Hier, dans le cadre du jeudi c’est gay-friendly, j’ai assistée à l’avant-première de On ne choisit pas sa famille de Christian Clavier. J’étais plutôt intriguée de découvrir le film, dans la mesure où pour une première réalisation, l’acteur populaire a choisi un sujet qui ne l’est pas encore vraiment : l’homoparentalité.
Le film est construit comme un vaudeville avec un sujet, ma foi, plutôt original pour une comédie grand public. Un couple de femmes, Kim (Muriel Robin) et Alex (Helena Noguerra) désirent d’adopter une fillette thaïlandaise. Mais, la législation a changé est désormais seuls les couples mariés peuvent prétendre à l’adoption. Les deux femmes décident donc de recruter un faux mari pour berner l’orphelinat et ramener la fillette en France. Elles choisissent par défaut César (Christian Clavier), frère d’Alex, un concessionnaire auto Lancia au bord de la faillite qui, en échange d’un soutien financier de sa sœur, accepte l’arrangement. Voilà donc Kim et César en partance pour la Thaïlande. A leur arrivée, ce n’est pas la mère supérieure de l’orphelinat qui les accueille, malade, mais Luix (Jean Reno) un médecin veuf d’origine basque, qui se montre très tatillon quand à l’évaluation du couple.
Cette situation de départ, ce mensonge, est donc la graine qui va permettre à Clavier d’enchaîner les quiproquos et les gags, le faux couple s’enfonçant un peu plus dans la catastrophe. Avant de parler du fond, je voudrais d’abord dire un mot de la forme. Si j’évoque le vaudeville, je regrette qu’il lorgne plus du côté de la farce, qui, pour reprendre le Larousse, est essentiellement fondée « sur les calembours et les numéros d’acteurs, dépourvu de véritable intrigue ». Le filma avance comme un boulet de canon. Un gag chasse l’autre. Forcément, à un moment ou à un autre, cela vous fera rire. Clavier a un sens du gimmick aigu et un réel talent de dialoguiste. Pour autant, cette dynamique général, menée tambour battant, finit par étouffer. Il manque fondamentalement quelques scènes de respirations qui permettraient de donner corps aux personnages. A part dans le premier quart d’heure, il n’y pas un moment de tendresse. Or, l’intrigue les appelle ses moments. Ainsi, Alex, avocate, qui rejoint le faux couple pour sortir de prison César (je vous passe le pourquoi du comment de cette avancée) se fait courtiser par Luix. Elle joue le jeu histoire de ne pas éveiller les soupçons. Cette ligne secondaire apporte une nouvelle tension. Mais pas une fois on ne voit le couple qui pourtant traverse un moment périlleux (tant par rapport à l’adoption que par rapport à Luix ) doutait, se remettre en question. Autre respiration émotionnelle manquante à mes yeux : une scène entre Alex et César. Ce frère et cette sœur ne se sont pas parlés pendant trois ans. Leur réunion est basée sur un rapport monétaire. Là encore, pas une fois on ne les voit se poser juste pour constater que cette aventure rocambolesque finalement leur permet de se retrouver. C’est inclus dans le package sans qu’on s’y attarde. De fait, difficile de s’attacher aux personnages qui ne sont presque caractérisés que par leur profession. Au final, Clavier, dans son rôle de beauf lourdingue finirait par être le plus touchant (on le voit s’inquiéter pour sa mère, on voit son regard s’éclairer lorsque la petite l’appelle « papa »).
Toujours niveau forme, j’ai une autre interrogation. Généralement, dans une narration, surtout dans une comédie, lorsque mensonge il y a, le climax est amené par la découverte du mensonge, qui finit par amener un happy-end. Or, ce n’est pas ce que propose le film.La dynamique repose sur le fait que le trio Kim, César et Alex tente de cacher la vérité à Luix sur leur véritable situation. Logiquement on s’attendrait à ce que le final amène la découverte par Luix de la supercherie, à la panique, aux explications et finalement à une résolution positive. Or ce n’est pas ce que propose Clavier. [Spoiler] Luix ne découvre pas le pot-aux-roses. César, Kim et Alex rentrent en France avec la petite. Et, trois mois plus tard, pour l’anniversaire de la fillette, Luix se pointe pour conquérir Alex. César et Kim reprennent leur rôle de couple épanoui. Luix fait part à César de ses intentions auprès de sa sœur. César a beau lui confier que sa sœur est lesbienne, Luix décide de rester à Paris pour séduire la belle, s’incrustant dans la famille [/spoiler].
