceux qui les ont écrits, à ceux qui les ont lus, aux royales mains qui les ont touchés.
Qui sait si ce Henri VIII, offert au camp du Drap d’Or, en même temps que les beaux yeux d’Anne de Boleyn enflammaient le cœur du roi anglais, n’a pas été effleuré par ses doigts, poétisé par ses larmes ?
Et les livres du Dauphin François, Marie Stuart n’y a-t-elle pas attaché son adorable image? On l’entrevoit à travers un nimbe de lumière, de pierreries et de sang.
Le dialogue des Demoiselles, d’Anne d’Autriche, est encore parfumé de la peau d’Espagne qu’elle faisait coudre dans ses jupes. — Encens de la patrie qui luirappelait ses jours d’enfance et donnait un parfum violent à sa beauté épanouie, à cette beauté qui, suivant l’illogisme des femmes, fit plier le genou au duc de Buckingham, le plus brillant des seigneurs d’Angleterre et s’humilia devant un faquin d’Italie appelé Mazarin.
Le Traité pour conserver les pommes de terre splendidement relié aux armes de Savoie et de Lamballe, fait sourire en rappelant les bergeries du temps et fait pleurer en évoquant le rùartyre de la Princesse.
Marie-Antoinette a peut-être oublié, en lisant ces deux petits volumes de Manon Lescaut, qu’elle était reine, d’impériale maison, pour se souvenir qu’elle était femme et compatissante aux douleurs du cœur, le cœur fût-il coupable.
Un exemplaire de dédicace, offert par Marat à la jeune reine, est certainement ce que je possède de plus précieux. Le sanguinaire ami du peuple a-t-il remis lui-même ce volume, a-t-il eu Thonneur de baiser la main d’une souveraine dont il devait faire tomber la tête ?
Ainsi mille pensées me viennent… Vol de génies, vol de colombes, vol de tourterelles amoureuses traversent mon ciel, les uns ont la flamme au front, les autres ont la flèche au cœur.
Dans la mélancolie des heures du soir, je les regarde passer. Heureux qui, dédaigneux des folies du présent, se reposant du combat de la vie, loin des luttes de l’ambition et des piqûres de l’amour- propre, s’assied au bord du fleuve de l’histoire et y revoit, dans les brumes lointaines, la vague apothéose des grandeurs d’autrefois. »
L. D.