Pourquoi modifier les codes du genre pour nous servir cette fin décrite par Clavier, présent à la projection d’ « ouverte » mais que je qualifierais de bâtarde? On touche alors au fond. Le fait que César finalement devienne un papa en sus des deux mamans (si cela m’agace en tant que mère homoparentale) ne me choque pas. Le film est formaté pour un grand public plutôt hétéro. La ligne du « un enfant a besoin d’un père et d’une mère » est attendue. Par contre, la non résolution de la supercherie et la présence de Luix dans le final construisent une pirouette assez indigeste. Pour moi, Clavier prend partie. Que vient faire le docteur à Paris? D’un point de vue narratif, cela ne colle pas (c’est ce que j’ai essayé de démontrer). Sa présence ne sert qu’à créer un quatuor bancal dans lequel la réalité d’une situation (deux femmes élèvent un enfant) est niée : non seulement, il faut encore jouer la comédie (le statut familial des deux femmes au finish n’est pas validé puisque non révélé) mais en plus leur couple même n’est pas reconnu puisque Luix, malgré la confidence de César, décide de tout faire pour séduire Alex (dernière réplique du film). La seule fin ouverte que je devine en somme est : on ne sait jamais. CQFD : dans une histoire basée sur un sujet de société, deux mamans se retrouvent avec un papa en sus et un prétendant pour qui tout est possible. Dans un film avec des personnages hétéro, les parents se seraient fait taper sur les doigts pour avoir voulu tricher mais les bons sentiments auraient pris le dessus et finalement, ils auraient pu résoudre leur dilemme : fonder une famille. Celle que nous propose Clavier est bancale et bâtarde. Dans la réalité (en tout cas la mienne), la famille homoparentale n’a rien a voir avec cette construction alambiquée et pour le coup compliquée pour l’enfant. J’ai envie de préciser que les gays et les lesbiennes choisissent leur famille, se battent pour construire un environnement sein pour leurs enfants (ce qui passent également par l’obtention de droits) et ne se laissent certainement pas porter par les aléas de la vie pour l’élever.
Bref, on est loin des Labiche et Feydeau qui utilisaient le vaudeville et ses mécanismes théâtraux pour faire rire, bien sûr, mais aussi mettre à nu les mensonges et dénoncer les conventions sociales.
P.S. : je voudrais caser un dernier mot aussi sur la représentation du couple lesbien. Durant le petit speech d’ouverture, Clavier comme Robin, ont souligné que la relation entre Kim et Alex était traitée avec naturel, de manière acquise – en gros, les mentalités ont changés, on ne va pas en faire tout un plat. Pourtant ce n’est pas ce qui est montré. Cette fois la caricature se veut militante : oui aujourd’hui deux femmes ont le droit de s’aimer. Ainsi, la scène où Alex accompagne Kim et César prendre l’avion. Les deux femmes ne s’embrassent pas pour se dire au revoir. Puis, dans un élan, Kym rattrape Alex et lui donne un gros, long baiser. Les gens qui font la queue ne manquent pas de les regarder et César reproche à Kym qui le rejoint de s’afficher de la sorte. Et Kym de l’envoyer gentiment paître. Je trouve ce traitement ringard dans le sens où c’était ce qu’on faisait il y a quinze ans pour enfoncer gentiment le clou militant (je pense à un Gazon Maudit). Depuis, la société a évolué. Ce qui eut été naturel aurait simplement était que les deux femmes s’embrassent comme tout couple qui se dit au revoir (ce qui n’aurait pas empêché de caser une réaction comique de César).